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À Genève, un Nabucco fourre-tout

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Genève. Grand Théâtre de Genève. 11-VI-2023. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Nabucco, opéra en quatre actes sur un livret de Temistocle Solera. Mise en scène :
Christiane Jatahy. Décors : Thomas Walgrave, Marcelo Lipiani. Costumes : An D’Huys. Lumières : Thomas Walgrave. Vidéo : Batman Zavarese, Directeur de la photographie : Paulo Camacho. Développement du système vidéo : Júlio Parente. Dramaturgie : Clara Pons. Avec Nicola Alaimo, Nabucco ; Saioa Hernandez, Abigaïlle ; Riccardo Zanellato, Zaccaria ; Ena Pongrac, Fenena ; Davide Giusti, Ismaele ; Giulia Bolcato, Anna ; Omar Mancini, Abdallo ; William Meinert, Le Grand Prêtre. Orchestre de la Suisse Romande. Chœur et Choeur Auxiliaire du Grand Théâtre de .Genève (chef de chœur : Alan Woodbridge). Direction musicale : Antonino Fogliani

Chaleureux accueil du public pour cette première de Nabucco de dont l'intrigue disparaît derrière une mise en scène obscurantiste plus soucieuse de l'effet visuel que de la narration.


Lorsqu'en fin de spectacle, alors qu'Abigaille devrait mourir en avalant un poison, ce qu'elle ne fait pas pour s'évanouir bien portante et anonyme dans la foule, soudain surgit une étrange musique moderne et contemporaine. On croit d'abord à une malencontreuse manipulation d'un ingénieur du son envoyant cette musique incongrue dans les haut-parleurs de la salle, puis on réalise que c'est l' qui joue un intermède composé pour la circonstance par le chef d'orchestre . On découvre alors que cet intermezzo permet au chœur de quitter la scène et de se répandre dans la salle du Grand Théâtre pour reprendre le fameux chœur des Hébreux avec l'espoir de réveiller un karaoké collectif des spectateurs. D'ailleurs, pour qu'il suive bien le mouvement, les surtitres jusqu'ici en français et en anglais, sont en italien. Haut les cœurs, spectateurs, c'est à vous de faire le show !

On redoutait une transposition du conflit israélo-palestinien, c'est à un bien autre spectacle qu'il nous est donné d'assister dans la mise en scène de la Brésilienne et de son imposante équipe. Pour qui connait cet opéra par cœur, comme pour qui n'en connait que le chœur des Hébreux, aucune importance. Ce qu'il voit sur la scène du Grand Théâtre de Genève n'a strictement rien à voir avec l'argument de l'œuvre. Sur un plateau nu, n'échappe pas à la mode en montrant des situations anecdotiques plutôt que de montrer les enjeux de l'intrigue. Ainsi, ces femmes errant sous des robes de mariées inspirées de burkas dont deux d'entre elles s'écroulent au sol, peut-être victimes de féminicides ? Qu'importe encore de l'opposition des Juifs et des Babyloniens, tous les personnages se mélangent, dans des costumes d'une banalité affligeante. On ne sait pas qui est qui, on n'y comprend rien. Tiens ! voilà Zaccaria, une caméra sur l'épaule filmant la foule réunie autour de lui. Il sera bientôt remplacé par deux caméramans qui se chargeront à leur tour de filmer chanteurs et gens du chœur pour les envoyer sur un écran géant en fond de scène sans que ces vues amènent un quelconque éclairage à l'action. Les caméramans filmant les protagonistes sont les nouveaux accessoires de mises en scène actuelles. Par le passé, nous avions les roulottes, puis les échelles, puis les néons, enfin les chaises. Aujourd'hui place aux caméras ! Un monde d'accessoires admirablement et spirituellement annoté par le regretté Philippe Beaussant dans son ouvrage «La Malscène».


Arrivée de Nabucco, roi de Babylone. Pas de couronne mais un complet-veston bleu, bleu-roi évidemment, doit en montrer l'évidence. Sa fille, la princesse Fenema peine à imposer son rang dans sa robe d'été grisâtre. Ni d'ailleurs Abigaille, fille bâtarde de Nabucco, en pantalon large et chemisier. Ismaele, prétendant à la main de Fenema est quant à lui en jeans. Comprenne qui voudra, mais entre royauté et peuple, la distance sociale est ténue. Dans une colère subite, Nabucco s'en prend à Ismaele, le bousculant dans une pataugeoire dans laquelle baigne un immense tissu d'un brun doré dans lequel Abigaille s'enroulera sans qu'on saisisse l'éventuel message accolé à cette manœuvre. Pestant des pieds, éclaboussant le chœur, Nabucco exulte pendant que des individus se jettent sans raison dans cette piscine improvisée. Bientôt, Nabucco tombe à la renverse dans l'eau de la pataugeoire. Rideau, fin du premier acte. On vide la mare, on éponge la scène et on repart dans ces mêmes invraisemblances pendant les trois actes suivants.

Et, à chaque instant, monte l'envie de hurler à travers la salle : « Viva Verdi ! » Non pas par désir politique comme l'avaient fait les patriotes italiens en soutien au Roi Victor Emmanuel, mais parce qu'au-dessus des fantaisies scéniques plane majestueusement la musique du maître de Busseto. Certes, elle n'a pas encore la finesse des opéras suivants mais, quelle force immense se dégage de ces pages. On ferme les yeux pour se pénétrer de la puissance émotionnelle de cette musique. D'emblée, l'ouverture donne à l' un allant formidable laissant percer leur plaisir de jouer cette musique des sens. A ce jeu, le chef d'orchestre donne à l'ensemble romand des élans lyriques du plus bel effet. A noter encore, comme toujours, la préparation du dont les interventions précises et musicalement impeccables soulèvent l'enthousiasme.


Du côté des solistes, la palme du plateau va sans contredit à la soprano (Abigaïlle) dont la présence vocale impose le respect. Chantant au plus près du texte, avec une voix puissante, des aigus somptueux non sans rappeler ceux d'une jeune Montserrat Caballe, la soprano espagnole n'a aucun besoin d'être mise en scène. Sa voix seule suffit. On sent chez elle, la leçon apprise, le respect de la ligne de chant, le sens de l'œuvre, l'esprit du personnage, l'envie de convaincre. Sans tirer la couverture à soi, Saioa impose sa personnalité à la scène qui, par souci de vérité, dépasse parfois l'intention scénique, pour autant qu'il y en ait eu une. A ses côtés, le baryton (Nabucco) s'emploie à donner sens à son personnage avec une voix bien conduite. Après un début un peu timoré, le chanteur dégage une ampleur majeure dans ses interventions. Si les références du rôle sont nombreuses, le baryton italien ne dément pas ses capacités de figurer parmi les meilleurs. On apprécie particulièrement son « Donna, chi sei ? » en duo avec Abigaïlle au troisième acte où il se révéle particulièrement touchant d'humanité. On reste moins convaincu par la prestation de la basse (Zaccaria) que nous percevons aux limites de sa voix, particulièrement dans l'extrême grave quasiment inaudible. La voix de (Ismaele) est en revanche bien implantée.

Enfin, le public acclame chaleureusement ce spectacle impressionnant, parfois même beau, mais dont l'esprit de l'œuvre verdienne est dévoyé au profit d'une envie de briller et d'être en phase avec une société avide de sensationnalisme.

Crédit photographique : GTG © Carole Parodi

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Genève. Grand Théâtre de Genève. 11-VI-2023. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Nabucco, opéra en quatre actes sur un livret de Temistocle Solera. Mise en scène :
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