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« Dérive » à la Cité de la musique dans le cadre de la Biennale Pierre Boulez

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Paris. Salle des concerts – Cité de la musique. 16-IV-2023. Arnold Schoenberg (1874-1951) : Musique d’accompagnement pour une scène de film op. 34 ; Alban Berg (1885-1935) : Altenberg-Lieder op. 4, arrangement pour soprano et orchestre de chambre d’Emilio Pomàrico ; Pierre Boulez (1925-2006) : Improvisations sur Mallarmé I et II ; Dérive 2 pour onze instruments. Yeree Suh, soprano ; Ensemble intercontemporain, direction : Matthias Pintscher

En programmant Musique d'accompagnement pour une scène de film d' et Altenberg-Lieder d', la Cité de la musique ne se laisse pas précisément aller à la dérive, mais au contraire remonte jusqu'aux sources qui ont inspiré , dont sont données pour ce quatrième concert de la Biennale qui lui est consacrée Improvisations sur Mallarmé I et II ainsi que Dérive 2. Quand la pédagogie rencontre l'émotion !

 

Invitation ce soir à une réunion « entre amis », pour des œuvres assez peu jouées, dans l'atmosphère intime d'une musique pour petits ensembles, dont est surtout patent le raffinement, lequel est merveilleusement rendu par un et son chef, totalement maîtres de ce répertoire. À une époque, la nôtre, d'ouverture toujours plus grande de la création musicale, l'écriture sérielle et l'esthétique du premier quart du XXe siècle peuvent sembler datées. Tout le paradoxe de notre rapport à un passé récent. La preuve avec Musique d'accompagnement pour une scène de film (1929-1930) d' et son scénario faisant se succéder les mouvements « Lent – Danger menaçant », « Très vite – Angoisse » et « Adagio – Catastrophe ». L'auditeur d'aujourd'hui ne peut recevoir qu'avec distance la forte émotion que le musicien expressionniste voulait provoquer directement chez ses contemporains. Si le côté dramatique demeure, mais sans avoir la même efficacité, il reste la beauté et la complexité d'une page symphonique aussi tendue que colorée.

Pourtant portés par le même dramatisme, moins lointains paraissent les Altenberg-Lieder (1912) d' dans leur arrangement (2008) pour soprano et orchestre de chambre d'. Peut-être que leur brièveté et leur variété (cinq miniatures basées sur des poèmes de Peter Altenberg eux-mêmes inspirés de photos de cartes postales) captivent davantage notre attention, peut-être que leur lyrisme légèrement vaporeux est plus intemporel, et peut-être que, tout simplement, l'expression directement vocale nous touche davantage. Quoi qu'il en soit, nous enchante la voix très souple d' embrassant un ambitus très large et qui domine sans l'écraser l'orchestre de chambre. Le surtitrage en français aide à suivre et comprendre les inflexions de la chanteuse. Un très beau moment fugitif qu'on voudrait revivre immédiatement !

Petit saut dans le temps avec Improvisations sur Mallarmé I et II (1957) de et grand saut esthétique avec ce musicien qui confessait l'influence au moins égale du processus de création qu'il repérait chez les écrivains et des œuvres elles-mêmes dont il s'inspirait. De là un véritable compagnonnage, comme ici avec Mallarmé, dont Boulez épouse l'inventivité, laquelle se base, selon les mots du compositeur, sur « la rigueur du nombre » et « le rythme des valeurs sonores implicites dans le mot ». Formalisme et respect du sens textuel caractérisent donc une musique qui « fait de la dentelle ». L'interprétation sans afféterie d' se conforme à l'esprit du morceau. Tout comme l'acoustique de la Salle des concerts de la Cité de la musique, qui respecte le chatoiement d'une écriture en marqueterie et rend chaque instrument très présent. Ce qui s'entend également dans Dérive 2 pour onze instruments (1988-2006), où les vents et les percussions évoluent sur un tapis de cordes (piano, harpe, violon, alto, violoncelle). Cette partition revue et corrigée sur dix-huit années étonne et charme par l'alternance de longues plages haletantes où s'anime la mosaïque des tuttis et de ponctuations lyriques laissant se détacher l'un ou l'autre soliste (expressifs Diego Tosi au violon et Éric-Maria Couturier au violoncelle). Omniprésent, le timbre du cor, bouché ou en émission libre (Jean-Christophe Vervoitte, aussi bon qu'endurant !), séduit par son timbre chaud. Quant à l'attentif , il danse littéralement sur la musique d'un maître vénéré.

Crédits photographiques :  © Anne-Elise Grosbois

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