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Angers. Festival Pianopolis. 20-V-2023. Abbaye du Roncerey : George Gerswhin et Duke Ellington par Stan Laferrière, piano. Ruines (divers compositeurs) par Aline Piboule, piano, et Pascal Quignard, textes. Greniers Saint-Jean : Henry Purcell (1659-1695), Georg-Friedrich Handel (1685-1759), François Couperin (1668-1733), Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Gaspard Le Roux (1660-1707) par Justin Taylor et William Christie, clavecins. Paroles de femmes, lieder et mélodies françaises par Natalie Dessay, soprano, et Philippe Cassard, piano. 21-V-2023, Greniers Saint-Jean : Johannes Brahms (1833-1897), Edvard Grieg 1843-1907)et Franz Schubert (1797-1828). Aurélien Pascal, violoncelle ; Alexandre Kantorow, piano. Franz Liszt (1811-1886) et Maurice Ravel (1875-1937) ; Bertrand Chamayou, piano
La première édition du festival Angers Pianopolis a ouvert ses pianos au public angevin aux quatre coins de leur ville, et dans ses lieux patrimoniaux les plus emblématiques. Pianos, mais aussi clavecins y ont chanté sous les doigts de grands interprètes d'aujourd'hui.
L'idée a germé il y a deux ans, sous l'impulsion de Nicolas Dufetel, musicologue d'origine angevine qui a rejoint l'équipe municipale, endossant le titre d'adjoint à la culture et au patrimoine. Lui et Olivier Martin, directeur de la culture et du patrimoine de la ville d'Angers, ont imaginé ce festival qu'ils ont voulu ouvert sur la ville, populaire et exigeant à la fois, croisant les esthétiques musicales et les arts le temps de l'Ascension. Du « piano saltimbanque » de Franck Ciup qui va de place en place et fait halte dans les jardins, à celui de Bertrand Chamayou qui a clôturé cette édition, le public a pu cheminer d'un lieu à l'autre, goûtant tour à tour aux improvisations, au jazz, aux notes mêlées de deux clavecins, du piano et du chant, ou encore du piano et du violoncelle, et à celles cousues des mots de l'écrivain Pascal Quignard. Situés dans un mouchoir de poche au cœur de la ville, à la croisée de ses rues bordées d'anciennes maisons à colombages et de ses jardins urbains regorgeant de roses en cette saison, les édifices historiques et quasi millénaires fondés par Henri II Plantagenet et Foulque III Nerra ont résonné d'harmonies aussi variées qu'intemporelles, de Couperin à nos jours.
On arrive par un petit cloître au jardin du musée Jean Lurçat, guidé par l'écho d'un piano qui met l'eau à la bouche. Là, à l'ombre d'un arbre immense, Franck Ciup joue une musique de son cru, séduisante et de belle humeur, au gré des textes savoureux de Molière à Desproges dits par la comédienne Sophie Parel, mêlant esprit, humour, et poésie. Les deux artistes convient le public, assis selon sur des chaises pliantes ou dans l'herbe tendre, à une ballade goûteuse où il est question de gourmandises, des plaisirs hédonistes des sons et du bon manger.
Après le plaisant hommage à George Gershwin et Duke Ellington du pianiste Stan Laferrière, autour de Porgy and Bess et des plus célèbres standards de jazz (Take the A train, The man I love…), l'abbaye du Roncerey devient l'écrin du récit-récital Ruines, conçu par Aline Piboule et Pascal Quignard. Cet édifice fondé en 1028 sur les ruines d'un sanctuaire du VIᵉ siècle et inscrit par Mérimée en 1840 sur la première liste des Monuments historiques, a subi au cours des âges des remaniements et les affres du temps. Sous ses arcs en plein-cintre, les vestiges de ses riches décors picturaux, ses pierres ça et là épaufrées, la musique jouée par la pianiste et les textes de l'écrivain sonnent avec une force, une profondeur d'une intensité rare et poignante. Première pièce d'un programme musical original superbement travaillé comme elle sait en concevoir, Aline Piboule nous plonge dans l'atmosphère disloquée, désolée de Darknesse visible, écrite par Thomas Adès sur la chanson de John Dowland, qu'elle éclaire de l'intérieur par la fine vibration de ses notes répétées. Ce sont ensuite un Choral de Bach (Ich ruf zu dir, Herr Jesu Christ) transcrit par Busoni, des extraits de Musica Callada de Federico Mompou, la sombre Barcarolle n°9 op.101 de Gabriel Fauré, et le dernier mouvement de la Fantaisie op.17 de Robert Schumann, qui se succèdent avec autant d'intensité expressive sous son toucher d'une extraordinaire précision. Pascal Quignard pèse chaque mot de ce texte qu'il a écrit sur mesure, et qui évoque tour à tour les décombres du Havre au sortir de la guerre, la destruction de l'université de Vincennes, les vestiges de l'Île de Pâques…mais aussi l'automne, cette « ruine parfaitement heureuse ». L'écrivain de sa voix sombre interroge enfin : « où est le mur… où est la maison… où est le port ? » tandis que la pianiste conclut par une bouleversante Sonate de guerre d'Olivier Greif (deuxième mouvement) qui ne laisse pas indemne l'auditeur.
