Les Goldberg par Jean-Luc Ho : l’esprit et la main

Après l'enregistrement des Partitas pour clavier de Johann Sebastian Bach, le claveciniste Jean-Luc Ho se confronte au défi des Variations Goldberg.

Il y a quelque chose de mythique dans les Goldberg. Quintessence du langage contrapuntique, particulièrement dans les canons. Quintessence de la technique de clavier, qui en fait un sommet de virtuosité. Une œuvre de la maturité, à tous points de vue, écrite par un compositeur de 55 ans, au sommet de son art. « Exercices de clavier » sans équivalent, où se mêlent vélocité des fusées, croisements de mains, glissades chromatiques et arpègements virtuoses. Bach s'y révèle à la fois architecte-bâtisseur et poète. « Le tour de force de la main et le tour de force de l'esprit combinés » écrit Jean-Luc Ho dans son remarquable texte de présentation. Car au-delà de la prouesse formelle, il y a dans ces variations tout un monde d'affects, un « labyrinthe des passions ». Fugues, ouverture, toccatas, danses, styles français et italien : Bach s'amuse à mêler tous les genres, au-delà du fil conducteur des canons. Il y a deux façons d'écouter la musique : l'auditeur peut exercer son écoute analytique ou bien se laisser emporter dans le labyrinthe des affects exprimés par les notes. Avec les Goldberg, les deux sont indissociables, c'est là le génie de l'œuvre.

Jean-Luc Ho est un claveciniste au talent trop discret, que l'on connait surtout comme continuiste, mais qui est aussi un organiste et un claveciniste d'exception que l'on aimerait entendre plus souvent en soliste. Il enseigne l'accord et les tempéraments au CNSM de Paris, et c'est à lui que l'on doit la préparation de ce très beau clavecin français d'Emile Jobin d'après Goujon qu'il a choisi pour cet enregistrement, le même sur lequel il avait déjà enregistré ses précédents disques Bach. La couleur est somptueuse, la polyphonie d'une grande clarté, et la prise de son très rapprochée de Ken Yoshida rend parfaitement l'équilibre des différents plans sonores. « S'attaquer aux Goldberg pour un claveciniste, ça doit être un moment décisif » nous dit Jean-Luc Ho. Dès l'entame de l'Aria, on entre dans le monde privé de l'interprète. A la deuxième mesure, on est surpris par une appoggiature inhabituellement courte, mais c'est une surprise qui aiguise notre écoute sans perturber la cohérence du discours. Tout se déroule ensuite avec fluidité, on oublie la prouesse technique pour se laisser entraîner par l'expressivité de l'interprète, jusqu'au Quodlibet final où Bach s'amuse à mêler à la basse originale deux chansons populaires comme si tout cela n'était qu'un jeu, une plaisanterie. A la reprise de l'Aria, notre écoute a changé, nous ne l'entendons plus comme la première fois, nous ne sommes plus les mêmes. Et sans doute ne la joue-t-on pas non plus comme la première fois, dans un tempo imperceptiblement ralenti, comme si on n'avait pas envie de finir après l'immense traversée que l'on vient de parcourir.