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L’ensemble Schwerpunkt célèbre le grand Xenakis

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« Iannis Xenakis : Eonta ». Iannis Xenakis (1922-2001) : Eonta (1963-1964) ; Linaia Agon (1972) ; Theraps (1975-1976) ; Khal Perr (1983) ; Keren (1986) ; Mnamas Xapin Witoldowi Lutosławskiemu (1994). Ensemble Schwerpunkt ; Lorenzo Soulès, piano ; Edicson Ruiz, contrebasse ; Dirk Rothbrust, percussion ; Mikael Rudolfsson, trombone ; direction : Peter Rundel. 1 CD bastille musique. Enregistré en 2021 et 2022 à Cologne au Studio Stolberger Strasse, dans la Klaus von Bismarck Saal, la Kleiner Sendesaal et la WDR Funkhaus. Notice de présentation en anglais et en allemand. Deux portfolios avec photos d’Iannis Xenakis et de l’Ensemble Schwerpunkt. Durée : 67:30

 

Vingt-troisième album de bastille musique, label fondé en 2014 et installé à Berlin,  : Eonta réunit six œuvres de chambre du même compositeur.

À musique contemporaine, packaging inventif ! Celui de bastille musique est particulièrement classieux, et l'on ouvre la boîte en carton brut puis déplie le papier de soie noir protégeant l'enveloppe du CD, le livret ainsi que deux portfolios avec le même plaisir impatient que l'on déballe un cadeau. En ouverture, si l'on peut dire, la pièce donnant son nom à l'enregistrement : Eonta (1963-1964) pour piano, deux trompettes et trois trombones. Ce titre, « Étants », fait référence à la philosophie de Parménide, et l'on sent qu'effectivement les mouvements de cette œuvre mouvante de 18 minutes sont soumis à une permanence de l'être, c'est-à-dire ici un principe de constance où les vagues de masses sonores se succèdent sans qu'il y ait véritablement progression : le morceau n'avance pas, il change seulement d'aspect. Et ce qui frappe d'emblée, c'est l'immédiateté expressive de cette musique rude, urgente et conçue comme autre chose qu'un langage. Cela commence par une pluie de notes au piano, imaginée par Xenakis comme un « kaléidoscope sonore animé ». Un beau chaos ! Le piano, c'est l'eau, l'eau du lac qui miroitait alors que le compositeur se laissait porter par une barque et avait les premières intuitions de ce que serait Eonta. Musique âpre, mais belle musique, très belle même, quoique loin de toute séduction, qui mêle le timbre liquide du piano à ceux, spatialisés par des mouvements verticaux et latéraux de deux trompettes (magnifiques duos) et trois trombones. Réputée difficile, la partition demande en effet aux soufflants de se déplacer et de projeter le son en balançant leur pavillon. On entend moins une succession de mouvements qu'une série de « nuages constitués de sons choisis au hasard », selon l'approche stochastique de la composition développée par Xenakis et basée sur le calcul des probabilités.

C'est la théorie des jeux qui préside à l'écriture de Linaia Agon (1972), morceau sous-titré, justement, « jeu musical pour cor, trombone et tuba ». Les mots manquent pour qualifier ce qui se déploie comme une pensée en sons, dans un caractère à la fois austère et nécessaire. Même la perception du temps se trouve modifiée. D'ailleurs, nous sommes ici dans la permanence du mythe, puisque Linaia Agon s'inspire de la légende de Linos, fils d'Apollon et de Calliope, l'une des neuf Muses. Ce musicien accompli reçoit en cadeau de son père une lyre, dont il remplace les cordes en boyaux par d'autres végétales afin d'en améliorer la sonorité. Vexé, Apollon le tue. Apollon, c'est le cor, qui ouvre la pièce, sur une note tenue, avec l'autorité d'un dieu. Et Linos, le trombone, qui, contrairement au mythe, a quelque chance de survivre, car, dans ce jeu où se répondent les trois instruments 13 minutes durant, c'est le compositeur qui juge quelle est la meilleure réponse, indépendamment de la qualité de la musique jouée. Le silence sertit les interventions a-mélodiques des cuivres dont cet opus utilise tout l'éventail dynamique.

Theraps (1975-1976) démarre sur un rythme martelé rappelant celui du Sacre du Printemps, quand, après la longue introduction de l'« Adoration de la Terre », les hommes piétinent cette dernière dans une sorte de folie extatique. Ensuite alternent des moments d'une rare énergie et d'autres qui en sont comme les échos. On pourrait redouter l'ascétisme de ce long solo de contrebasse de 13 minutes : il n'en est rien, tant ce monologue utilisant toutes les possibilités de l'instrument captive encore par ce caractère nécessaire étranger à toute coquetterie. réalise une véritable performance.

La palette sonore s'élargit d'un coup avec Khal Perr (1983), pour deux trompettes, cor, trombone, tuba et percussion. Et l'entrée majestueuse des cuivres se trouve adoucie par le vibraphone. Le mariage des timbres est très réussi tout au long de cette sorte de course vitale qui repousse les limites de jeu des soufflants.

Le programme de ce disque est bien pensé, ménageant un nouveau changement d'instrumentarium et d'atmosphère avec Keren (1986) pour trombone. Cet ouvrage surprend par son caractère mélodique, hommage à l'héritage hébraïque de celui qui la créa et à qui elle est dédiée : Benny Sluchin. Une très belle méditation à la couleur étonnamment introvertie. Mikael Rudolfsson renouvelle la prouesse d'exploiter tout le potentiel de son instrument.

Nouvel aspect de l'inventivité de Xenakis avec Mnamas Xapin Witoldowi Lutoslawskiemu (1994), courte pièce de 4 minutes pour deux cors et deux trompettes. Le site B.R.A.H.M.S. de l'Ircam signale que la partition éditée comporte deux erreurs dans le titre : Mnamas Xapin au lieu de Mnimis kharin. En grec, mnimis kharin signifie « à la mémoire de »… ici Witold Lutoslawski. Il s'agit d'une thrénodie, chant de deuil chez les Grecs anciens, ici lente et solennelle célébration de la dissonance. Le mot qui vient est : bouleversant.

Ce disque de l' est une véritable bénédiction qui nous rappelle quel génie est Xenakis, ce Grec tenant dans une main la plus haute Antiquité et dans l'autre la plus grande modernité. Un moment d'une rare intensité dont on ne ressort pas indemne, puisque, comme dirait Pascal Dusapin, y souffle le vent de la création avant même l'idée de musique !

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« Iannis Xenakis : Eonta ». Iannis Xenakis (1922-2001) : Eonta (1963-1964) ; Linaia Agon (1972) ; Theraps (1975-1976) ; Khal Perr (1983) ; Keren (1986) ; Mnamas Xapin Witoldowi Lutosławskiemu (1994). Ensemble Schwerpunkt ; Lorenzo Soulès, piano ; Edicson Ruiz, contrebasse ; Dirk Rothbrust, percussion ; Mikael Rudolfsson, trombone ; direction : Peter Rundel. 1 CD bastille musique. Enregistré en 2021 et 2022 à Cologne au Studio Stolberger Strasse, dans la Klaus von Bismarck Saal, la Kleiner Sendesaal et la WDR Funkhaus. Notice de présentation en anglais et en allemand. Deux portfolios avec photos d’Iannis Xenakis et de l’Ensemble Schwerpunkt. Durée : 67:30

 
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