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Béjart à l’Opéra de Paris : le chorégraphe comme oiseau de feu

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Paris. Opéra national de Paris. 21-IV-2023. Maurice Béjart : L’oiseau de feu, Le chant du compagnon errant, Le Boléro. Chorégraphie : Maurice Béjart. Avec les étoiles Amandine Albisson, Mathieu Ganio, Florimond Lorieux, Germain Louvet, Hugo Marchand, les Premières Danseuses, les Premiers Danseurs et le Corps de Ballet de l’Opéra. Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction : Patrick Lange

L'Opéra de Paris propose à Bastille un programme Béjart, apparemment hétérogène, composé de trois ballets : L'oiseau de feu, le Chant du compagnon errant et le BoléroMais autant dans leur forme que dans leur propos, ces trois pièces dessinent une histoire de l'art et de l'humanité d'une brûlante actualité.

Le Boléro fut créé en 1961. L'oiseau de feu et le Chant du compagnon errant en 1970 et 1971. Ils témoignent d'une époque en mouvement au sortir de la guerre et en prise avec une volonté de liberté et de révolte. Béjart, en 1961, a 34 ans. De par sa formation classique et son héritage paternel – son père fut, entre autres, professeur de philosophie – le chorégraphe développe très vite une danse aux accents néoclassiques et porteuse d'idées. L'oiseau de feu met en avant une Russie révolutionnaire. Béjart souhaite dégager « l'expression abstraite de ces éléments » : « Le poète, comme le révolutionnaire, est un oiseau de feu ». Sur scène une nuée d'oiseaux composée d'un chœur de danseurs et d'un oiseau de feu, , costumé de rouge. L'ensemble est rejoint dans une seconde partie par des oiseaux renaissants et par l'oiseau Phénix, . Les mouvements reprennent un vocabulaire classique tout en dégageant une énergie moderne dans l'expression d'un discours sensuel et expressif.

Dans ses interviews, Béjart l'affirme : « La danse n'a plus à raconter mais elle a beaucoup à dire ». Et de fait, ses chorégraphies évitent l'écueil du narratif tout en exprimant les attributs du discours : un travail sur les formes, les sonorités, les idées. Dans Le chant du compagnon errant, pas d'histoire à proprement parler mais un pas de deux fait de formes géométriques, de connivences portées par une libération physique propre au travail de Béjart. Toute la sinuosité de épouse magnifiquement la force tutrice de . Le lied accompagnant le duo, magnifiquement interprété par Sean Michael Plumb, est extrait des Lieder eines fahrenden Gesellen de Mahler. Le thème romantique est ici popularisé – l'obsession de Béjart dans toute son œuvre – par une orfèvrerie du geste fluide et spectaculaire merveilleusement servi par les deux étoiles.

Cette performance physique accompagne tout le Boléro. Pas de narration ici non plus. Le rythme obsessionnel de l'œuvre de Ravel accompagne un ballet formel où un ou une interprète exulte sur une table circulaire entourée d'une quarantaine de danseurs. Le chœur représente le « Rythme » et l'étoile , incarne la « Mélodie ». Comme dans presque toutes les pièces de Béjart, l'effet général accompagne avec vigueur une performance athlétique et sensationnelle. Jorge Donn avait popularisé ce Boléro dans le film Les uns les autres de Lelouch, faisant partie d'une liste impressionnante de danseurs l'ayant incarné dont Sylvie Guillem, Aurélie Dupont, Marie-Agnès Gillot, Patrick Dupond, Nicolas Le Riche ou José Martinez. brille d'une présence liée, fluide et délicate, campant une « Mélodie » cernée par un groupe d'hommes tout en force qui semble avaler ce promontoire où trône le parangon d'une beauté pleine de charme.

fut la première danseuse à danser sur la musique de Ravel en 1928, longtemps chorégraphiée dans une tradition du geste pittoresque espagnol. Béjart invente ici une danse universelle, déshabillée du folklore hispanique, au travers d'un art porteur d'idées, exprimant selon ses mots un « rite, à la fois sacré et humain ». La mélodie est bien sacrifiée sur l'autel de la force brute en exaltant dans le même temps une ode à l'énergie vitale brillante et communicative. Béjart est un contemporain d'Antoine Vitez. Tous les deux portent le désir d'un art total charnel et conceptuel où les corps incarneraient des idées.

Sans pour autant épouser toutes les revendications du nouveau roman, école qui lui est contemporaine, Béjart refuse lui aussi la narration. Dégagé de ce qui fut pendant des siècles un impératif, dans ses créations comme dans ses écoles – il fonde l'école Mudra à Bruxelles et l'école Rudra en Suisse – Béjart milite pour un art total porté par l'histoire de l'art et par celle de l'humanité. Les corps de ses créations portent cette envie de révolution : sortir de l'académisme et d'une société corsetée. Mais Béjart peuple également ses pièces d'une intériorité touchante, laissant voir des gestes rentrés, comme des corps en puissance, se réalisant dans l'explosion en acte d'une danse absolue.

De cette volonté toute nietzschéenne de totalité, de puissance, de corps incarnés et immanents, de cet intérêt pour la forme, le discours, l'expression d'idées loin de toute histoire, de ce désir de révolution et cette volonté d'un académisme démocratisé, resteront chez ces élèves – notamment ou – une recherche obsédée de la figure, de l'idée et une volonté certaine de se situer dans son temps. Le programme de cette soirée de l'Opéra témoigne non seulement des préoccupations artistiques du chorégraphe mais fait aussi coexister le temps d'une soirée l'image troublante d'une société fragile, pleine de fougue et toujours irriguée par une recherche formelle féconde habitée de chair et de désir.

Crédits photographiques : © Julien Benhamou

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Paris. Opéra national de Paris. 21-IV-2023. Maurice Béjart : L’oiseau de feu, Le chant du compagnon errant, Le Boléro. Chorégraphie : Maurice Béjart. Avec les étoiles Amandine Albisson, Mathieu Ganio, Florimond Lorieux, Germain Louvet, Hugo Marchand, les Premières Danseuses, les Premiers Danseurs et le Corps de Ballet de l’Opéra. Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction : Patrick Lange

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