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Les Cortèges de Sasha J. Blondeau

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La passion de pour les rapports interactifs entre les sources instrumentale et électronique et le concept d'espaces multiples à l'œuvre dans ses compositions depuis 2013, s'inscrit dans son nouveau projet collaboratif avec l'écrivaine Hélène Giannecchini et le danseur François Chaignaud, Cortèges,  programmé dans la prochaine édition du Festival Manifeste, et conviant un orchestre, une partie électronique et un danseur qui se met à chanter, traversant les espaces d'une forme hybride que le compositeur appelle de ses vœux.  

ResMusica : Voilà une proposition qui met en alerte ! Nous supposons que vous connaissiez déjà l'écrivaine Hélène Giannecchini ; comment s'est faite la rencontre avec François Chaignaud ?

 : J'ai en effet rencontré Hélène Giannecchini à la Villa Médicis où nous étions pensionnaires. Un an après, je composais une musique pour la lecture que faisait Hélène de son dernier livre Voir de ses propres yeux dans un petit festival en Bretagne, le festival ICE. Le soir d'avant, François Chaignaud jouait son spectacle sur Hildegarde de Bingen avec Marie-Pierre Brébant. J'ai été très marqué par sa performance. Après cela je suis allé le voir à la Philharmonie où il dansait le Boléro. Mon intérêt pour son travail n'a fait que grandir.

RM : Pouvez-vous revenir sur la genèse du projet ? Avez-vous participé à l'élaboration du texte avec Hélène Giannecchini ?

SJB : Le projet a réellement commencé par la rencontre avec Édouard Fouré Caul-Futy, à l'époque à l'Orchestre de Paris, qui souhaitait me passer commande d'une pièce pour orchestre et électronique. Après avoir rencontré François, j'ai proposé qu'il rejoigne le projet. Puisque je souhaitais qu'il chante, il nous fallait un texte et c'est tout naturellement que j'ai proposé à Hélène de faire partie de l'aventure.

Nous avons beaucoup échangé, notamment sur nos expériences communes, et Hélène nous a fait une première proposition de texte, un début sur lequel nous avons travaillé pendant une première résidence de travail à Royaumont. Suite à cela, il y a eu beaucoup d'aller-retours et le texte ne s'est totalement fixé qu'à la fin de l'année 2022, alors même que j'avais terminé la partition d'orchestre. Nous n'avons fixé les parties vocales que lors de la résidence du mois dernier à l'Ircam. Cela a permis un vrai travail collaboratif au long cours, ce qui est une des dimensions passionnantes de ce projet.

RM : Hélène Giannecchini parle du thème du soulèvement concernant sa partie littéraire. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le sujet qui est traité ?

SJB : Nous travaillons depuis quelques années avec Hélène sur les archives LGBTQI+ qui sont évidemment irriguées par de grands mouvements de lutte. Nous partageons par ailleurs, également avec François, beaucoup d'expériences communes de manifestations. Cela a évidemment alimenté tout notre projet, même si en aucun cas nous ne voulons nous situer sur un terrain d'esthétisation de la lutte. C'est donc sur une ligne de crête que nous avons travaillé, puisque si les questions portées par ces archives, mais aussi nos expériences politiques diverses — et pas seulement celles du mouvement LGBTQI+ — , sont fondamentales, nous voulions éviter au maximum les effets de récupération qui peuvent se produire, d'autant plus avec les grandes institutions qui nous accueillent.

Le récit d'Hélène raconte la trajectoire d'une personne qui sort de chez elle, marche dans la ville et assiste à la formation d'une foule. Pas à pas, elle raconte ce qui la traverse en rejoignant cette masse dont on ne connaît ni la provenance ni les revendications. Cortèges suit les métamorphoses de cette personne et de cette foule, de la solitude mais aussi de la force de la multitude.

RM : Rares sont les danseurs qui chantent. François Chaignaud est une artiste fascinant : comment s'articulent dans sa performance le geste et la voix ?

SJB : C'est tout l'enjeu de cette pièce : comment la voix chantée et la danse adviennent… Il y a beaucoup de texte parlé également. Je souhaitais que tout s'intrique, que tout soit une question d'advenir, y compris pour l'orchestre, et d'une certaine manière les cortèges en eux-mêmes. Il y avait aussi l'enjeu de confronter ce corps seul à la masse d'un grand orchestre et ses presque cent musiciens, qui plus est, cerclés par une partie électronique. Cela a posé des questions artistiques passionnantes et résonne beaucoup avec le texte en lui-même qui confronte un individu à une foule.

RM : Vous parlez d'un travail d'expérimentation totalement inédit pour vous… De quoi s'agit-il exactement ?

