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Rusalka se mouille pour sa première apparition à la Scala

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Milan. Teatro alla Scala. 13-VI-2023. Antonín Dvořák (1841-1904) : Rusalka (Ondine), conte lyrique en trois actes (1901) sur un livret de Jaroslav Kvapil d’après Friedrich Heinrich Carl de la Motte-Fouqué. Mise en scène : Emma Dante. Scénographie : Carmin Maringola. Costumes : Vanessa Sannino. Lumières : Christian Zucaro. Chorégraphie : Sandro Maria Campagna. Avec : Dmitry Korchak, Le Prince ; Elena Gousseva, La Princesses étrangère ; Olga Bezsmertna, Rusalka ; Park Jongmin, Volnik ; Okka von der Damerau, Ježybaba ; Jiří Rajniš, Le garde-chasse ; Svetlina Stoyanova, Le garçon de cuisine ; Hila Fahima, Juliana Grigoryan, Valentina Plujnikova, Les Nymphes ; Ilya Silchukou, Le chasseur. Chœur et Orchestre du Teatro alla Scala, direction : Tomáš Hanus

Pour sa première apparition à Milan, la Rusalka d'Anton Dvořák fait une entrée fracassante sur la scène scaligère dans la mise en scène d' qui signe, ici, son grand retour à la Scala.

Longtemps délaissée la Rusalka d'Anton Dvořák est depuis quelques années omniprésente sur les scènes lyriques européennes : après Londres et Metz cette année, Madrid, Cologne et le Capitole de Toulouse l'an dernier, c'est aujourd'hui la Scala de Milan qui fête pour la première fois (!) la célèbre Ondine dans la mise en scène d' qui revient à Milan quatorze ans après sa mémorable Carmen de 2009 ; une nouvelle production qui fournit également l'occasion à à la baguette, et à Olga Bezmertna dans le rôle-titre de faire leurs débuts sur la prestigieuse scène scaligère.

Point n'est besoin de rappeler l'histoire des amours impossibles et contrariées de Rusalka, la nymphe aquatique qui commet l'erreur de tomber amoureuse d'un Prince, bien humain…Bien que mise en garde par son père, Volnik, l'Esprit des Eaux, elle aura recours, malgré tout, à la sorcière Ježybaba pour l'aider à rejoindre le monde des humains tant convoité. Mais le prix à payer sera lourd : elle y perdra la parole et la déception amoureuse qui s'en suivra sera sanctionnée par la mort et la malédiction sur fond de Liebestodt.

Un tel sujet se prête bien évidemment à de multiples lectures, philosophiques, sociétales et psychanalytiques sur l'incommunicabilité, l'altérité, voire le déterminisme social. Point de telles arguties pour qui préfère s'en tenir à une lecture au « premier degré » au plus près du conte, en soulignant à l'envi le coté merveilleux, fantasmagorique, maléfique et magique, dans une mise en scène haute en couleur, ironique, imaginative, parfois grotesque, mais toujours chargée de sens et d'émotion, fortement inspirée de Walt Disney, mâtinée de surréalisme pop à la manière de Ray Caesar pour en exalter l'aspect intemporel et la modernité. Car voilà bien une lecture qui ne manquera pas de faire hurler les grincheux dès le premier tableau lorsque l'héroïne pénètre sur le plateau en fauteuil roulant dans une scène hautement symbolique qui pourrait à elle seule résumer toute la problématique du conte puisqu'il s'agit d'une créature hybride, moitié femme, moitié monstre, affublée de tentacules en lieu et place des membres inférieurs, appendices qui l'empêchent de marcher et qui devenus inutiles dans notre pauvre monde seront goulument dévorés par les humains lors d'un irrésistible festin à l'acte II : Jambes ou tentacules ? « That is the question… »

La très belle scénographie de Carmine Maringola se décline en plusieurs tableaux : une église ruinée envahie par la végétation au I, au milieu de laquelle se trouve une véritable piscine où s'ébattent joyeusement en costumes de bain et lunettes de piscine de superbes Nayades ; l'intérieur du palais du Prince somptueusement décoré au II qui n'est pas sans rappeler l'univers d'Alice au pays des Merveilles ; une forêt animée de créatures mystérieuses et de Dryades…Tout ce petit monde féérique évoluant dans les très beaux costumes concoctés par Vanessa Sannino, sur des chorégraphies sylvestres et aquatiques parfaitement réglées par Sandro Maria Campagna.


Pour ses débuts dans la fosse milanaise, , spécialiste de ce type de répertoire, séduit par sa direction fougueuse et engagée qui mêle avec un réel bonheur les accents slaves et les réminiscences wagnériennes dans une lecture très narrative, au plus près de la dramaturgie, sur un phrasé tout en relief, clair et équilibré, en totale symbiose avec les chanteurs auxquels la phalange scaligère prête sa magnifique plastique orchestrale, exaltée par des performances solistiques de haute tenue (cuivres, percussions et harpe notamment).

La distribution vocale d'une remarquable homogénéité fait appel à des chanteurs tous rompus à la langue tchèque et au répertoire d'Europe centrale. Pour sa prise de rôle séduit par sa puissance, son ardeur, sa ligne de chant souple et ductile et son large ambitus, même si le timbre peut paraitre parfois un peu dur. Sa prière à la Lune portée par un beau legato est assurément un moment d'intense émotion. Face à elle, est un prince plein d'élégance vocale et scénique. Jongmin Park campe un Vodnik empli de compassion et de charisme, son « Bĕda, bĕda » émeut par sa basse abyssale. en Ježybaba est une sorcière plus vraie que nature par son jeu scénique comme par son chant puissant, incisif, sa projection ample sans aucun vibrato. La Princesse étrangère d', les trois nymphes (, et ), sans oublier en garçon de cuisine, en chasseur et l'excellent chœur de la Scala complètent avec bonheur ce casting de haut niveau participant de la réussite de cette nouvelle production qui fait entrer Rusalka à la Scala par la grande porte.

Crédits photographiques : © Brescia et Amisano / Teatro alla Scala

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Milan. Teatro alla Scala. 13-VI-2023. Antonín Dvořák (1841-1904) : Rusalka (Ondine), conte lyrique en trois actes (1901) sur un livret de Jaroslav Kvapil d’après Friedrich Heinrich Carl de la Motte-Fouqué. Mise en scène : Emma Dante. Scénographie : Carmin Maringola. Costumes : Vanessa Sannino. Lumières : Christian Zucaro. Chorégraphie : Sandro Maria Campagna. Avec : Dmitry Korchak, Le Prince ; Elena Gousseva, La Princesses étrangère ; Olga Bezsmertna, Rusalka ; Park Jongmin, Volnik ; Okka von der Damerau, Ježybaba ; Jiří Rajniš, Le garde-chasse ; Svetlina Stoyanova, Le garçon de cuisine ; Hila Fahima, Juliana Grigoryan, Valentina Plujnikova, Les Nymphes ; Ilya Silchukou, Le chasseur. Chœur et Orchestre du Teatro alla Scala, direction : Tomáš Hanus

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