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Katia Kabanova à Lyon : l’assassin court toujours

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Lyon. Opéra. 9-V-2023. Leoš Janáček (1854-1928) : Káťa Kabanová, opéra d’après L’Orage d’Alexandre Ostrovski. Mise en scène : Barbara Wysocka. Décor : Barbara Hanicka. Costumes : Julia Kornacka. Lumières : Benedict Zehm. Avec : Willard White, basse-baryton, (Dikoj) ; Adam Smith, ténor (Boris Grigorjevič) ; Natascha Petrinsky, mezzo-soprano (Kabanicha) ; Oliver Johnston, ténor (Tichon) ; Corinne Winters, soprano (Káťa) ; Benjamin Hulett, ténor (Váňa Kudrjáš) ; Ena Pongrac, mezzo-soprano (Varvara ; Karine Motyka, soprano (Glacha), Pawel Trojak, ténor (Kouliguine) ; Giulia Scopelletti, soprano (Fekloucha) ; Alexandra Guérinot, mezzo-soprano (Une femme du peuple) ; Robert Lewis, ténor (Un passant). Chœur (chef de chœur : Benedict Kearns) et Orchestre de l’Opéra de Lyon, direction : Elena Schwarz

Mise en scène, décor, direction d'orchestre : l'Opéra de Lyon a confié les rênes du chef-d'oeuvre de Janáček à un trio d'artistes féminines bien décidées à en découdre avec le traditionnel destin réservé à nombre d'héroïnes du répertoire lyrique.

« Espérons, pour l'avenir, des fins différentes.» L'opéra ou la résurrection des femmes : tel est le vœu de . Des héroïnes qui renâclent à mourir sous la plume des librettistes et des compositeurs : on en dénombre déjà quelques-unes. En 2017, , exceptionnelle Katia salzbourgeoise, genevoise, aujourd'hui lyonnaise, ne voulait déjà pas expirer au terme de La Traviata bâloise de Daniel Krämer ; en 2008, Dmitri Tcherniakov sauvait in extremis les Carmélites de la guillotine ; sa Brünnhilde berlinoise de 2022 renâcle aussi bien à se jeter dans le brasier du Crépuscule des dieux qu'à se laisser circonscrire dans les flammes de La Walkyrie ; quant à sa Carmen aixoise, elle menait carrément le jeu… Dans le sillage de ces metteurs en scène masculins, , qui déclare ne pas aimer « montrer les femmes comme des victimes », repêche à son tour Katia de la noyade. La metteuse en scène polonaise préfère noyer métaphoriquement son héroïne sous la chute d'une pluie libératrice s'abattant du plafond de son appartement sur les épaules de celle qui s'était noyée dans la passion.

La Katia de Wysocka habite un immeuble vu en coupe dont les neuf appartements occupent l'intégralité du cadre de scène. Un dispositif vertigineux, au spectaculaire problématique, sa pleine visibilité ne pouvant s'appréhender que du premier balcon. Lacéré par une volée d'escaliers, cet univers bétonné laisse entrevoir, comme dans le Playtime de Tati, l'intérieur des intérieurs (un ameublement spartiate : un canapé, une baignoire, une douche), mais reste muré à cour au-dessus d'un tourniquet de jardin d'enfants. Sur ce décor tagué sporadiquement des pensées profondes de l'héroïne, de quelques bouffées poétiques (vidéos de pieds, de mains), s'est invitée l'humidité comme s'invitera à vue, avant le duo final, une végétation rampante. Un environnement aussi désolant que désolé, mais qui, en dépit de son introduction et de sa conclusion, reste assez peu habité par la direction d'acteurs d'une metteuse en scène surtout occupée par la résurrection de son héroïne.

Katia selon Wysocka est une résistante « aux normes de genre » après que la metteuse en scène, dans sa note d'intention, lui a fait passer avec succès le « Test de Bechdel ». Janáček aurait été étonné d'apprendre qu'un siècle après son avènement, son sixième opéra serait lauréat du triple saut de haies dudit test, applicable aux œuvres. Un test récemment popularisé par l'excellent auteure de BD Alison Bechdel, à savoir : 1. Au moins deux femmes. 2. Qui parlent ensemble. 3. De quelque chose sans rapport avec un homme. La première image montre une femme regardant de loin un attroupement autour d'un brancard sans cadavre. L'opéra étant vu comme un long retour en arrière, la dernière image est la même, mais cette fois le spectateur, renseigné, aura identifié Katia: une femme dévorée par sa passion pour un homme (pour preuve l'anorak d'icelui, seconde peau dont elle ne peut se départir). Katia, quoi qu'en dise sa nouvelle metteuse en scène, est l'héroïne de Passion simple, le brûlant ouvrage d'Annie Ernaux.


