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Nunes et Stroppa dans l’acoustique de L’Espro

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Paris. Ircam. Espro 17-IV-2023. Marco Stroppa (né en 1959) : Lance dei crepuscoli, pour électronique (CM) ; Emmanuel Nunes (1941-2012) : Einspielung I pour violon et électronique ; Litanies du Feu et de la Mer, livre I, pour piano ; Nachtmusik I pour cinq instruments et électronique ad libitum. Saori Furukawa, violon ; Caroline Cren, piano ; L’Instant Donné ; Carlo Laurenzi, Augustin Muller, Marco Stroppa, électronique Ircam ; Luca Bagnoli, diffusion sonore Ircam

Rares aujourd'hui sont les concerts qui affichent la musique d'Emmanuel Nunes. Trois œuvres du compositeur portugais servis par les musiciens de L'Instant donné s'inscrivent au programme du dernier concert de l' avant le rendez-vous annuel du festival Manifeste. À leur côté, une création toujours très attendue, pour électronique seule, de .

Sur le plateau de l'Espro trône le « totem électroacoustique », sixième génération de l'outil conçu par le compositeur italien, soit neuf haut-parleurs superposés sur cinq mètres de hauteur, dont les sons s'enroulent autour de la colonne et rayonnent dans l'espace. Le totem assume ce soir un rôle de soliste rejoint par la centaine de haut-parleurs distribués dans l'Espro. Lance dei crepuscoli, au titre emprunté à l'anthropologue Philippe Descola, ne déçoit pas nos attentes, porté par l'imaginaire hors norme du compositeur qui fait voyager l'écoute et suscite des images inédites. En collaboration avec le RIM Carlo Laurenzi et les promesses des deux logiciels Antescofo et Modalys, travaille un matériau puisé dans les musiques du monde, tambour roumain « toaca », voix et chœur échantillonnés, remodelés, étirés, donnant chair et couleur à son œuvre de synthèse. Impressionnantes sont ces spirales géantes qui n'en finissent pas de monter et plongent l'écoute dans un bain sonore immersif.

Les deux compositeurs, et son aîné Emmanuel Nunes étaient amis, ayant enseigné la composition au même moment dans les classes du Conservatoire de Paris. Fidèle des cours d'été de Darmstadt où il suit l'enseignement de Boulez et Pousseur, Nunes travaille également à Cologne avec Stockhausen dont se ressent clairement l'influence dans sa musique. Saori Furukawa, violoniste de L'Instant donné, est seule en scène dans Einspielung I pour violon et électronique (1979-2011), pièce redoutable et aujourd'hui pierre d'angle du répertoire avec électronique au côté de Partita II de Philippe Manoury. Elle bénéficie ce soir de conditions d'écoute optimales. L'électronique live qui réagit au geste de l'instrumentiste apporte une dimension polyphonique et harmonique à la partie de violon. L'écriture est foisonnante et virtuose, la ciselure des contours et l'élégance des formes font merveille sous l'archet de Saori Furukawa.

Seule à son piano et merveilleusement concentrée, Caroline Cren joue ensuite le livre I (23 minutes) des Litanies du Feu et de la Mer (1969-1971) d'une durée totale de 44 minutes : méditation sur cinq notes d'un grand dépouillement, l'œuvre installe au départ la consonance de tierce majeure qui résonne longtemps dans le registre grave du piano. Les aigus ne sont sollicités que par éclats brusques, tout comme ces accélérations du tempo aussitôt réprimées. Le médium de l'instrument est rarement entendu, si ce n'est dans la répétition obstinée d'une seule note, le la, centre névralgique du clavier. Entre retenue et frustration, calme et perturbation, Caroline Cren mène cette méditation tendue avec l'intensité et la beauté du geste qui participent de l'exécution.

Entendue en seconde partie de concert, Nachtmusik1 (1977-1978, rev.1995) réunit une formation singulière et inédite : clarinette basse (placée au centre), trombone, cor anglais, alto, violoncelle et électronique ad libitum : musique des ténèbres, sombre et énigmatique, même si l'alto est souvent utilisé dans les aigus de sa tessiture. L'empreinte stockhausenienne est patente, dans l'absence de déploiement mélodique, le mode itératif pour l'entretien du son, le découpage par « moments » variant brusquement le registre, le rythme, la vitesse, etc. Le temps y est étiré et l'allure ritualisante, l'électronique laissant une trace résonnante à chaque respiration du discours instrumental. Si le titre regarde vers Mahler et sa septième symphonie, c'est Wagner qui est « cité » in fine avec la ligne du cor anglais (Olivier Rousset) paraphrasant la mélodie désolée du début de l'acte III de Tristan et Isolde. Les musiciens de L'Instant donné, qui ont inscrit la pièce à leur répertoire depuis quelques années, empruntent le chemin labyrinthique et son lot d'inattendus avec toute la concentration requise. Le geste y est tendu vers « cet indicible suspendu quelque part entre étrangeté, sensualité et utopie visionnaire ». Ce sont les mots d'un autre grand interprète, trop tôt disparu, d'Emmanuel Nunes, l'altiste Christophe Desjardins.

Crédit photographique : © L'Instant donné /

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Paris. Ircam. Espro 17-IV-2023. Marco Stroppa (né en 1959) : Lance dei crepuscoli, pour électronique (CM) ; Emmanuel Nunes (1941-2012) : Einspielung I pour violon et électronique ; Litanies du Feu et de la Mer, livre I, pour piano ; Nachtmusik I pour cinq instruments et électronique ad libitum. Saori Furukawa, violon ; Caroline Cren, piano ; L’Instant Donné ; Carlo Laurenzi, Augustin Muller, Marco Stroppa, électronique Ircam ; Luca Bagnoli, diffusion sonore Ircam

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