Yuja Wang impériale dans Lindberg, Klaus Mäkelä plus discutable dans Sibelius et Tchaïkovski
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Paris. Philharmonie, Grande Salle Pierre Boulez. 13-IV-2023. Jean Sibelius (1865-1957) : Valse triste op. 44 n° 1, extraite de Kuolema ; Magnus Lindberg (né en 1958) : Concerto pour piano n° 3, création française ; Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Symphonie n° 6 en si mineur dite « Pathétique ». Yuja Wang, piano. Orchestre de Paris, direction : Klaus Mäkelä
Dédicataire de l'œuvre, Yuja Wang assure avec une virtuosité confondante la création française du Concerto pour piano n° 3 de Magnus Lindberg tandis que Klaus Mäkelä peine à convaincre totalement dans la Valse triste de Sibelius ainsi que dans la « Pathétique » de Tchaïkovski.
Après une Valse triste (1904) de Jean Sibelius conduite par Klaus Mäkelä sur un tempo exagérément lent au point d'y perdre tout caractère, la pianiste Yuja Wang nous offre une interprétation ébouriffante du Concert pour piano n° 3 de Magnus Lindberg.
Composé en 2022, spécialement à son attention, créé le 13 octobre 2022 au Louise M. Davies Symphony Hall de San Francisco sous la direction d'Esa-Pekka Salonen, ce concerto d'une difficulté technique exceptionnelle, qui n'a rien à envier à Rachmaninov ou à Bartók, laisse une place prédominante au piano face à l'orchestre. Une œuvre qui parle peut-être plus à la raison qu'au cœur par son manque de poésie mais dont on admire la progression épique dans une succession de couleurs changeantes : un concerto puissant qui se déploie en trois mouvements (ou trois concertos regroupés en un seul) pour se composer par lui-même dans la superposition de récits musicaux qui utilisent le même matériau présenté de manière différente en fonction des climats, des tempi, des interventions du soliste et de l'orchestration.
Le premier mouvement s'ouvre sur un piano à découvert, d'emblée percussif, se développant progressivement sur un tapis de cordes, bientôt rejointes par la petite harmonie. On en admire la belle ampleur sonore parfaitement équilibrée entre soliste et orchestre, sur un phrasé assez heurté. La dynamique est tendue, constamment portée par la virtuosité exubérante du piano qui ne faiblira pas tout au long du concerto sous les doigts de Yuja Wang, avant qu'un climat plus méditatif et dissonant ne s'installe, annoncé par la superbe cantilène de la clarinette de Pascal Moraguès, elle-même interrompue par de grands accords lugubres et mystérieux préludant à une cadence qui impressionne là encore par sa digitalité redoutable.
Le second mouvement, introduit par les cordes graves, installe un climat plus sombre dans lequel le piano, pensif, étale ses notes égrenées sur de beaux contrechants de la petite harmonie, avant que la soliste ne reprenne sa chevauchée percussive et implacable ponctuée par les assauts des vents (cuivres), du violon solo et des cordes qui laissent progressivement place à un épisode plus lyrique confié au tutti.
Le troisième mouvement conclut cette interprétation de haute volée en renouant avec une dynamique tendue et virevoltante où le piano se fait plus fluide, exalté par la grande complicité entre soliste et orchestre et par la précision de la direction de Klaus Mäkelä. Généreuse, devant les demandes insistantes du public totalement conquis par cette véritable démonstration pianistique, Yuja Wang offre encore quelques moments de virtuosité et de poésie (tant attendue) avec quatre « bis » empruntés à Chostakovitch, Heino Kaski, Bizet et Sibelius.
Après la pause, malgré la tenue irréprochable de la phalange parisienne, l'interprétation de la Symphonie n°6 dite « Pathétique » de Tchaïkovski, ultime volet de la trilogie du fatum, appelle en revanche quelques réserves. S'inscrivant dans une lecture occidentalisée, Klaus Mäkelä nous en livre une interprétation bien léchée, claire, où manque cependant ce petit supplément d'âme qui fait toute la grandeur des légendaires interprétations russes conjuguant âpreté et urgence (Mravinski par exemple…), pénalisée de plus par une direction excessivement théâtrale et démonstrative avec force effets de manche qui finit par agacer.
Le premier mouvement Adagio-Allegro non troppo entrelace lyrisme (cordes), violence (fanfares de cuivres) et affliction (clarinette, basson), sur un phrasé très en relief, fougueux, riche en contrastes et en nuances dynamiques parfois excessives qui suspendent, hélas, la tension du discours. Le second mouvement Allegro con grazia déroule une belle mélodie sur un rythme de valse mâtinée d'inquiétude, mais la grâce et l'élégance y font un peu défaut pour nous séduire totalement. Le troisième mouvement Allegro vivace est un scherzo dionysiaque porté par une scansion rythmique inexorable où se distinguent tout particulièrement la trompette de Frédéric Mellardi et les cuivres. L'Adagio final, mouvement assurément le plus réussi, fait montre d'une désolation prégnante (basson de Giorgio Mandolesi) dans une sorte de requiem déchirant où l'on apprécie une fois encore les performances solistiques (basson, cuivres et contrechants de cor) d'un Orchestre de Paris chauffé à blanc, en parfaite osmose avec son directeur musical.
Crédit photographique : © Kirk Edwards
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Paris. Philharmonie, Grande Salle Pierre Boulez. 13-IV-2023. Jean Sibelius (1865-1957) : Valse triste op. 44 n° 1, extraite de Kuolema ; Magnus Lindberg (né en 1958) : Concerto pour piano n° 3, création française ; Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Symphonie n° 6 en si mineur dite « Pathétique ». Yuja Wang, piano. Orchestre de Paris, direction : Klaus Mäkelä