Plus de détails
Le cent-cinquantième anniversaire de la naissance de Max Reger est une bonne occasion de (re)découvrir, loin de certains poncifs et clichés, la vie modeste et le catalogue impressionnant de ce compositeur aussi prolifique qu’attachant, au-delà de leurs paradoxes tant personnels que stylistiques. Pour accéder au dossier complet : Max Reger, ce mal entendu
Max Reger, dont on fête cette année le cent-cinquantième anniversaire de la naissance, est l'auteur d'un catalogue d'œuvres impressionnant, presque surabondant, aujourd'hui bien délimité par l'édition critique, et souvent superbement illustré au disque.
L'œuvre de Reger comporte cent quarante-sept opus, – l'ultime rapsodie pour violon et orchestre étant inachevée -, un chiffre trompeur dans la mesure où certains numéros recèlent plusieurs volets a b c voire d, ou plusieurs dizaines d'œuvres (les recueils de chorals pour orgue, les lieder, les miniatures pour piano…). Si l'on y ajoute les œuvres non numérotées, notamment (mais pas exclusivement) de jeunesse, les transcriptions diverses d'œuvres d'autres compositeurs (par exemple les quatre chants sérieux de Brahms pour le seul piano, la légende Saint François de Paule marchant sur les flots de Liszt pour l'orgue, les lieder de Schubert orchestrés…), l'on arrive à plus de mille entrées au catalogue !
Ce dernier n'a fait l'objet d'une publication raisonnée chez Henle sous la direction de Susanne Popp qu'en 2011 : deux épais volumes explorant la somme tant chronologiquement que thématiquement, sous l'égide du Max-Reger-Institut de Karlsruhe, fondé en 1946 à Bonn à l'instigation de la veuve du compositeur, et qui a plus récemment déménagé.
Une étude détaillée d'un tel corpus dépasserait le cadre d'un article d'initiation, et n'existe d'ailleurs pas en français. Nous nous proposons toutefois de guider par quelques références discographiques l'écoute et le choix des mélomanes intéressés voire passionnés par le sujet, car l'exploration du continent Reger permettra de très heureuses surprises et de superbes découvertes pour qui sait tendre l'oreille.
Une œuvre d'orgue pléthorique
L'œuvre d'orgue a fait l'objet de plusieurs publications intégrales et nécessite en moyenne une bonne quinzaine de disques. Celle de Rosalinde Haas (à l'orgue Albiez de Frankfurt-Niederrad) chez MDG, bouclée voici trente ans a, à l'époque, considérablement dépoussiéré le sujet et demeure une référence, mais a priori uniquement disponible en un seul coffret à prendre ou à laisser, vendu à prix doux.
Cpo vient de boucler le projet de sa propre intégrale, souvent très réussie, confiée à Gerhard Weinberger, selon un principe différent : il s'agit de huit doubles disques conçus comme des récitals souvent thématiques, et captés sur seize instruments bien typés, souvent adaptés à chaque sélection, l'orgue symphonique idéal de conception germanique pour jouer « tout Reger » n'existant pas… L'acoustique est parfois plus (voire trop) réverbérée en certains lieux pour certaines œuvres touffues et guère favorisée par une prise de son parfois un rien confuse dans la mise en valeur des volumes et des dynamiques, certains orgues auraient parfois pu aussi parfois être mieux accordés ou harmonisés. Néanmoins, l'interprétation égale, sinon dépasse pour certaines œuvres celle de Rosaline Haas, et l'ensemble disponible en volets séparés, de surcroît à prix d'amis sur certaines plates-formes allemandes, vaut largement le détour.
L'intégrale parue chez Naxos supervisée et co-réalisée par Wolfgang Rübsam est confiée à divers organistes et s'avère plus hétérogène qualitativement, malgré de fort beaux moments.
Le cycle de Jean Baptiste Dupont chez le petit label français Hortus, spécialisé dans la musique d'orgue et les partitions vocales, est toujours en cours de réalisation avec cinq volumes parus à ce jour (comprenant huit disques). Un sixième volume est annoncé. La réalisation est exemplairement soignée, notamment quant aux choix des éditions et des versions successives d'une même œuvre, et permet de recourir à divers grands orgues de conceptions symphoniques sur tout le continent européen (Trondheim, Bristol, Strasbourg, Ulm…) exploités au maximum de leurs capacités par une registration inventive et variée.
Le piano : entre miniatures et cycles de variations monumentaux
L'œuvre pour piano solo recèle, outre quelques œuvres monumentales, beaucoup de miniatures souvent écrites pour le plaisir ou la détente, parmi lesquelles quelques bijoux, qu'il serait bon de voir programmées en concert ou ne serait-ce qu'offertes en bis. Markus Becker, inlassable défricheur de répertoire rare, en a gravé une intégrale en douze volumes séparés pour Thorofon, parfois disponible en lot complet outre-Rhin à prix concurrentiel. Néanmoins, l'on thésaurisera les enregistrements devenus rares de Rudolf Serkin pour les variations et fugue sur un thème de Bach opus 81 (Sony), de Jorge Bolet dans celles inspirées par un thème de Telemann opus 134 (Decca-Ovation). Le passionnant disque, capté un peu bizarrement, comme souvent pour le piano chez cet éditeur, de Marc André Hamelin chez Hyperion Records reprend ces deux cycles augmentés des humoresques opus 20.
