Bel hommage de Christoph Eschenbach à Franz Schreker
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Franz Schreker (1878-1934) : Nachtstück (tiré de l’opéra Der ferne Klang ) ; Valse lente ; Kammersymphonie ; Vom ewigen Leben (deux lieder) ; Fünf Gesänge für tiefe oder mittlere Stimme (cinq lieder) ; Kleine Suite ; Romantische Suite op. 14. Chen Reiss, soprano ; Matthias Goerne, baryton ; Konzerthausorchester Berlin, direction : Christoph Eschenbach. 2 CD Deutsche Grammophon. Enregistrés au Konzerthaus de Berlin en mars, mai et juin 2021. Texte de présentation et traductions en anglais. Durée totale : 127:19
Deutsche GrammophonDans un très beau florilège de lieder et de pièces orchestrales baptisé « le son lointain », comme son plus célèbre opéra, Christoph Eschenbach contribue à restituer à ce compositeur mal connu qu'est Franz Schreker le lustre qui lui a été usurpé.
Triste destin musical, que celui de Franz Schreker. Après le démarrage de sa carrière sur des chapeaux de roue (triomphe de son opéra Der Ferne Klang en 1912, nomination au poste de directeur du conservatoire de Berlin en 1920…) sa carrière a été littéralement brisée par les nazis, qui l'ont persécuté et interdit de toute part. Il est étonnant de constater que presque un siècle plus tard, Schreker peine encore à reprendre la place qui est la sienne, celle d'un compositeur majeur du début du XXᵉ siècle, de la même importance qu'un Gustav Mahler ou d'un Richard Strauss. Certes, les mélomanes ont tous entendu parler de lui. Certes, on dispose de quelques belles gravures par-ci par-là et on a joué il y a peu quelques-uns de ses plus beaux opéras (par exemple à Strasbourg en 2022, Der Schatzgräber), mais il nous manque toujours une belle intégrale, ou du moins de belles collections produites par des marques majeures. Espérons que ce très beau coffret publié par l'historique « Deutsche Grammophon Gesellschaft » marque le début d'une forme de reconnaissance et contribue à sortir Schreker de l'ornière où l'histoire l'a bloqué.
Le programme, composé comme une très longue symphonie lyrique en alternant des pièces orchestrales et des lieder avec orchestre, montre Schreker sous de nombreuses facettes et donne une juste mesure de la profondeur de son génie. Dès les premières mesures du Nachtstück, on est saisi par la splendeur des élans profonds et mesurés de ce nocturne, et par le scintillement de cette nuit obscure. D'abord crépuscule nostalgique, la nuit devient peu à peu un océan magnifique de couleurs ombrées et trans-illuminées. Si Schreker fait parfois penser à ses contemporains, Mahler, Zemlinsky, Schönberg, et surtout Pfizner, il est avant tout quelqu'un qui a parfaitement appris, compris et digéré son Wagner. Plus mondaine, plus claire, la Valse lente apporte un peu de fraîcheur dans une œuvre toujours marquée par la gravité et la retenue des émotions. La Kammersymphonie (déjà enregistrée par Eötvös, Gielen, Neuhold et Welser-Möst…) déploie ses chatoiements délicieux et ses contrastes pseudo-mahlériens dans un luxe de couleurs proche de l'hallucination sonore. Tout aussi grisants et magnifiques sont la Kleine Suite et la Romantische Suite. Christoph Eschenbach est parfait pour diriger ces œuvres, à la fois profondément lyrique, mais d'un lyrisme un peu gourmé, sans étalage excessif de sentimentalité. Il excelle surtout à tisser des lignes qui s'entrelacent et magnifient l'écriture subtile et raffinée de Schreker. Le Konzerthaus orchester de Berlin le suit admirablement dans ses intentions, très clair de texture, pouvant prendre à loisir des allures d'orchestre de chambre comme de grand philharmonique.
Schreker a laissé peu de Lieder, et ceux-ci sont des œuvres très abouties, riches par leur texte et par leur orchestration. Von ewigen Leben propose une méditation métaphysique d'une poésie dense, à partir d'herbe, de feuilles ou de racine. La ligne de chant, acrobatique, s'insinue dans l'orchestration et s'y fond progressivement. Chen Reiss y est superbe à tout point de vue. Elle chante comme un ange, se joue de tous les écarts de sa partie, et son élocution est très suffisante. Matthias Goerne, dans les Fünf Gesänge, est d'une trempe encore supérieure : toujours royal voire prophétique, il trouve des couleurs de timbre qui se superposent à celles de l'orchestre et porte ses poèmes jusqu'à l'incandescence. Sa façon d'accepter la mort au terme de son cycle est simplement sublime.
Ceux qui aiment la Quatrième de Mahler, le Lied von der Erde de Mahler et la Lyrische Symphonie de Zemlinsky n'hésiteront pas, et acquerront rapidement cet album magnifique. Il se situe au même niveau de grandeur, de poésie et de beauté.
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Franz Schreker (1878-1934) : Nachtstück (tiré de l’opéra Der ferne Klang ) ; Valse lente ; Kammersymphonie ; Vom ewigen Leben (deux lieder) ; Fünf Gesänge für tiefe oder mittlere Stimme (cinq lieder) ; Kleine Suite ; Romantische Suite op. 14. Chen Reiss, soprano ; Matthias Goerne, baryton ; Konzerthausorchester Berlin, direction : Christoph Eschenbach. 2 CD Deutsche Grammophon. Enregistrés au Konzerthaus de Berlin en mars, mai et juin 2021. Texte de présentation et traductions en anglais. Durée totale : 127:19
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