Les multiples projets de Benjamin Millepied à Paris
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De retour à Paris, Benjamin Millepied fourmille de projets : création d'un duo avec le pianiste Alexandre Tharaud ; sortie de Carmen, son premier film en tant que réalisateur ; et lancement avec son associée Solène du Hays Mascré du Paris Dance Project, d'un projet pédagogique et artistique autour de la danse, dont la première étape est Exaltations, une commande à sept chorégraphes émergents.
ResMusica : En quoi Paris Dance Project est-il différent du Los Angeles Dance Project ?
Benjamin Millepied : L'idée n'était pas de venir à Paris pour créer le Paris Dance Project. Cela s'est fait, imaginé, par la rencontre avec Solène, qui a produit avec succès Roméo et Juliette suite à La Seine musicale. Ce projet est né de conversations et de partage de passions autour de la danse, d'un désir commun et de l'opportunité de créer à travers notre association une organisation pour la danse à Paris aujourd'hui. Nous nous sommes demandé où il était important d'amener de l'énergie par la danse à Paris et en Île-de-France. Ce projet est aussi le fruit de nos expériences et de ma double culture, française et américaine, par l'éducation, par la transmission et aussi par la danse dans la ville. L'idée d'investir la ville est aussi très importante pour moi.
« Notre ambition est de soutenir la jeunesse, qui s'exprime avec beaucoup de passion, avec un travail qui est très souvent politique et fort. »
RM : En quoi est-ce important d'aider l'émergence sur le plan chorégraphique, musical et des arts visuels ?
BP : Nous avons un besoin primordial de continuer à faire vivre la culture aujourd'hui. Face à la technologie, les arts vivants sont une expérience commune, dont nous avons envie que les enfants continuent à profiter. Notre ambition est de soutenir la jeunesse, qui s'exprime avec beaucoup de passion, avec un travail qui est très souvent politique et fort. Nous souhaitons, par notre expérience, lui donner une plateforme, l'aider à se développer et lui donner de la visibilité.
Solène du Hays Mascré : La France représente le maillage le plus dense de Centres chorégraphiques nationaux, c'est une exception fabuleuse, et pourtant il existe peu d'endroits où l'on puisse former et favoriser la transmission entre des talents reconnus et une générations d'artistes en devenir sur la composition chorégraphique. L'idée est aussi de créer du lien entre cette génération et un projet éducatif à destination de la jeunesse que Benjamin a commencé en avril à Meudon avec l'établissement Saint-Philippe, qui accueille tous les enfants les plus en difficulté du département des Hauts-de-Seine. Chaque semaine, Benjamin va à la rencontre d'une classe de neuf enfants, avec l'idée de créer et de transmettre une pédagogie. Nous porterons d'autres projets pilotes à partir de septembre pour aller à la rencontre des enfants.
BM : L'idée est d'utiliser le mouvement pour libérer les corps et leur apprendre à utiliser leurs émotions, leur donner confiance en eux, notamment par le travail les uns avec les autres.
SHM : Au-delà de ce projet éducatif, il y a aussi cette volonté de créer du lien et de mettre dans la lumière les talents émergents avec le premier temps fort, Exaltations, qui a été présenté le 1er juin à la Philharmonie, dans le cadre de la Nuit de l'Ourcq, le 3 juin au Hangar Y à Meudon et le 4 juin à Poush à Aubervilliers. Exaltations, c'est la mise en lumière de sept chorégraphes qui ont composé un solo à partir d'œuvres réalisées par des plasticiens de Poush et sur des compositions choisies par Nico Muhly, dont certaines pièces seront interprétées par des musiciens de l'Ensemble Intercontemporain (créations d'Alyssa Weinberg et de Gabriella Smith).
« Exaltations, c'est la mise en lumière de sept chorégraphes qui ont composé un solo à partir d'œuvres réalisées par des plasticiens de Poush et sur des compositions choisies par Nico Muhly. »
RM : Comment avez-vous choisi les chorégraphes, les compositeurs et les artistes de ce projet ?
BM : C'est instinctif. Ce qui compte, c'est de trouver des chorégraphes qui ont une singularité, quelque chose qui m'interpelle par sa précision d'expression. Bien sûr, je recherche une qualité, une complexité chorégraphique, même si celle-ci peut s'apprendre. Avant tout, c'est cette singularité d'expression que je recherche. Je ne suis arrivé à Paris qu'en août et j'ai fait appel à des amis qui avaient plus de connaissance que moi du paysage chorégraphique parisien, mais je connaissais déjà certains chorégraphes. Pour les plasticiens, nous avons travaillé avec Ivanoë Kruger , le directeur de Poush, qui a fait une proposition des artistes qui lui semblaient justes pour le projet et Nico Muhly nous a suggéré des compositeurs.