, tout juste libérée des mains de Barrie Kosky, de celle de Tatjana Gürbaca, illumine la scénographie marthalérienne de . Sans posséder la touffeur émotionnelle d'Elisabeth Södeström, elle impose, tableau après tableau, un très beau personnage de femme. La quasi-épilepsie qui la secoue au sol, après ses aveux de l'Acte III, sous les coups de boutoir du torrent orchestral libéré par (les trois actes sont donnés sans entracte), est un moment puissant. La cheffe, même sans la transparence ni le velours des Wiener Philharmoniker avec lesquels Mackerras sut si bien extirper du silence, dans les années 70, le chef-d'oeuvre que avait composé en 1920 à partir de L'Orage, la pièce écrite deux ans plus tôt par le dramaturge russe Alexandre Ostrosvki, n'en impressionne pas moins par une lecture pleine de contrastes, soucieuse de souligner les nombreuses séductions d'un opéra très bref (1h45), à l'orchestration (l'utilisation des timbales !) et à la vocalité envoûtantes, au lyrisme pudique, aux choeurs aussi brefs que percutants.

Dans cet opéra qui ne peut se passer d'hommes, et où l'on aura remarqué la fraîcheur d' en Varvara (la deuxième femme du Test de Bechdel), les comprimarii (formidable Kouliguine de Pawel Trojak). Koudriach, l'amant de Varvara, est confié au toujours très probe . Celui de Katia, le beau Boris d' (aigus clairs et chargé d'émotions), éloigné autant que possible du séducteur inconséquent, s'avère déchirant au final lorsqu'il se rend compte des flots de passion qu'il a inspirés. semble avoir retrouvé une seconde jeunesse vocale en Dikoï. complète d'un Tichon déchiré cette galerie d'hommes pointés par Barbara Wysocka, mais qui, tous, ne sont en fait que des amateurs face à la belle-mère de Katia, la Kabanicha, dont l'on s'étonne que, toute occupée au sauvetage de son héroïne, la metteuse en scène n'a pas fait grand-chose de cette femme en tous points redoutable. N'étaient les sur-titres, on n'identifierait pas forcément, à la lecture des seules images, ce monstre de toxicité. Bien qu'armée de la vocalité idoine, se démène en pure perte, et, un comble, passe presque inaperçue. Loin de la fascinante production aquatique de Robert Carsen (son meilleur spectacle avec son célébrissime Songe d'une nuit d'été), la lecture utile de Barbara Wysocka (la résurrection d'une Katia affranchie de ses bourreaux) reste, de ce fait, quelque peu timorée, à l'image de ces séquences, d'une étonnante pruderie, au cours desquels la metteuse en scène fait prendre à ses chanteurs des douches… en sous-vêtements ! Aveuglée par son envie de questionner le patriarcat, Barbara Wysocka s'est trompée de cible. Vu que l'assassin court toujours, sa plaidoirie frise l'erreur judiciaire. Il aurait été tellement plus juste de fouiller, jusqu'à lui faire rendre gorge, la psyché toxique de cette troisième femme, la Kabanicha, briseuse de ménages et assurément « invalideuse » de Test de Bechdel, qui, avant de remercier la foule hurlante de l'avoir aidée à tuer sa bru, avait auparavant osé reprocher à son fils de préférer sa femme… à sa mère !

Crédits photographiques : © Jean-Louis Fernandez

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Lyon. Opéra. 9-V-2023. Leoš Janáček (1854-1928) : Káťa Kabanová, opéra d’après L’Orage d’Alexandre Ostrovski. Mise en scène : Barbara Wysocka. Décor : Barbara Hanicka. Costumes : Julia Kornacka. Lumières : Benedict Zehm. Avec : Willard White, basse-baryton, (Dikoj) ; Adam Smith, ténor (Boris Grigorjevič) ; Natascha Petrinsky, mezzo-soprano (Kabanicha) ; Oliver Johnston, ténor (Tichon) ; Corinne Winters, soprano (Káťa) ; Benjamin Hulett, ténor (Váňa Kudrjáš) ; Ena Pongrac, mezzo-soprano (Varvara ; Karine Motyka, soprano (Glacha), Pawel Trojak, ténor (Kouliguine) ; Giulia Scopelletti, soprano (Fekloucha) ; Alexandra Guérinot, mezzo-soprano (Une femme du peuple) ; Robert Lewis, ténor (Un passant). Chœur (chef de chœur : Benedict Kearns) et Orchestre de l’Opéra de Lyon, direction : Elena Schwarz

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