Aux Greniers Saint-Jean, appartenant autrefois à l'hôpital fondé à la fin du XIIe siècle, non loin de l'ancienne salle des malades qui abrite le « Chant du monde » de Jean Lurçat, deux clavecins en vis-à-vis, sous les vignes dorées sur fond bleu nuit d'une tapisserie de Lurçat, attendent Justin Taylor et William Christie. Cela ne fait aucun doute, ces deux artistes se vouent une admiration et une amitié réciproques à en croire les sourires échangés et la fluidité de leurs dialogues musicaux. Leurs sensibilités s'accordent à merveille dans les pièces de Purcell et Haendel, puis celles des compositeurs français : Couperin, Lully, Rameau, et Gaspard le Roux, compositeur dont on ne sait quasi rien, mais dont la musique hardie n'est pas dépourvue de caractère. Un grand moment de grâce et d'élégance.
La journée se termine au même endroit avec Natalie Dessay et Philippe Cassard, sur des « Paroles de femmes ». Les lieder romantiques de Fanny Mendelssohn, de Clara Schumann, et ceux particulièrement remarquables d'Alma Mahler préludent aux mélodies françaises de la seconde partie : autant de portraits de femmes peints par Chausson, Poulenc, Debussy et Gounod, incarnées par la chanteuse avec un sens consommé du théâtre, et une voix qui donne le meilleur d'elle-même notamment dans une mémorable et combien expressive Dame de Monte-Carlo. Philippe Cassard est là, en partenaire idéal qui avec sobriété et justesse de ton, accorde parfaitement ses nuances aux intonations subtiles de Natalie Dessay.
Le dimanche après-midi, les Greniers hébergent deux concerts. Aurélien Pascal et Alexandre Kantorow, réclamés chacun aux quatre coins du monde, savourent sur la scène angevine leurs retrouvailles amicales et cela s'entend. On ne lâche pas une note de leur Sonate n°1 en mi mineur op.38 de Brahms, fiévreuse, passionnée. On se laisse prendre par le charme de son deuxième mouvement « quasi minuetto », délicatement dansant puis chantant à étourdir. Après quatre lieder de Schubert transcrits par Liszt, dont les univers divers trouvent sous les doigts d'Alexandre Kantorow une expression poétique plus vaste et plus évocatrice que les mots, la Sonate pour violoncelle et piano en la mineur op.36 d'Edvard Grieg captive par sa narration, les contrastes de ses états successifs, et la tendre rêverie de son Andante, que les déclinaisons d'un thème dansant populaire viennent réveiller dans le finale. Ovation debout pour ces musiciens, comme cela sera le cas ensuite pour Bertrand Chamayou…
Liszt et Ravel « ont beaucoup de choses à se dire »… en ces termes, Bertrand Chamayou nous présente son programme qui fait dialoguer les œuvres des deux compositeurs. La douce luxuriance sonore des Jeux d'eaux à la Villa d'Este, sous son firmament étoilé, fait écho à l'éclat sacré et à la beauté stellaire de Sposalizio. Puis la ligne sobre et élégante de la Pavane et les jaillissements des Jeux d'eau nous préparent à l'univers en trois dimensions des Miroirs. Le pianiste se fait ici créateur d'espaces autant que d'images, sculpte le son, lui donne sa respiration. L'air des Oiseaux Tristes entre en vibration, la Barque est ballotée par les bourrasques, l'océan ridé par le vent, l'Alborada sonne de tous ses excès, âpre et fière, et les cloches de la Vallée annoncent la délicate poésie du Sonnet n°123 de Pétrarque. Enfin quelle narration, quel débridement sonore dans l' Après une lecture du Dante comme on l'a rarement entendu, vertigineux et puissant dans l'évocation des enfers, immatériel et miraculeux dans celle du paradis !
Pour une première édition, Angers Pianopolis a connu une importante fréquentation. La suite de l'aventure du festival est attendue pour 2024 avec la proposition d'Alexandre Kantorow, désormais son directeur artistique.
Crédit photographique © françois-Julien Chotard
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Angers. Festival Pianopolis. 20-V-2023. Abbaye du Roncerey : George Gerswhin et Duke Ellington par Stan Laferrière, piano. Ruines (divers compositeurs) par Aline Piboule, piano, et Pascal Quignard, textes. Greniers Saint-Jean : Henry Purcell (1659-1695), Georg-Friedrich Handel (1685-1759), François Couperin (1668-1733), Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Gaspard Le Roux (1660-1707) par Justin Taylor et William Christie, clavecins. Paroles de femmes, lieder et mélodies françaises par Natalie Dessay, soprano, et Philippe Cassard, piano. 21-V-2023, Greniers Saint-Jean : Johannes Brahms (1833-1897), Edvard Grieg 1843-1907)et Franz Schubert (1797-1828). Aurélien Pascal, violoncelle ; Alexandre Kantorow, piano. Franz Liszt (1811-1886) et Maurice Ravel (1875-1937) ; Bertrand Chamayou, piano