SHM : Cela a été une co-construction à chaque fois et c'est justement ce qui était intéressant. Nous avons créé des temps d'échange avec les chorégraphes autour de ces projets de solo, puisque l'objectif était aussi d'échanger autour de ce thème, Exaltations, et de favoriser les rencontres. À l'horizon 2025, nous aurons un campus chorégraphique qui est destiné à se déployer dans le Hangar Y (ndlr : toujours en discussion). L'idée est de favoriser la circulation des savoir-faire entre chacun de ces projets, qui soient des temps de création. D'autres projets sont prévus pour la saison 2024, comme La Ville dansée.
RM : En quoi consiste La Ville dansée ?
BM : La Ville dansée est une série de commande d'œuvres chorégraphiques « site specific », coproduite avec la Philharmonie de Paris, qui aura lieu en juin 2024 dans des lieux historiques et symboliques de la ville. Nous allons proposer aux chorégraphes de les investir en créant une œuvre en réponse à cette histoire ou à cet endroit. En fait, c'est comme une carte qui va traverser Paris, avec toutes les 30 minutes une création dans un nouvel endroit. Et toute la musique sera disponible sur la radio de la Philharmonie. Les spectateurs auront des écouteurs pour entendre la musique qui sera totalement synchronisée avec la danse.
SHM : Nous avons un autre projet pour la rentrée, Carnet d'esquisse, qui s'inspire d'une expérience commune que nous avons vécue aux États-Unis, celle de la Saint Marc Church. Tous les lundi, des chorégraphes présentent à leurs pairs des états de création assez fugaces et fragiles. Ces temps informels et joyeux de recherche n'existent pas à Paris. En partenariat avec le Musée d'Orsay et la libraire 7L, nous allons lancer un appel à projet pour que tous les premiers jeudis de chaque mois, en alternance au Musée d'Orsay et à la librairie 7L, des chorégraphes sélectionnés puissent présenter des états de recherche et de création, à partir de septembre 2023.
Il y a plusieurs fondements dans le Paris Dance Project. Nous souhaitons déployer le projet éducatif, faire émerger une génération d'artistes en devenir et prévoir des temps forts de création avec des artistes reconnus et émergents. Il est important aussi de favoriser la circulation des savoir-faire entre ces trois projets et avec l'idée de toujours dans l'année pouvoir initier des projets en lien avec ces fondements.
« Ce que je recherche chez un jeune chorégraphe, c'est la singularité d'expression. »
RM : Benjamin, vous vous apprêtez à sortir un film, Carmen, le 14 juin, et à remonter sur scène le 13 juin dans un duo avec le pianiste Alexandre Tharaud aux Nuits de Fourvière, à Lyon, puis en tournée. Comment faites vous pour mener tous ces projets de front ?
BM : C'est un enfer ! (Rires). Heureusement, je suis associé avec Solène, quelqu'un d'extrêmement compétent qui a pris 99 % de la charge de travail actuellement pour le Paris Dance Project. Je dois être en studio, en train de danser et c'est difficile actuellement. Mais cela se passe bien, et j'ai tellement hâte de revenir en scène !
SHM : Tous les jours en échangeant, en créant les choses, nous fixons les directions du projet qui sont importantes. Toute une équipe nous accompagne dans ce lancement, avec l'objectif de se structurer davantage et de poursuivre notre ambition. C'est un projet d'intérêt général qui a vocation à rester. Nous sommes en discussion avec des collectivités publiques, comme la ville de Meudon et d'autres, ainsi que des partenaires privés importants. Nous aspirons à un modèle mixte qui puisse conforter la dimension culturelle du projet, mais aussi avoir des mécènes fondateurs.
RM : Pour revenir à la notion d'émergence, un incubateur est-il une chose qui vous semblait manquer à Paris, par rapport à votre expérience américaine, notamment ?
BM : Si j'en crois mon expérience de répétition du solo, où il est impossible de trouver des studios à Paris, je me dis que si des jeunes veulent créer, il n'est pas simple de trouver un espace pour le faire. Il y a toujours besoin de davantage de résidences, car il n'y a rien de mieux que de donner un studio à un jeune chorégraphe, pour qu'il puisse créer, comme à Los Angeles. Il y a les CCN, mais nous avons besoin de davantage de résidences.
SHM : Nous aspirons aussi à créer des temps de transmission de leur expérience par des talents reconnus à des talents plus émergents.