SJB : François n'est évidemment pas un chanteur lyrique classique. C'est un autodidacte qui est d'abord danseur et je l'ai aussi choisi pour cela : c'est avant tout un corps qui chante, dont la puissance d'incarnation n'est pas si fréquente.

 

Nous avons travaillé sur différents types de vocalités, qu'on ne trouve pas forcément beaucoup en musique contemporaine. Pour certains passages, j'avais besoin de vocalités très expressives et puissantes, y compris du point de vue du timbre. Pour d'autres, c'est une voix plus classique mais les variations de registres et de timbres m'ont permis de construire une dramaturgie qui épouse les évolutions vocales.

RM : Comment envisagez-vous le rôle de l'électronique adossé cette fois à l'orchestre ? Peut-on parler, comme dans Contre-Espace, de temps et d'espaces multiples qui vont coexister dans la Salle Pierre Boulez de la Philharmonie ?

SJB : J'ai souhaité qu'orchestre et électronique soient très fusionnés et que l'un et l'autre forment une sorte de flux en perpétuelle reconfiguration. L'un n'est jamais la raison d'être de l'autre, la question ne se pose pas ainsi. Écrire pour orchestre et électronique n'est pas comme écrire pour un orchestre un peu augmenté. J'utilise presque essentiellement des sons de synthèse et, de cette manière, il y a moins d'effets de masquage (qui sont plus présents avec des sons dont les morphologies sonores sont proches des instruments acoustiques) si l'utilisation des registres est faite judicieusement. Ainsi, il y a un travail d'orchestration acoustique et électronique qui varie, notamment dans son niveau de fusion, en fonction de la ligne dramaturgique. J'écris une musique qui est souvent assez dense, et pour Cortèges, il y a beaucoup d'éléments qui coexistent et qui évoluent. J'ai passé un temps considérable à travailler la forme, et j'ai utilisé le système d'espaces topologiques que j'ai créé il y a quelques années pour penser et organiser le matériau.

RM : Comment s'est effectué le travail de composition s'agissant des deux composantes, orchestrale et électronique : l'une avant l'autre ?

SJB : Je réalise toujours les parties informatiques/électroniques de mes pièces. De cette manière, je commence à avoir un savoir-faire suffisant pour pouvoir écrire une partition d'orchestre d'abord et réaliser la partie électronique ensuite. Je sais dès le départ avec quels éléments et quels types de sons je travaille. Évidemment, cela bouge au fur-et-à-mesure de la composition et de l'écriture de la partition.

J'ai eu la chance de pouvoir enregistrer une simulation avec l'Orchestre de Paris en février dernier, qui nous a permis de travailler avec François sans orchestre. Mais cela m'a aussi permis de tisser une partition électronique « sur-mesure » pour qu'au final, les plus de dix mille lignes de codes que contient la partition électronique viennent totalement s'insérer dans l'orchestration.

RM : Y a-t-il une action spécifique de l'électronique sur la voix ?

SJB : Non, la voix et les instruments ne sont absolument pas modifiés par l'électronique. Mon travail s'est spécialisé au fil des années sur celui de la mixité et de l'hybridité, non par modification directe du son instrumental mais par l'écriture coordonnée des sons de synthèses et des partitions instrumentales. Ainsi la mixité se joue dans cet entre-deux créé par leur coexistence.

RM : Avec Hélène et François, vous dites « vouloir dépasser les modes de représentations des salles de concert dédiées au grand répertoire » : à quelle expérience audiovisuelle allez-vous convier le public ?

SJB : Je pense qu'il devrait y avoir lors du concert une expérience très immersive, même si le terme ne me convient pas tellement par sa connotation très mainstream et clinquante.

La Philharmonie de Paris est avant tout une salle de concert, et étant donné la deuxième partie qui impliquait un grand changement de plateau, nous avons été très limités en ce qui concerne l'aspect scénographique. Nous avons donc concentré notre attention sur l'aspect musical et chorégraphique.

Il y a cette masse orchestrale, qui est en partie dans le public, et l'ensemble est entouré de haut-parleurs. Je travaille souvent avec des textes qui viennent nourrir la composition. Ici, il y avait le texte d'Hélène, mais je lui avais aussi amené un livre très beau, que j'affectionne particulièrement, qui est le Masse et puissance d'Elias Canetti. L'auteur a fait toute une étude anthropologique de la masse et de la foule, et notamment toute une liste de métaphores naturelles. J'ai donc composé la musique comme un flux qui se métamorphose et prend diverses formes à mesure que le temps avance. Dans ce flux, il y a cette figure du danseur/chanteur, qui va y advenir et y cheminer.

Crédits photographiques : © Radio France / Christophe Abramowitz

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