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Bâle. Theater Basel. 13-VI-2023. Franz-Joseph Haydn (1732-1809) : Die Schöpfung Hob. XXI:2, oratorio sur un livret de Gottfried van Swieten d’après le Paradis perdu de John Milton. Mise en scène et décor: Thomas Vertraeten. Costumes : Sietske Van Aerde. Lumière : Thomas Kleinstück. Vidéo : Lyn van Oijstaeijen, Robin Elias Nidecker. Avec : Inna Fedorii, soprano (Gabriel/Eve); Ronan Caillet, ténor (Uriel); Alex Rosen, basse (Raphael/Adam). Lycées de Muttenz et Oberwill; Chor Engel et Orchestre scolaire : direction musicale : Samuel Strub. Choeur et extra-choeur (chef de choeur : Michael Clark) du Theater Basel, La Cetra, direction musicale: Jörg Halubek
Merveilleuse fin de saison au Theater Basel, qui étonne une fois encore avec une mise en scène pleine de surprises du célèbre oratorio de Joseph Haydn.
Un Ange passe… dans le foyer du Theater Basel… afin de prévenir le public, déjà massé sur les marches de l'accès aux balcons, que le spectacle va commencer. Le metteur en scène belge Thomas Verstraeten a fait ériger là, à deux pas du bar, un adorable petit théâtre baroque, de ceux-là même que l'on pouvait trouver du temps du compositeur, avec sa machinerie, ses toiles peintes, un peu comme à Drottningholm.
Première surprise d'une soirée fertile en rebondissements : cette Création mise en scène, comme on va très vite s'en rendre compte, sera une re-Création, et même, pour cette première partie d'une soirée bicéphale, donnée dans le hall, une récréation car c'est à de jeunes acteurs (élèves des lycées de Muttenz et d'Oberwill, communes du canton de Bâle) qu'est d'abord confié le soin de résumer en une petite demi-heure la dramaturgie biblique bien connue, entre Chaos et Eden dépeinte en musique par Haydn. A vue côté jardin, Samuel Strub conduit un orchestre spécifique : violon, flûte, hautbois, mais aussi piano, accordéon, guitare, saxophone marimbas. Soleil, Lune, Etoiles, Lion, Baleine, Humain… : les incontournables de l'oratorio écrit par Gottfried van Swieten sont tous au rendez-vous. Nos lycéens sont ravis d'éblouir leurs spectateurs au surgissement de la lumière, d'incarner un poisson qui crache de vraies bulles, ou d'actionner les lames de vraies vagues de théâtre, tout en adressant moult sourires à l'adresse d'un public où ont peut-être pris place maman, mémé ou tata, un peu comme dans une fête d'école de fin d'année. Musicalement, on joue à fond la verdeur des voix, que ce soit celles du choeur d'anges ou des quelques solistes qui s'en détachent pour de très appliquées transitions récitatives. C'est délicieusement désuet et très soigné, avec un savoureux dialogue entre premier et second degré. Si le Créateur a eu besoin de six jours, une petite demi-heure suffit à nos comédiens en herbe pour achever le grand-oeuvre, avec à la clef, un dernier gag qui propulse leur spectacle bon enfant dans la modernité : chacun s'empresse de sortir son portable pour fêter la naissance du premier être humain.