La musique de chambre, cœur de l'inspiration régerienne
Il serait fastidieux de dresser une liste des quatre-vingt trois pièces de musique de chambre laissée par le compositeur. Un tri s'avère, ici comme ailleurs, indispensable, vu l'abondance de bien et aussi la répétition des schémas formels (pour les grandes œuvres souvent quatre mouvements avec le scherzo en seconde position), lesquels au contraire du langage de plus en plus harmoniquement hardi, ne progresse pas au fil des compositions.
Si l'on veut se contenter d'un seul chef d'œuvre, sans aucun doute le quintette avec clarinette s'impose comme premier choix. La version de l'ensemble belge Oxalys (Fuga Libera) – clef ResMusica – demeure exemplaire de transparence et de fini dans la réalisation, et le couplage avec les deux piquantes sérénades pour flûte, violon et alto s'avère opportun.
Autre très belle version, celle de l'ensemble Villa Musica chez Mdg, couplée avec le bien plus difficile et impressionnant sextuor opus 118. Mais tous les grands clarinettistes germaniques (citons entre autres Karl Leister, avec les Drolc, chez Dgg, et surtout les Vogler, chez Nimbus) ou Sabine Meyer avec le Wiener Streichsextette, entre autres) ont eu à cœur de graver ce chef d'oeuvre, souvent de fort belle manière.
Les quatuors à cordes demeurent un important jalon, l'intégrale un peu vieillie du quatuor Drolc chez DGG semble indisponible, on lui préfèrera le cycle enregistré par le quatuor de Berne parue en coffret chez Cpo, ou, en volets séparés augmentés des deux quasi mozartiens trios à cordes, celle du quatuor de Mannheim chez Mdg.
Les sonates pour violon et piano (outre les quatre sonates pour violon seul de l'opus 42) ont fait l'objet d'une formidable intégrale chez Cpo sous l'archet d'Ulf Wallin avec son éternel complice le pianiste Roland Pontinen, enrichie d'une plus dispensable intégrale des quatre sonates pour violoncelle et piano, par Reimund Korupp et Rudolf Meister, bien moins convaincants que celle du grand Alban Gerhardt, superbement accompagné par Marcus Becker, à nouveau, offrant en prime les trois essentielles suites pour violoncelle seul opus 131c (Hyperion), lesquelles suites ont connu une surprenante lecture néo baroque sous l'archet de Peter Wispelwey (Channel Classics). Nobuko Imai a quant à elle donné,= chez Bis, aux trois suites pour alto opus 131d, leur version de référence, enrichie par la transcription pour l'instrument de la troisième sonate pour clarinette opus 107. Enfin, dans un double cd Reger/Bach paru chez Mirare, la violoniste japonaise Sayaka Shoji ose un salvateur rapprochement, par le jeu des tonalités, de certaines pages de l'opus 117 du compositeur bavarois, avec trois des sonates ou partitas du Cantor de Leipzig.
La musique symphonique et les concerti
Pour la musique d'orchestre, Leif Segerstam a excellemment gravé pour Bis un panel d'œuvres significatives opportunément regroupées en un coffret économique de trois cd's. On y trouve notamment l'élégante suite de ballet opus 130, les quatre poèmes symphoniques d'après Böcklin opus 128, deux des cycles de variations orchestrales (les Beethoven opus 86 et Mozart opus 132) et l'essentiel prologue symphonique à une tragédie opus 108.
Le plus indigeste concerto pour piano opus 114 y figure dans une honorable version, avec Love Derwinger en soliste, laquelle captation ne peut toutefois pas rivaliser question atavisme avec Rudolf Serkin (très bien secondé par Eugene Ormandy, Sony), ou question abatage avec Marc André Hamelin – allégeant tant et plus la difficile partition – sous la baguette élégante d'Ivan Volkov ( Hyperion).
Le très (trop?) long concerto pour violon opus 101 a bénéficié de plusieurs belles éditions : Benjamin Schmid dirigé par Hannu Lintu (chez Ondine) ou de nouveau Ulf Wallin (très bien dirigé par Ulf Schirmer)… et le Linos ensemble (chez Capriccio) en a gravé la version de chambre réalisée par le grand Rudolf Kolisch à l'intention de la société viennoise d'exécutions privées patronnées par Arnold Schoenberg.
Pour un panorama plus exhaustif de l'œuvre d'orchestre, le coffret de douze cd's édité sous licence par la DGG allemande s'avère un premier choix, plus par la rareté de certaines œuvres proposées (la sinfonietta opus 90, les deux requiem, le monumental psaume 100 opus 106…) que pour les interprétations en tant que telles, souvent très correctes même si l'on trouve (parfois) mieux ailleurs.
