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Palermo Palermo, nous nous sommes tant aimés

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Wuppertal. Opernhaus. 28-V-2023. Palermo Palermo, une pièce de Pina Bausch. Décor : Peter Pabst. Costumes : Marion Cito. Collaboration musicale : Matthias Burkert. Tanztheater Wuppertal

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Un grand classique de revient à Wuppertal 34 ans après sa création : la nostalgie est là, et les émotions sont vives comme au premier jour.

Le , c'est une affaire de longue durée : la troupe n'a pas cessé d'évoluer depuis que a été nommée directrice du ballet du Théâtre de Wuppertal il y a un demi-siècle, mais la fidélité de ceux qui ont participé à ses créations reste indéfectible, et la relation qu'ont créée la chorégraphe et ses danseurs avec le public se mesure elle aussi en décennies. On trouve donc pour cette reprise de Palermo Palermo à l'Opéra de Wuppertal le mélange habituel de public local et de pèlerins venus de toute l'Europe, particulièrement de France, chacun ayant son histoire personnelle avec l'épopée du Tanztheater. Avec Palermo Palermo, entamait la longue itinérance qui a marqué son œuvre jusqu'à la fin, la succession de résidences à des points toujours différents du globe. De Palerme, elle ne fuit pas les clichés négatifs : la violence, la mafia, la saleté des ordures qui traînent, un urbanisme à l'abandon incarné par ce mur dont l'effondrement ouvre le spectacle.

Elle met en scène ces fléaux non pas avec condescendance, au contraire : on y sent la solidarité d'une région défavorisée à une autre, de la Ruhr entre pollution et désindustrialisation à la Sicile défigurée par la violence et l'incurie (les danseurs répandent des ordures, avec le geste auguste du semeur, dans une scène marquante à la fin de la première partie). Le début du spectacle est particulièrement saillant : un sommaire mur d'agglos s'écroule avec fracas, et sa surface désormais horizontale en fond de scène va constituer le seul décor de la pièce pendant les deux heures qui suivent.

De la distribution originale, il reste pour cette reprise trois danseuses, Nazareth Panadero, et Julie Anne Stanczak. Il est hors de question de pleurer sur ce qui n'est plus, sur la troupe telle que Bausch l'avait formée avec les danseurs qui pouvaient l'accompagner sur des décennies : la troupe s'est renouvelée, c'est bien normal, et les plus jeunes danseurs qui la composent aujourd'hui, n'ayant pour beaucoup pas connu directement Pina Bausch, ne déméritent pas, comme , arrivé en 2016, ou les transfuges de l'Opéra de Paris et . Pour autant, la présence de ces trois créatrices reste une bénédiction pour le spectateur : la juxtaposition des générations est en soi suffisamment rare en danse pour être soulignée, et puis ces trois danseuses nourries par des décennies de scène ont pour cela une force magnétique qui ne peut qu'attirer les regards, même, croyons-nous, des spectateurs moins initiés aux sortilèges des pièces de Pina Bausch. Très présente dans cette pièce, ouvre la pièce, se faisant lapider à coup de tomates (trop mûres), dans un numéro d'hystérie qui se répète à plusieurs moments de la pièce ; elle y est virtuose, bien sûr, mais il nous a semblé qu'elle y mettait cette fois une distance nouvelle – sa danse, elle, n'a pas pris une ride. L'humour de Nazareth Panadero, de même, est intact, tout comme son effet sur le public.

Jan Minařík, lui, n'est plus là, mais son remplaçant, , a rejoint la troupe quelques années à peine après la création de Palermo Palermo. Il faut toujours se garder de fixer des interprétations trop univoques dans les pièces de Pina Bausch, mais son personnage a certainement quelque chose d'un parrain mafieux, avec cette aisance goguenarde, ce talent pour la manipulation, cet exhibitionnisme à rebours des conventions, ce goût de la violence contre les choses et les hommes – la scène où il dézingue à coups de pistolet les tomates et autres objets qu'il avait placés sur une table est irrésistiblement comique, mais au moins aussi déchirante. Il passe un long moment à se transformer en drag queen, montrant que les identités féminines et masculines ancrées dans la tradition ne sont pas si solides que cela. Il n'est que logique, même si Pina Bausch ne l'avait pas prévu, qu'un des rôles féminins soit dansé dans cette reprise par Naomi Brito, une danseuse trans qui apporte une grâce singulière et souvent mêlée d'humour.

Et le destin du boss connaît un dénouement moins brillant que prévu : on le voit dans sa dernière apparition prendre la fuite en regardant apeuré autour de lui. La pièce est créée deux ans après le premier « maxi-procès » contre la mafia, trois ans avant l'assassinat des juges Falcone et Borsellino : il n'est pas étonnant qu'en y travaillant pendant ces années noires Pina Bausch en ait tiré une pièce qui est sans doute parmi ses plus sombres. Même les costumes de Marion Cito le disent : elle qui a fait tant de robes de contes de fée pour Pina Bausch se contente cette fois d'un vestiaire moins éclatant, plus quotidien, sans concession à la carte postale. La force de chaque solo individuel, de chaque petite scène jouée et dansée, ne masque jamais dans ce spectacle la force du collectif : celui de la troupe renouvelée et toujours elle-même, celui que forment les spectateurs de Pina Bausch entre eux et avec les danseurs, mais aussi celui des personnages sur scène, avec ces belles scènes à la fin de la pièce. Certes, on peut voir aujourd'hui de plus en plus de pièces de Pina Bausch reprises ailleurs, mais le détour par Wuppertal reste pour les orphelins de Pina un moment toujours aussi fort.

Crédits photographiques : © Oliver Look

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