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La Chaux-de-Fonds : Planète Prégardien

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La Chaux-de-Fonds. Salle de Musique. 27-V-2023. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Wonne der Wehmut ; Neue Liebe, neues Leben ; Resignation. Sonate pour piano n°3 op.69. Gregor A. Mayrhofer (né en 1987) : Einsamkeit du stummer Bronnen, d’après Clemens Brentano, extrait de Nachklänge Beethoven’scher Musik. Franz Schubert (1797-1828) : Sept Lieder tirés du Schwanengesang D 957, sur des poèmes de Ludwig Rellstab. Avec : Martin Helmchen, piano ; Marie-Elisabeth Hecker, violoncelle ; Julian Prégardien, ténor

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La Société de Musique de La Chaux-de-Fonds clôt sa saison avec Beethoven, Schubert et… . Un dialogue fécond entre un lieu et une voix.

Tout a été dit de l'acoustique exceptionnelle de la Salle de Musique chaudefonnière. Depuis 1955 écrin de moult concerts et enregistrements, en 2015 restaurée à l'identique (jusqu'aux fauteuils carmins, « charmants et légèrement désuets »), elle reste une fête pour l'oreille. Comme elle le fut pour Dietrich Fischer-Dieskau en 1959, et pour Christophe Prégardien à deux reprises, elle magnifie la voix de , l'art du jeune ténor allemand, du murmuré à l'éclat, tout d'allant émotionnel savamment dosé, trouvant là matière idéale à l'accomplissement.

Comme dans Père et fils qui réunit en 2021, à la Philharmonie de Paris, Christoph et Julian, le programme réunit un autre ascendant (Beethoven) et son héritier (Schubert). Idole de Schubert qui rejoignit son père en musique dans la tombe un an après, Beethoven sert de carte de visite à au moyen de trois lieder : Wonne der Wehmut pour la prononciation, Neue Liebe, neues Leben pour la virtuosité articulatoire, Resignation pour l'ethos. Julian Prégardien retient d'emblée l'attention avec une manière presque féline de se lancer dans les notes, le corps en avant. Dès lors, la musique, semble prendre possession de lui. L'on devine dès le début qu'aucun applaudissement intempestif ne viendra rompre le sort fait à chaque note, à chaque mot, silence compris, par ce Tamino et cet Evangéliste idéaux.

, compositeur né en 1987 (soit trois ans après Prégardien) créa en 2021 Einsamkeit du Stummer Bronnen, une pièce sur la solitude inspirée autant par le Nachklänge Beethoven'scher Musik de Clemens Brentano, que par le confinement imposé en 2020 à tous les êtres humains de la Planète Terre, artistes compris. Il s'agit d'un diptyque monacal d'environ dix minutes dont les pièces, d'égale durée, disent bien ce que fut cet isolement pour tous, à la fois une sensation unique d'affranchissement de toute contrainte (la solitude comme une force qui ne change pas « avec la direction du vent ») et une « source de malheur ». Prégardien, gorgé d'intériorité, est le compagnon de cellule idéal de ce lamento contemporain très éloigné du Recycling Concerto plus joueur que Mayrhofer créa en 2022.

Alors que, dans la foulée de son enregistrement récent, l'on aurait été très preneur d'une intégrale des quatorze lieder du Schwanengesang, Julian Prégardien a fait choix de ne donner ce soir que ceux (sept au total) composés sur des poèmes de Ludwig Rellstab (les six suivants étant de Heine, le dernier de Seidl). Également journaliste et critique, Rellstab fut aussi celui qui, contestant le final de Don Giovanni, alla (ainsi que nous l'apprend en préambule François Lilienfeld) jusqu'à retoucher la Scène du cimetière afin de donner plus de présence à un Ottavio jugé par trop falot, tout en le faisant néanmoins trucider par le Don au cours d'un ferraillage entre les deux rivaux !

A un Abschied à la vélocité affirmé, succède un In der Ferne abyssal en terme d'introspection. Le chant s'enténèbre jusqu'au verbe quasi-parlé sur Hoffnungslos sinkender avant de s'élever vers un déchirant Welt hinaus ziehenden. Cette glaçante évocation qui n'est pas sans faire songer aux actuels destins migratoires, est ensuite pansée par le baume d'un Ständchen contenu, aux allures de passeport d'un retour à la vie. En bis, le ténor au sourire parcimonieux fera cadeau d'un Taubenpost agile et lumineux, pris à un train d'enfer. L'osmose est manifeste avec , dont les doigts agiles et le jeu velouté tirent des merveilles d'un Steinway royalement accordé à l'art conjoint des deux hommes. Une musicalité virtuose que l'on aura également goûtée au fil de la Sonate n°3 de Beethoven avec le chaleureux violoncelle de . Les trois artistes concluent la soirée avec Auf dem Strom, sans cor, dans une version pour violoncelle dont l'on doute encore qu'elle soit de Schubert.

Timbre magnifique, solaire ou introspectif, diseur hors-pair semblant questionner autant son art que l'effet produit par celui-ci sur son auditoire, Julian Prégardien, apparaît ce soir, en ténor gracieux et subtil, au sommet d'un style unique, qui en ferait aussi le fils d'un Fritz Wunderlich devenu médecin de l'âme. Un dialogue entre un lieu et une voix qui aura donné comme rarement l'impression d'être sur une autre planète. La Planète Prégardien.

Crédits photographiques : © Peter Rigaud

 

 

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