Au comptoir du rêve avec Hélène Breschand et Wilfried Wendling

Le Rêveur rêvé est une variation d'Imaginarium, un spectacle immersif et ouvert que les deux artistes complices, Hélène Breschand et Wilfried Wendling, remodèlent à leur désir sur la scène du !POC! d'Alfortville.

Déformer, distordre, mettre en abîme, croiser et superposer l'image et le son dans une interaction des espaces et des sources : c'est l'enjeu des recherches menées depuis plus de vingt ans par Hélène Breschand, harpiste et performeuse et Wilfried Wendling, artiste sonore, concepteur et metteur en scène, à travers de nombreux spectacles performatifs. Imaginarium est un projet ouvert qui se conçoit différemment selon le lieu qui l'accueille et les préoccupations du moment des deux artistes : plus frontal sur le plateau du !POC! que dans l'espace du CCAM où nous l'avions découvert, plus épuré et intimiste également…

Le son circule déjà dans la salle lorsque le public s'installe. Le Rêveur rêvé s'appuie sur l'œuvre éponyme du dessinateur et scénariste de BD Marc-Antoine Mathieu, un artiste fortement inspiré par l'atmosphère étrange et angoissante de Kafka : « un jeu de quarante cartes avec lesquelles nous pouvons composer notre propre page de bande dessinée ». Les dessins projetés sur l'écran s'accompagnent de brefs commentaires en lien avec les réflexions constantes de l'auteur sur le livre, objet et symbole omniprésent dans l'œuvre de Mathieu. Le dispositif frontal est détourné par ces « lambeaux d'écrans », draps blancs disposés sur le plateau qui fragmentent et déforment l'image. Un petit groupe de jeunes gens (les élèves de la classe d'improvisation d'Hélène Breschand) prêtent leur ombre, leur voix et leur visage à ce discours du rêve, déconstruit autant que libre, où l'on « s'enivre de récits oubliés » : les mots susurrés et chantonnés (des bribes de textes d'Étienne Klein,Chris Marker, Jean Genet, Jean-Luc Godard, Max Ernst, etc., empruntés ou non, selon les envies) dansent avec les figures sonores que Wilfried Wendling dessinent dans l'espace.

Avec sa caméra qu'il aime manipuler, il zoome les visages de chaque figurant avant d'aller capter ceux des spectateurs dans ce jeu de dédoublement et de miroir toujours à l'œuvre dans Imaginarium. La toile magnifique des masques façon Andy Warrol projetés sur l'écran file la métaphore.

À cour, Hélène Breschand a posé sur une table sa petite harpe à leviers électrique qu'elle joue comme une cithare. L'instrument réagit aux effets multiples des logiciels de transformation connectés avec l'ordinateur de son partenaire à jardin. Avec sa grande harpe, elle est en vedette dans la dernière partie du spectacle : figure noire sur fond blanc et vue de profil comme dans l'imagerie égyptienne ; dans un espace très épuré, sans l'intervention de la vidéo, elle captive les yeux et les oreilles lors d'une longue improvisation en solo dont les allures répétitives et les registres clairs évoquent la kora du Mali : la séquence d'une grande intimité saisit au sein de cette proposition audiovisuelle à haut voltage où l'imagination le dispute à la virtuosité de la réalisation.

À voir et revoir sur la scène de la Muse en Circuit le 24 novembre prochain.

Crédit photographique : © Lysiane Louis