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Toulouse. Théâtre national du Capitole. 28-V-2023. Benjamin Britten (1913-1976) : The Rape of Lucretia, opéra de chambre en deux actes sur un livret de Ronald Duncan. Mise en scène : Anne Delbée. Décors : Hernán Peñuela. Costumes : Mine Vergez. Lumières : Jacopo Pantani. Avec : Agnieszka Rehlis, Lucrèce ; Duncan Rock, Tarquin ; Dominic Barberi, Collatin ; Philippe-Nicolas Martin, Junius ; Juliette Mars, Bianca ; Céline Laborie, Lucia ; Cyrille Dubois, Chœur masculin ; Marie-Laure Garnier, Chœur féminin. Orchestre national du Capitole, direction : Marius Stieghorst
Au Théâtre du Capitole, c'est une entrée au répertoire réussi pour Le Viol de Lucrèce de Britten, portée par un Chœur masculin et féminin d'excellente tenue en la personne de Cyrille Dubois et Marie-Laure Garnier.
La transformation de la pièce d'André Obey sur laquelle Le Viol de Lucrèce de Benjamin Britten se fonde, amène le librettiste Ronald Duncan à la faire évoluer sur le plan philosophique vers une dimension chrétienne à la place d'une lecture socio-historique ou expressionniste. La tragédie grecque constamment présente dans l'élaboration de cet opéra de chambre, entraîne un rapprochement de l'héroïne païenne Lucrèce, devenue presque mystique par son geste final rédempteur, avec le Christ qui, lui, rachète les fautes des hommes par sa mort.
Cette approche, matérialisée à son apothéose grâce à l'épilogue demandé par le compositeur, a été souvent perçue comme maladroite. La mise en scène d'Anne Delbée s'appuie pourtant sur cette principale « faiblesse » de l'œuvre afin de dérouler sa propre vision, démarrant l'intrigue sous la tente des trois militaires, avec une table de banquet symbolisant la Cène, où les personnages boivent le vin, malgré les treize verres alignés tel un avertissement de ce qui va suivre. Cette idée se retrouve par la suite dans la transformation des voiles déchirées d'un navire naufragé vers une représentation géante du Linceul de Turin, alors que le mât symbolisera in fine l'immense croix de la crucifixion. L'esprit de la tragédie grecque – le chœur tient la place du coryphée – peut également se rapprocher de celui de l'oratorio, Benjamin Britten s'inspirant de l'opéra de chambre baroque de Purcell, Didon et Enée, pour son premier opéra de chambre d'après-guerre. Anne Delbée s'inscrit également dans ce parti-pris, avec une mise en scène suggérée, où accessoires et décors sont presque réduits au minimum, la force du texte narratif primant sur l'illusion scénique.
Pourtant, les costumes de Mine Vergez ne s'enferment pas toujours dans cette orientation, suggérant autant le régime fasciste italien de Mussolini avec les costumes noirs, les culottes bouffantes et les cuissardes, que l'Italie antique fantasmée avec le centurion romain, alors que le Chœur féminin se pare d'une toge noire, et que le Chœur masculin est habillé avec des tenues de ville contemporaines.
Tout comme l'image, pas de fioritures ni de faste grandiloquent pour un texte en anglais visant la clarté des moyens grâce à des phrases courtes et concises, ainsi qu'une sobriété de dialogues soutenue par une prosodie libre, des harmonies parfois discordantes et de longues mélodies. L'ensemble de la distribution vocale est à la hauteur de l'enjeu, grâce à une projection parfaitement maîtrisée, faisant preuve d'une belle précision dans la diction propre à la langue de Shakespeare même si certains accents restent à parfaire.
À l'image de son illustre prédécesseur britannique évoqué plus haut, Benjamin Britten choisit pour The Rape of Lucretia un octuor vocal et un orchestre réduit à treize musiciens (et dix-sept instruments) dont un chef d'orchestre tenant le rôle de la basse continue au piano. L'octuor vocal est réparti en un trio de voix d'hommes et un trio de voix de femmes qui jouent les actions scéniques, auxquels s'ajoutent deux voix qui tiennent le rôle du chœur antique : le chœur masculin tenu par un ténor, et le chœur féminin assuré par un soprano.