« Cette académie chorégraphique proposera aux futurs chorégraphes une approche du savoir faire, de l'architecture de composition, de la maîtrise du temps et de l'espace avec un corps, deux corps, vingt corps. »
RM : Ces talents reconnus vous ont-ils déjà fait part de leur intérêt pour ce projet ?
BM : Oui, totalement, sur le projet pédagogique d'académie chorégraphique que nous souhaitons porter à horizon 2025. Cette académie proposera aux futurs chorégraphes une approche du savoir-faire, de l'architecture de composition, de la maîtrise du temps et de l'espace avec un corps, deux corps, vingt corps. Il ne s'agit pas seulement d'apprendre l'histoire de la danse depuis Isadora Duncan et d'aller vers des choses très conceptuelles. On peut au contraire, décider d'y venir, après avoir acquis un savoir-faire très classique. C'est magnifique de la faire à Paris, car c'est l'histoire de la danse baroque. Je ne l'avais jamais pratiquée avant l'année dernière, j'ai fait un stage d'une semaine à New York et j‘ ai été frappé par la richesse intellectuelle, philosophique et à quel point c'était progressiste pour son époque. Cela donne un respect à la composition chorégraphique. Ce stage m'a beaucoup inspiré avant de créer le solo. C'est un art extrêmement précis, extrêmement réfléchi et d'une grande beauté.
SHM : Nous venons puiser dans cet héritage pour pouvoir créer quelque chose de l'instant présent. Il s'agit de s'en inspirer, de prendre toutes ces belles idées qui font partie de notre héritage et qui nous permettent de lancer ce projet.
RM : Le programme d'Exaltations témoigne d'une diversité des esthétiques. Est-ce quelque chose auquel vous étiez aussi attaché ?
BM : Oui, tout à fait, depuis toujours cela fait partie de mon goût éclectique, de mes intérêts. J'ai envie de donner des opportunités à des voix très différentes les unes des autres, c'est très important.
SHM : Et puis, c'est important, si l'on veut créer des énergies autour de ce projet, la circulation, la transmission des savoir-faire et de pouvoir mettre à l'honneur des esthétiques différentes, qui vont apporter des choses et offrir de la complémentarité.
RM : Avec votre parcours, notamment votre expérience à l'Opéra de Paris, avez-vous des regrets de ne pas avoir lancé cette académie chorégraphique plus tôt ?
BM : Si, je l'ai fait ! La première année à l'Opéra de Paris avec quelques chorégraphes qui ont travaillé avec une petite équipe que j'ai mise en place et qui ont partagé avec William Forsythe, à l'époque. C'était le début d'un projet qui était ambitieux et très important pour former des jeunes à la chorégraphie au sein de l'Opéra de Paris pour que ces jeunes-là créent l'histoire de demain. Nous comptons tout à fait accueillir des danseurs de l'Opéra de Paris à notre académie. L'idée est d'ouvrir les bras à tout le monde !
SHM : Nous souhaitons collaborer avec toutes les institutions et pouvoir créer et concevoir un dialogue avec elles, dans la mesure du possible et de ce qu'elles souhaitent et de faire entrer notre projet en résonance avec ces institutions qui maillent le territoire. À l'horizon 2025, quand nous aurons le campus, nous allons offrir les moyens à des chorégraphes émergents de créer une pièce avec des élèves du conservatoire, puis avec des danseurs professionnels, avec la possibilité de faire tourner leurs pièces. C'est le sens de cette commande faite à ces sept chorégraphes émergents, en coproduction avec la Philharmonie et notre mécène fondateur Richard Mille, qui ont pu présenter leur travail au cours de trois soirées, les 1er, 3 et 4 juin.
RM : Benjamin, vous avez dansé à cette occasion un duo avec Caroline Osmont, danseuse à l'Opéra de Paris. Avez-vous déjà dansé avec elle ?
BM : Caroline Osmont et moi, nous dansons ensemble comme si nous le faisions depuis toujours. C'est un duo assez court, une pièce d'occasion pour la soirée, faite spécialement pour le gala de la Philharmonie, sur une pièce d'Einstein on the beach de Philip Glass.
RM : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre duo avec Alexandre Tharaud qui sera créé le 13 juin aux Nuits de Fourvière, à Lyon ?
BM : C'est un voyage musical magnifique de Rameau à Satie, en passant par Bach, Schubert et Beethoven. La rencontre de deux artistes vieillissants et un échange de musique et de danse. Alexandre Tharaud avait envie de danse quand il était plus jeune et nous sommes animés par une passion commune. Je voulais travailler avec lui à l'Opéra de Paris, je l'avais rencontré dans cet objectif Place des Vosges. Je suis très sensible à la poésie de son interprétation et c'est une soirée qui est nourrie de nos échanges.