Le film Carmen de Millepied, romantique et brûlant

Benjamin Millepied fait de Carmen, son premier film, une brûlante histoire d'amour et de mort à la frontière mexicaine. Émaillé de quelques intenses séquences de danse, le film hésite entre plusieurs chemins, film musical ou drame romantique, à l'image de ses personnages.

Le premier film de Benjamin Millepied en tant que réalisateur transpose le drame de Carmen à la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Le film suit en parallèle l'itinéraire de Carmen, qui quitte la maison de sa mère assassinée par un cartel, dans le désert de Chihuahua, pour rejoindre Los Angeles, et de Aidan, un Marine romantique et taiseux, vétéran d'Afghanistan, souffrant de stress post-traumatique, interprété par Paul Mescal. Leur rencontre se fait à l'occasion d'une véritable chasse à l'homme dans des circonstances qui font d'eux des complices et des fugitifs.

Sur leur route éperdue vers la Cité des Anges, où ils espèrent trouver refuge, le couple naissant rencontre des saltimbanques occupant un vieux Luna Park, prétexte à une première scène de danse insolite, au beau milieu de nulle part. Carmen, fille d'une flamenca, interprétée par la très jolie actrice mexicaine Melissa Barrera, s'y transfigure en danseuse aux bras d'un bel hidalgo, éphémère partenaire…

Les deux héros reprennent la route – la Californie par les petites routes est en réalité celle de l'outback australien, où s'est déroulé le tournage – qui s'achève dans un faubourg de Los Angeles, au seuil d'un cabaret baptisé La Sombra Poderosa. Il est tenu par Masilda, la tante et marraine de Carmen, interprétée par une Rossy de Palma étonnante, à la fois sulfureuse et maternante. La meneuse de revue prend Carmen sous son aile et la confirme dans sa vocation de danseuse. Filmé sous tous les angles, le cabaret devient la scène où la jeune femme se révèle à elle-même. Mais la menace plane et l'étau de la police qui les recherche se resserre autour des deux jeunes gens.

Les signes du destin, du fatum, se multiplient autour d'eux tout au long du film : un sol de sable qui s'enflamme, un enfant narquois surgissant du néant, un maître de cérémonie interprété par le célèbre rappeur et compositeur Tracy The D.O.C Curry, qui apparaît dans le désert. Ces apparitions contribuent à instiller une dimension fantastique au film, principalement porté par la présence intense des personnages et la densité des paysages. Malgré la quasi-absence de dialogue, qu'ils soient en anglais ou en espagnol, on reste captivé par le destin croisé de ces jeunes hors-la-loi, qui évoluent dans un monde entre rêve et réalité, marqué par les fantômes d'un passé qu'ils cherchent à fuir.

Peu de traces, en revanche, de l'opéra ou d'un ballet préexistant dans Carmen, qui trouve sa source, pour Benjamin Millepied, dans le texte de Prosper Mérimée et une nouvelle de Pouchkine, Les gitans. Les quelques chansons du film sont issues d'un autre répertoire, folk pour Aidan à la guitare, berceuses ou romances espagnoles pour Carmen, et la bande son est signée du compositeur Nicholas Brittel, qui collabore depuis de nombreuses années avec le chorégraphe. Un chœur d'hommes et de femmes, intégré à la bande-son, chante, selon le dossier de presse, les textes du livret de Henri Meilhac et Ludovic Halevy, mais il est difficile d'en être conscient.

La danse, qui intervient à intervalles réguliers dans des scènes oniriques et nocturnes, puise son inspiration dans un répertoire très varié, allant de la danse de couple aux shows de variétés, auxquels les costumes des danseurs empruntent aussi. Elle permet au spectateur de s'immerger totalement dans l'univers des personnages. À la fin du film, alors qu'une issue fatale semble inéluctable pour l'un des deux, Aidan se retrouve au cœur d'un combat magnifiquement mis en scène, entre krump et rap rituel, avec des « krumpeurs » recrutés dans les rues de Sydney. Moins réussie cependant que la scène des sauvages des Indes Galantes imaginée par Clément Cogitore, elle plante le dernier clou dans le cercueil d'Aidan. Nourri d'ellipses et d'images intenses, le film est aussi une réflexion sur le destin et sur la fuite.

Crédits photographiques © Ben King – Goalpost Pictures © Lisa Tomasetti – Goalpost Pictures