Équilibrées tels un quatuor à cordes (un ténor, deux barytons et une basse), les voix d'hommes exposent un équilibre vocal et sonore d'une belle homogénéité. Il faut dire que la direction d'acteurs met particulièrement en valeur la théâtralité de Cyrille Dubois. Le mélange de déclamation et de lyrisme soutenu de son Chœur masculin s'appuie sur une aisance et une éloquence de bon aloi, la ligne de chant du ténor se révélant particulièrement agréable. Duncan Rock offre une intensité soutenue pour retranscrire la brutalité du violeur, le prince Tarquin ; le baryton fait preuve d'une solidité et d'une malice sans pareille pour faire vivre ce personnage lubrique. À l'inverse, Dominic Barberi incarne le mari trompé non par sa femme mais par la jalousie d'un homme face à la vertueuse épouse. Sous les traits de Collatin, il montre une touchante sensibilité tout en piani et en subtilité, malgré son charisme marqué et sa basse sombre. Enfin, Philippe-Nicolas Martin est démoniaque en Junius, la clarté de son timbre affirmant l'ambition de son rôle.
Les voix de femmes sont, quant à elles, construites selon la symbolique attribuée à chacune : la noblesse du contralto pour Lucrèce ; le mezzo-soprano pour le rôle de servante de Bianca ; et les deux sopranos pour la douceur de vie de Lucia, et la noblesse du chœur antique. À l'instar des hommes, la chaleur du timbre de Marie-Laure Garnier (Chœur féminin) surplombe les voix féminines, tout autant que son charisme qui n'a besoin d'aucun apparat pour être magnifié, la gestuelle du personnage s'inscrivant dans le minimalisme le plus épuré. La dignité d'Agnieszka Rehlis (Lucrèce) se traduit par une souffrance intériorisée. L'aura de sa Lucrèce se matérialise par un large mezzo-soprano puissant et noble. Les deux servantes sont caractérisées l'une par le timbre aérien de la jeune Lucia (Céline Laborie), l'autre par les nuances d'un puissant mezzo pour la plus âgée Bianca (Juliette Mars).
L'ensemble orchestral est traité de la même manière que les voix (ou peut-être est-ce l'inverse ?), avec un figuralisme persistant : le crissement des cigales ou l'écoulement du Tibre à la harpe ; la torpeur de l'attente avant la bataille par un orchestre statique ; la métrique de la musique pour le cheval au galop de Tarquin et cet homme emporté par ses pulsions… Sous la direction de Marius Stieghorst, les instrumentistes du Capitole bénéficient ainsi de la force de tutti intenses, comme d'instants solistes qui plongent l'auditeur dans des ambiances variées, alimentant l'écoute, riches et colorées grâce à des timbres contrastés (flûte, piccolo, flûte alto, hautbois, cor anglais, clarinette en si bémol, clarinette basse, basson et cor d'harmonie) et le continuo moderne que forment la harpe, les percussions et le piano, ce dernier assurant également l'accompagnement des recitativo secco.
Crédits photographiques : © Mirco Magliocca
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Toulouse. Théâtre national du Capitole. 28-V-2023. Benjamin Britten (1913-1976) : The Rape of Lucretia, opéra de chambre en deux actes sur un livret de Ronald Duncan. Mise en scène : Anne Delbée. Décors : Hernán Peñuela. Costumes : Mine Vergez. Lumières : Jacopo Pantani. Avec : Agnieszka Rehlis, Lucrèce ; Duncan Rock, Tarquin ; Dominic Barberi, Collatin ; Philippe-Nicolas Martin, Junius ; Juliette Mars, Bianca ; Céline Laborie, Lucia ; Cyrille Dubois, Chœur masculin ; Marie-Laure Garnier, Chœur féminin. Orchestre national du Capitole, direction : Marius Stieghorst