Sur la grande scène, on passe aux choses sérieuses. Le petit théâtre XVIIIe a laissé la place à celui de notre temps : incrusté dans une boîte scénique sans réelle profondeur, un conséquent dispositif de vidéosurveillance affiche en contre-haut le visionnement du retour en coulisses de la joyeuse troupe. Gabriel, Uriel et Raphaël, les anges de Haydn, sont aux commandes (mais, contrairement à l'Ange de la première partie, tout trois de noir vêtus), occupés à scruter le futur proche de cette humanité en herbe, à ce moment-charnière de son passage à l'âge adulte. On voit garçons et filles, tout à leur joie d'avoir crée ensemble, se déshabiller, se démaquiller, se congratuler, se faire des niches, se prendre en photo, avant de s'égayer en bande au soleil couchant dans la cité bâloise, suivis en direct par une caméra dont les images vont constituer la matière de l'action scénique. En les voyant apposer çà et là des autocollants (Il n'y a pas de planète B), on pense un instant que le metteur en scène veut nous emmener vers un militantisme écologique nous intimant de réfléchir à ce que nous avons fait de la création divine. Ce sera plus audacieux : après une séance en boîte de nuit, suivie d'une autre au fond du Rhin (toutes deux pré-enregistrées mais insérées avec virtuosité dans la retransmission en direct), on bifurque vers un Nouveau Monde dont le finale célèbre l'union, non d'Adam et Eve mais d'Eve et Eve. Au fil de la ballade, deux adolescentes se seront insensiblement rapprochées, séduites, aimées. Ce roman-vidéo d'un nouveau genre, est célébré vers sa conclusion par un choc esthétique : le mur d'images glisse lentement vers les cintres pour, à l'image virtuelle, superposer, à la façon d'une décalcomanie, un vrai décor perché à l'exacte hauteur des films qui l'ont précédé : apparaissent alors côte à côte la chambre des ébats, et la cuisine où les deux femmes amoureuses prennent à présent un long petit déjeuner mérité. En un ultime coup de théâtre, la totalité du décor s'élève à son tour pour laisser le plateau nu à tous les acteurs du spectacle réunis, au milieu desquels on identifie même les figurants qui avaient été disposés à dessein, et à l'insu du spectateur, dans la ville. Le choeur final est chanté par tous et chacun, comme à la fin de la première partie, sort son portable pour immortaliser le nouveau couple. Une liesse générale que tempère forcément, la vision, sur le maillot d'une des deux Eve de l'inscription Paradis lost : clin d'oeil au poème de Milton qui a servi à l'élaboration du livret, et possible alerte d'un bonheur de courte durée.
Ce spectacle très pensé (qui a peut-être effarouché les occupants des places les plus chères, les plus modiques affichant complet) bénéficie du luxe musical de La Cetra. L'oreille est d'emblée saisie par le solo de timbale inédit dont le crescendo introduit le spectaculaire premier accord du Chaos initial, avant d'être sous emprise du soyeux des cordes. Comme le metteur en scène, l'ensemble fondé par Andrea Marcon, sous la baguette de Jörg Halubek, donne un rude coup de jeune à la partition. Le Choeur est à l'aune de cette lecture orchestrale vive et ciselée, sans sécheresse aucune. Déjà très remarqués in loco, les trois jeunes solistes (Ronan Caillet, ténor de type ligne claire, Inna Fedorii, pure et solide, Alex Rosen, aussi loin que possible de tout pontifiant) sont des diseurs d'une musicalité sans faille. On apprécie particulièrement l'utilisation qu'en fait le metteur en scène, décidément très imaginatif (il avoue aussi s'être beaucoup inspiré de ses jeunes acteurs), lorsqu'au dernier tableau, Gabriel, Uriel et Raphaël quittent leur sombre empire vidéographique pour investir, en passe-murailles, le lumineux appartement d'Eve et d'Eve, et tournent autour des deux femmes sans que ces dernières les voient, pour leur insuffler des pensées, comme dans le très beau film de Wim Wenders, Les Ailes du désir. Vollendet ist das grosse Werk!
Crédits photographiques : © Judith Schlosser
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Bâle. Theater Basel. 13-VI-2023. Franz-Joseph Haydn (1732-1809) : Die Schöpfung Hob. XXI:2, oratorio sur un livret de Gottfried van Swieten d’après le Paradis perdu de John Milton. Mise en scène et décor: Thomas Vertraeten. Costumes : Sietske Van Aerde. Lumière : Thomas Kleinstück. Vidéo : Lyn van Oijstaeijen, Robin Elias Nidecker. Avec : Inna Fedorii, soprano (Gabriel/Eve); Ronan Caillet, ténor (Uriel); Alex Rosen, basse (Raphael/Adam). Lycées de Muttenz et Oberwill; Chor Engel et Orchestre scolaire : direction musicale : Samuel Strub. Choeur et extra-choeur (chef de choeur : Michael Clark) du Theater Basel, La Cetra, direction musicale: Jörg Halubek