De l’enfance à l’adolescence autour des Voix d’enfants au Théâtre Edwige Feuillère

La 14e édition du Mois Voix d'enfants/Espace scénique a rassemblé un millier de jeunes chanteurs à Vesoul : une rencontre régionale de chœur d'enfants, un séminaire consacré à L'enfant au cœur du processus de création scénique, une douzaine de spectacles dont une Grande Duchesse de Gérolstein délocalisée chez les scouts, le retour de Jim Papoulis, et une soirée qui a vu se confronter Le Chœur Lumière fait son cirque à la nouvelle comédie musicale de Jérôme Brie : Pochette surprise.

En mai, le Théâtre Edwige Feuillère, via son Pôle d'excellence unique en France (laboratoire de 10 ans d'âge sur la création avec voix d'enfants, lieu de formation, de transmission) rajeunit ses artistes et son public. Le jeune Chœur Lumière, fondé en 2021 par Julien Jacquot, porte bien son nom, qui met en avant une cinquantaine d'élèves de tous profils du Collège Lumière de Besançon. De la Sixième à la Troisième, aucune sélection pour ces interprètes animés du désir de créer ensemble sous la houlette d'un homme-orchestre infiltré (Julien Jacquot soi-même) les accompagnant du clavier au long d'une pleine heure de chansons connues ré-arrangées par ses soins. Si Le Chœur Lumière fait son cirque, dynamisé par la thématique circassienne, est une cure de jouvence inespérée pour Maxime Le Forestier, Yves Dutheil, et même Mireille Mathieu, c'est le nouvel arrangement du Clown de Soprano, investi jusqu'à la transe par la troupe, qui fait chavirer la salle. L'univers du cirque fait éclore une kaléidoscopique floraison de costumes autour d'un fil rouge dramaturgique faisant défiler des instants de vie d'autant plus touchants qu'ils sont évoqués par des enfants chantants et dansants prenant particulièrement bien la lumière.

Bénéficiant elle aussi des mirifiques moyens techniques du Théâtre Edwige Feuillère, la pièce maîtresse de la soirée, Pochette surprise, troisième composition de Jérôme Brie, a été spécifiquement composée pour Chœur en timbre, ensemble vocal féminin fondé au Collège Victor Hugo de Besançon par Dominik Deloffre. Après Les Liens du son et surtout le très émouvant Les derniers jours de Toussaint Louverture (un très recommandable livre-disque Grinalbert), Pochette surprise rappelle les atouts-maîtres de l'ensemble : fraîcheur vocale, justesse, écoute collective, et autonomie complète, les quinze adolescentes n'étant pas dirigées par leur chef lequel, le temps du spectacle, préfère jouir, et on le comprend, de la place du spectateur lambda.

Pochette-surprise (livret du compositeur) narre, en une petite heure, treize moments de la vie d'une adolescente à un moment-charnière de son existence : Héloïse doit faire face en même temps à une rupture sentimentale, une soutenance de mémoire, la mort redoutée d'un oncle qui a remplacé un père trop tôt disparu, et même la naissance d'un nouvel amour avec le garçon du dessus, le tout dans un monde harcelé par la téléphonie moderne. Pochette-surprise tire son titre du nom d'un site de rencontres dont les notifications rythment le quotidien toujours en mouvement d'Héloïse. Un tourbillon bien rendu par la mise en scène cinématographique de Christophe Vincent, chacun des tableaux étant introduit de sonores : « Silence demandé ! Lumière ! Moteur! Ça tourne ! Action ! » Au sein d'un ensemble plus à l'aise avec les mots chantés ou dansés que parlés, Lomane Perrier porte avec beaucoup de naturel et une voix joliment timbrée un destin qui pourrait être le sien. Accompagnées d'un volubile trio d'instrumentistes (piano, saxophone, batterie, contrebasse), oscillant entre swing insoucieux et abandon mélodique, les compositions de Jérôme Brie (on retient les machines à bis Celui qui manque et Les sœurs Palente, mais aussi le mélancolique J'ai su faire) épousent en dix chansons la grande variété des affects. Tous les rôles sont chantés par des filles vengeant, quelques siècles plus tard, un temps où tous les rôles étaient chantés (injonction religieuse oblige) par des garçons.

Mais que diable, après avoir si bien séduit, pourquoi Pochette-surprise se pique-t-il soudain d'invalider l'injonction-mère de bien des réussites ? On peut s'autoriser des baisses de tension au milieu mais on doit absolument réussir son début et sa fin. Pochette surprise, au crescendo musical d'un vrai finale, préfère le decrescendo parlé d'un ultime dialogue énoncé mezza voce entre Héloïse et son oncle, qui laisse clairement son spectateur en rade. Cette chute sans rime ni raison, au terme d'un musical qui aura cligné de l'œil en direction de la politique (on y aura moqué certaines raffarinades), de certaines problématiques contemporaines (genre, décolonisation,…), entraîne alors tout un chacun à se demander ce qu'on a voulu lui raconter. Il manque clairement une, voire deux chansons. Une frustration que l'on souhaite ardemment voir dissipée lors d'une éventuelle reprise d'une Pochette-surprise, qui, à l'image des pochettes-surprises de notre enfance, osera révéler, tout au fond de son emballage, son trésor caché.

Crédits photographiques : © Sébastien Peltier