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Le Conte du Tsar Saltane à Strasbourg : Un Tcherniakov grand cru

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Strasbourg. Opéra national du Rhin. 5-V-2023. Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) : Le Conte du Tsar Saltane (Сказка о царе Салтане), opéra en un prologue et quatre actes sur un livret de Vladimir Bielski, d’après Alexandre Pouchkine. Mise en scène : Dmitri Tcherniakov, reprise par Joël Lauwers. Décors : Dmitri Tcherniakov. Costumes : Elena Zaytseva Lumières et vidéo : Gleb Filshtinsky. Avec : Ante Jerkunica, le Tsar Saltane ; Tatiana Pavlovskaya, la Tsarine Militrissa ; Bogdan Volkov, le Tsarévitch Gvidone ; Stine Marie Fischer, Tkachikha (la Tisserande) ; Bernarda Bobro, Povarikha (la Cuisinière) ; Carole Wilson, Babarikha ; Julia Muzychenko, la Princesse-Cygne ; Evgeny Akimov, le Vieil Homme / Premier Navigateur ; Ivan Thirion, le Messager / Deuxième Navigateur ; Alexander Vassiliev, le Bouffon / Troisième Navigateur. Chœur de l’Opéra national du Rhin (Chef de chœur : Hendrik Haas). Orchestre philharmonique de Strasbourg, direction : Aziz Shokhakimov

Avec cette production créée en 2019 à Bruxelles, le trublion de la scène opératique confirme que c'est dans l'opéra russe, et singulièrement dans l'univers féérique de maints ouvrages de Rimski-Korsakov, qu'il trouve ses plus éclatantes réussites.

Dans le cadre de son festival annuel Arsmondo, dédié cette fois au monde slave, l'Opéra national du Rhin (OnR) a eu la riche idée de présenter Le Conte du Tsar Saltane, une coproduction du Théâtre Royal de La Monnaie de Bruxelles et du Teatro Real de Madrid. L'œuvre, de la pleine maturité de , est rare en Occident mais très prisée en Russie puisqu'inspirée d'un conte de Pouchkine ultra célèbre et raconté à tous les enfants dès leur plus jeune âge. C'était de plus l'occasion de faire venir pour la première fois à l'OnR le metteur en scène russe mondialement connu pour ses relectures souvent radicales.

Comme il en a l'habitude, propose un nouvel éclairage de nature psychologique sur le livret. La Tsarine et le Tsarévitch Gvidone de l'histoire ne sont plus qu'une épouse abandonnée avec son fils par le père de ce dernier. L'enfant est autiste et c'est par la métaphore du conte que sa mère tente de lui faire reprendre contact avec la réalité et comprendre son histoire traumatique afin de se reconstruire. Deux plans, deux univers se superposent. A l'avant-scène, où l'on pénètre exclusivement depuis la salle par des praticables, le terne quotidien juste agrémenté de quelques chaises et des jouets de l'enfant. A l'arrière, le monde fantasmagorique du conte du Tsar Saltane qui se révèle par transparence à travers un rideau de tulle grâce aux magiques éclairages de Gleb Filshtinsky. Un monde de bande dessinée que commence à tracer Gvidone avant que les vidéos (Gleb Filshtinsky encore, réalisées par Show Consulting Studio) ne prennent le relai, où les personnages vivants s'intègrent à la perfection, où la couleur éclate dans les incroyables costumes d'Elena Zaytseva, où la légèreté et le comique apportent leur contrepoint bienvenu.

Outre sa réussite visuelle, la force de cette mise en scène tient à la parfaite interpénétration de ces deux niveaux de lecture et à l'enrichissement mutuel qu'ils s'apportent, suscitant la réflexion autant sur la signification profonde des contes enfantins que sur les travers du monde contemporain. Le retour à la dure réalité au dernier acte, avec la visite du père de Gvidone qui tente de renouer des liens avec son fils, n'en est que plus violent. Malgré le soutien affectueux de sa mère, malgré l'amour qu'il a trouvé chez la Princesse-Cygne devenue sa thérapeute, Gvidone échoue et le spectacle se clôt sur son image martelant désespérément de ses poings la porte d'accès au monde du rêve désormais close. Contrairement au conte, point de happy end.