Par exemple, pour la version de référence des variations Hiller opus 100, on optera pour Colin Davis avec l'orchestre symphonique de la radio Bavaroise, chez Orfeo, pour Herbert Blomstedt au Gewandhaus de Leipzig (Querstand) et l'on se souviendra l'historique Paul van Kempen avec les Berliner Philharmoniker (réédition Guild – couplées avec les variations Mozart opus 132 formidablement détaillées par le grand Karl Böhm à la tête du même orchestre).
La réédition chez Cpo d'enregistrements radios dirigés par Hermann Scherchen à la tête de la Nordwestdeutsche philharmonie passionnera tant les amateurs de Reger que les aficionados du chef allemand. Et chez le même éditeur, les collectionneurs chercheront le volume de la Hans-Zender edition où le chef d'orchestre compositeur dirige l'impressionniste suite romantique opus 125 couplée avec le superbe chœur avec orchestre « les nonnes » opus 112. Pour la suite romantique seule, on peut aussi compter sur Christian Thielemann très raffiné, capté en public à la tête de la Staatskappelle (Profil-Hänssler).
La production vocale : des lieder aux chœurs avec orchestre
Il nous reste à évoquer l'abondante production vocale du maître, qui aborde tous les domaines de lied à l'oratorio, à la notable exception de l'opéra. La très abondante production de lieder (envrion 250 numéros) n'a pas encore été systématiquement explorée au disque, et est très peu connue en dehors des territoires allemands : Reger y apparaît souvent sur un jour plus simple et amène, d'accès immédiat, avec un sens vigoureux de la mélodie, de la mise en valeur des textes – souvent dus aux écrivains de la génération Jungendstil -. Sa science de l'accompagnement pianistique souvent d'une remarquable fluidité fait toujours mouche. Markus Schâfer en compagnie d'Ernst Beydenbach en a publié une agréable sélection chez Nca, et doit paraître ces jours-ci chez Breyergaldo l'édition intégrale des cycles opus 51 et 70. Un autre intéressant panel dû à la soprano britannique Sophie Bevan (au vibrato un rien trop large) intelligemment secondée par Malcolm Martineau est disponible couramment chez Hyperion.
Dietrich Fischer-Dieskau, qui a enregistré tous les répertoires, s'est quelque peu intéressé à Reger en compagnie de Günther Weissenhorn (un LP Dgg réédité dans le cadre de la Lied – édition DFD). Mais on retiendra surtout pour sa sélection de lieder spirituels, des bandes radios opportunément rééditée par Audite, et surtout l'un de ses derniers disques (Orfeo, 1990), où en fin de parcours artistique, et donc vocalement plus faillible mais tellement émouvant, en compagnie de l'attentif Gerd Albrecht à la tête de chœurs et de la philharmonie de Hambourg, il nous livre le rare Hymnus der Liebe opus 136, et le plus couru An die Hoffnung, opus 124 dans une adaptation pour baryton, couplés à une version intégrale des deux versants de l'opus 144 (l'Ermite, d'après Eichendorff, et le Requiem allemand d'après Hebbel). Pour An die Hoffnung, nous disposons par ailleurs aussi de deux versions superlatives signées par Christa Ludwig (en public, avec Carl Schuricht, Music and arts), ou en studio avec Sir Charles Mackerras (Warner).
Les éditions Carus-Verlag de Stuttgart préparent une nouvelle édition de l'œuvre d'orgue, en collaboration avec le Max-Reger Institut, et ont contribué tant à l'édition papier (et aujourd'hui numérique) qu'à la publication phonographique de l'œuvre vocale et chorale, y compris les sources manuscrites et esquisses lorsqu'elles sont disponibles.
L'œuvre chorale a capella a fait l'objet de trois disques dirigés par Hans-Christoph Rademann à la tête du superlatif chœur de la NDR de Hambourg ; tous trois sont d'une qualité exceptionnelle, en particulier le premier volume consacré aux huit gestliche Gesänge opus 138 et aux trois motets de l'opus 110, qui constituent une bonne clé d'accès à l'œuvre entière du compositeur bavarois.
Nous terminerons ce panorama par l'évocation de Reger orchestrateur d'un choix de lieder de Schubert, avec cette très intéressante sélection opérée par Cpo, et admirablement défendue par Klaus Mertens, Camilla Nylund et l'orchestre radio-philharmonique de la NDR-Hannovre sous la direction attentive de Werner-Andreas Albert : une manière comme une autre de (dé)montrer la profonde connivence et l'attachement du maître envers ses glorieux aînés, pères du romantisme musical, par ces orchestrations tour à tour très fines ou plus dramatiques, mais atteignant, sans jamais trahir l'original, la quintessence de chaque mélodie, sertie d'un nouvel écrin symphonique.
Crédits photographiques : Portrait de Max Reger par Franz Nölken
Plus de détails
Le cent-cinquantième anniversaire de la naissance de Max Reger est une bonne occasion de (re)découvrir, loin de certains poncifs et clichés, la vie modeste et le catalogue impressionnant de ce compositeur aussi prolifique qu’attachant, au-delà de leurs paradoxes tant personnels que stylistiques. Pour accéder au dossier complet : Max Reger, ce mal entendu