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Kirill Petrenko et le Philharmonique de Berlin dans Chostakovitch : luxe, passion et volupté

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Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonies n° 8, n° 9 et n° 10. Orchestre philharmonique de Berlin, direction : Kirill Petrenko. 2 CD et 1 Blu-ray Berliner Phiharmoniker. Enregistrés en public à la Philharmonie de Berlin, entre octobre 2020 et octobre 2021. Notice de présentation en anglais et en allemand. Durée totale : 120:17

 

Les trois symphonies ont été gravées en concert durant la pandémie. Leur enregistrement prend un relief particulier dans le contexte de l'agression russe comme tient à le souligner , dans son propos introductif. Sans remettre en cause une discographie pléthorique, ces lectures sont d'une beauté saisissante.

Les remarquables textes de présentation – hélas non traduits en français – sont “enrichis” tels un herbier, de photographies de plantes aux teintes fanées, c'est-à-dire à peu près la seule chose qu'il eut fallu éviter dans un tel programme… Fantaisie d'un designer mal-inspiré ou hommage au second degré propre à Chostakovitch, pour un produit dénommé « The deluxe edition ». ? L'écoute de ces sessions nous convainc rapidement qu'elles furent autrement plus productives que celles d'une précédente et bien inutile Symphonie “Pathétique” de Tchaïkovski par les mêmes interprètes.

L'orchestre et la prise de son de la Symphonie n° 8 restituent à la fois la précision et la massivité (quelles basses !) d'une formation qui demeure d'une puissance impressionnante. C'est avant tout la beauté de l'orchestre – des vents superlatifs – et la maîtrise des phrases immenses que l'on apprécie. L'expression de la “douleur” prend des proportions extraordinaires dans le Largo car d'une sensualité pour le moins déroutante dans une telle musique. La volonté d'extraire la dimension “historique” de l'œuvre pose toujours problème lorsque celle-ci a vu le jour par le fait de circonstances précises. Dans la présente lecture, tout est dans l'art de la suggestion. Les mélodies pastorales ne sont jamais appuyées et les grands volumes sonores s'enroulent en évitant toute trivialité, privilégiant un espace lyrique gigantesque et sans drame vécu. Tant de distance assumée dans le message de l'œuvre créée en novembre 1943, à Moscou et un tel accomplissement musical interrogent. Que de différences, aussi, avec la conception narrative de Semyon Bychkov lorsqu'il réalisa excellemment la première gravure de la symphonie par le même orchestre, en studio, en 1990 (Philips) !

Tout aussi souple, mais une fois encore élaborée dans la massivité des chocs dynamiques, la Symphonie n° 9 se devait – dans l'esprit de Chostakovitch – de rendre hommage au classicisme célébrant la fin de la « Grande Guerre Patriotique ». Point de fresque grandiose d'une veine beethovénienne selon les vœux de Staline qui assista à la création de la partition – la deuxième plus courte du cycle des quinze opus – et reçut une “gifle” qu'il n'oublia pas. L'humeur rossinienne repose, ici, sur un pupitre de cordes digne d'une grande page du postromantisme, ce qui est, dans une certaine mesure, contradictoire avec la conception de Chostakovitch. Une fois encore, les pupitres individuels se couvrent de gloire : clarinette, trombone, basson, premier violon… Ne faut-il pas regretter devant tant de magnificence, le supplément de légèreté (bien trop précieuse exposition du thème dans le finale Allegretto, par exemple), cette fausse simplicité chambriste que l'on retrouve chez Bernstein avec Vienne, Fricsay et le RIAS de Berlin, Gergiev et le Mariinsky, Kondrachine et le Philharmonique de Moscou ? L'interprétation de Petrenko apparaît d'une saveur bien complexe, et qui fit dire à Chostakovitch lorsqu'il écouta l'interprétation de sa Symphonie n° 10 par le Philharmonique de Berlin sous la direction de Karajan (29 mai 1969, Melodiya), alors en tournée en URSS : « Je ne savais pas que ma symphonie était aussi belle… ». Éloge et redoutable critique simultanés à l'égard de musiciens allemands qui en s'appropriant les notes avaient feint d'en oublier l'essence première, un quart de siècle après ce que l'on sait.

Précisément, la Symphonie n° 10 dirigée par Petrenko s'écouterait dans le plus grand des conforts tant la mise en place et les équilibres sont techniquement assurés. La noblesse du mouvement d'ensemble, la respiration enveloppante des cordes, chaque détail creusé dans le souvenir – qui sait – des lectures de Karajan en 1966 et 1982 – subjugue. Berlin demeure une machine à fabriquer du luxe, mais qui se heurte, dans l'Allegro, à la nécessité d'exprimer une pulsation vitale dans une époque démoniaque. Le souvenir de Boris Godounov dont les harmonies sont reprises et le rejet de tous les tsars se révèlent en pleine lumière. Admirons la virtuosité et la concentration de tels pupitres jusque dans le finale à la force beethovénienne, mais n'oublions pas l'ivresse autrement plus terrifiante des lectures de Haitink avec le Concertgebouw (Q.Disc), Kondrachine et le Philharmonique de Moscou (Melodiya), Sanderling et le Symphonique de Berlin (Berlin Classics) et, enfin, Mravinski et le Philharmonique de Leningrad (En Saga).

Le Blu-ray réunit les trois concerts remarquablement filmés et enrichis d'un entretien avec .

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Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonies n° 8, n° 9 et n° 10. Orchestre philharmonique de Berlin, direction : Kirill Petrenko. 2 CD et 1 Blu-ray Berliner Phiharmoniker. Enregistrés en public à la Philharmonie de Berlin, entre octobre 2020 et octobre 2021. Notice de présentation en anglais et en allemand. Durée totale : 120:17

 
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