La distribution affichée reprend en partie celle de Bruxelles. On y retrouve par bonheur son élément fondamental : le Tsarévitch Gvidone de , présent en scène du début à la fin. Acteur doué (il nous fait croire avec authenticité à son comportement autistique), chanteur talentueux (timbre clair et sonore, parfaite homogénéité), il contribue de manière décisive au succès du spectacle. Annoncé malade, en Tsar Saltane montre quelques faiblesses dans l'extrême aigu mais fait toujours valoir son magnifique timbre de basse profond, coloré et tonnant. En trio contrasté, reprend son ogresque Babarikha, sa Tisserande de haute tenue et sa Cuisinière plus acidulée.

Parmi les nouveaux venus, est une merveilleuse Princesse-Cygne à l'aigu limpide et aérien, au timbre soyeux et enveloppant. La Tsarine Militrissa de peine quelque peu aux deux extrémités de sa tessiture (aigus qui plafonnent et graves qui s'assourdissent) mais se rachète par son intensité tragique et son engagement scénique. Dans le rôle du Vieil Homme (qui rappelle un peu l'Innocent du Boris Godounov de Moussorgski), Evgeny Akimov est l'idéal ténor de caractère au ton plaintif. Ivan Thirion a l'éloquence nécessaire au Messager tandis qu'Alexander Vassiliev campe un Bouffon comique et virevoltant. Tous trois s'apparient avec réussite au troisième acte pour les trois Navigateurs. Le Chœur de l'OnR se montre aussi très à l'aise, y compris dans la langue russe, et réussit une belle performance, même lorsqu'il est cantonné aux loges latérales ou hors-scène.

Constamment en mouvement, dansant sur son podium, le chef assure une battue énergique, très rythmée, animée. Les nombreux moments vifs d'inspiration folklorique ou à connotation martiale en tirent bénéfice. La retenue (la berceuse du premier acte, les intermèdes musicaux, les dialogues) lui convient moins. Dans sa tendance trop fréquente à brusquer le tempo, il compromet souvent la cohésion de l'ensemble et surtout ne prend pas le temps de détailler les subtiles et riches couleurs de la partition. Dommage pour les talents d'orchestrateur de Rimski-Korsakov ! D'autant que l' ne se montre pas cette fois sous son meilleur jour. Cordes grêles et sèches, bois acides, cuivres trop en avant, les timbres instrumentaux manquent de fondu et d'homogénéité.

Mais qu'importent ces menues réserves ! C'est un accueil enthousiaste et unanime qui a salué au rideau final l'ensemble des protagonistes, réservant ses applaudissements les plus nourris à , à et, la chose n'est pas si fréquente, au metteur en scène Dmitri Tcherniakov qui s'en est montré ravi.

Crédit photographique : (Gvidone), (la Princesse-Cygne) / Bogdan Volkov (Gvidone, à l'arrière), (Militrissa, au centre) © Klara Beck

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Strasbourg. Opéra national du Rhin. 5-V-2023. Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) : Le Conte du Tsar Saltane (Сказка о царе Салтане), opéra en un prologue et quatre actes sur un livret de Vladimir Bielski, d’après Alexandre Pouchkine. Mise en scène : Dmitri Tcherniakov, reprise par Joël Lauwers. Décors : Dmitri Tcherniakov. Costumes : Elena Zaytseva Lumières et vidéo : Gleb Filshtinsky. Avec : Ante Jerkunica, le Tsar Saltane ; Tatiana Pavlovskaya, la Tsarine Militrissa ; Bogdan Volkov, le Tsarévitch Gvidone ; Stine Marie Fischer, Tkachikha (la Tisserande) ; Bernarda Bobro, Povarikha (la Cuisinière) ; Carole Wilson, Babarikha ; Julia Muzychenko, la Princesse-Cygne ; Evgeny Akimov, le Vieil Homme / Premier Navigateur ; Ivan Thirion, le Messager / Deuxième Navigateur ; Alexander Vassiliev, le Bouffon / Troisième Navigateur. Chœur de l’Opéra national du Rhin (Chef de chœur : Hendrik Haas). Orchestre philharmonique de Strasbourg, direction : Aziz Shokhakimov

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