Un concert entre liberté et contraintes à la Salle Cortot
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Paris, Salle Cortot, 25 IV 2023. Dell-Lillinger-Westergaard : Grammar. Christopher Dell, vibraphone ; Christian Lillinger, batterie ; Jonas Westergaard, contrebasse. Wolfgang Rihm (né en 1952) : Über die Linie. Benedict Kloeckner, violoncelle. György Ligeti (1923-2006) : Musica Ricercata I, IV et VIII, Etude V (Arc-en-ciel, Livre I), Musica Ricercata VI, Etude X (Der Zauberlehrling, Livre II). Tamara Stefanovich, piano. Stefanovich-Dell-Lillinger-Westergaard : SDLW. Christopher Dell, vibraphone ; Christian Lillinger, batterie ; Jonas Westergaard, contrebasse ; Tamara Stefanovich, piano.
Ce concert intriguant a rassemblé le trio Dell-Lillinger-Westergaard, dont la musique peut être entendue comme le chaînon manquant entre l'héritage du jazz avant-garde et celui des langages contemporains de l'écrit, avec les deux solistes Benedict Klöckner (violoncelle) et Tamara Stefanovich (piano), invités par le trio à jouer des œuvres de Wolfgang Rihm et de György Ligeti.
Le trio ouvre la soirée avec un mélange de Grammar (2012-2019) et de Beats (2020). Christopher Dell (vibraphone), Christian Lillinger (batterie) et Jonas Westergaard (contrebasse) sont placés en face à face, batteur au premier plan, quasiment dos au public, pour lancer une musique organique, mouvante et débordante d'énergie, dont les ostinatos en accords-piliers au vibraphone s'agencent en colonne vertébrale. Le temps se strie des mille modes de jeu de la batterie, frétillante, électrique – Lillinger est fascinant à observer –, tandis que la contrebasse complète par ses chocs sourds le tourbillon sonore enivrant, qui ménage dans un flux ininterrompu des instants de relative suspension et des retours aux attaques puissantes.
C'est au tour du violoncelliste Benedict Kloeckner d'entrer en scène, pour une interprétation profondément habitée de Über die Linie (1999) de Wolfgang Rihm. Dédiée à Heinrich Schiff, cette œuvre d'une virtuosité à couper le souffle débute dans des nuances piano par des harmoniques, des sons feutrés, feulés, puis des pizzicati. Progressivement, le vibrato s'immisce dans le discours, le son prend corps et révèle la nature profondément lyrique de l'œuvre, malgré les brisures constantes. Au travers des doubles cordes rugissantes, des slaps violents, des trémolos furieux et des suraigus chantants, le compositeur explore les registres les plus extrêmes de l'instrument. Après le retour aux affleurements et aux pizzicati, l'œuvre finit de manière spectaculaire par des notes suraiguës, répétées, martelées.
La pianiste Tamara Stefanovich interprète ensuite plusieurs œuvres de Ligeti : Musica Ricercata I, IV et VIII, Etude V (Arc-en-ciel, Livre I), Musica Ricercata VI, Etude X (Der Zauberlehrling, Livre II). Son jeu au grand naturel rend évidents les liens entre des œuvres pourtant si éloignée dans le temps (les Musica Ricertata datent de 1951-1953, les deux premiers livres d'Etudes de 1985 et 1994). Qu'elle embrase l'unique note de la Musica Ricercata I, qu'elle anime avec panache la valse chaotique et hésitante de la Musica Ricercata IV ou qu'elle fasse scintiller les harmonies miroitantes d'Arc-en-ciel, nourrie de Thelonious Monk et Bill Evans, « Andante molto rubato, con eleganza, with swing », Stefanovich convainc parfaitement dans ce répertoire.
La pianiste est rejointe sur scène pour une dernière partie de concert au sein du quartet Stefanovitch-Dell-Lillinger-Westergaard avec SDLW, récemment enregistré sur le label bastille musique, coproducteur de la soirée avec le trio. Comme au début du concert, les partitions sont absentes pour cette « musique libérée, dont l'origine se trouve aussi bien dans la composition que dans l'improvisation » (Stefanovich, livret du CD SDLW, bastille musique, 2022). La musique, un mix de Montbrison, Hvidovre, Beograd I puis Darmstadt, est immédiatement bruitiste, fondée sur un piano entêtant, hypnotisant, entre nuages de notes et clusters. La batterie, nerveuse et riche, est en majesté, dans une mécanique à la fois très huilée et semblant complètement déréglée. Malgré le contraste entre la motorique de Lillinger et de Stefanovitch et le swing de Dell et Westergaard, ce magma sonore à la rythmique complexe fonctionne à merveille.
Il faut encore relever la générosité des musiciens quant aux explications, aux éclaircissements et à l'accompagnement des spectateurs, sur la lignée du discours de présentation de Sebastian Solte, directeur de bastille musique. Christopher Dell, avant la dernière partie, adresse dans ses remerciements un merci pour la salle, son acoustique, sa résonance. De fait, cette Salle Cortot s'est parfaitement prêtée à faire sonner ces musiques, contribuant à leur symbiose : une belle rencontre !
Crédits photographiques : © bastille musique / Sebastian Solte
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Paris, Salle Cortot, 25 IV 2023. Dell-Lillinger-Westergaard : Grammar. Christopher Dell, vibraphone ; Christian Lillinger, batterie ; Jonas Westergaard, contrebasse. Wolfgang Rihm (né en 1952) : Über die Linie. Benedict Kloeckner, violoncelle. György Ligeti (1923-2006) : Musica Ricercata I, IV et VIII, Etude V (Arc-en-ciel, Livre I), Musica Ricercata VI, Etude X (Der Zauberlehrling, Livre II). Tamara Stefanovich, piano. Stefanovich-Dell-Lillinger-Westergaard : SDLW. Christopher Dell, vibraphone ; Christian Lillinger, batterie ; Jonas Westergaard, contrebasse ; Tamara Stefanovich, piano.