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La Femme sans ombre de Strauss à Baden-Baden, comme dans un rêve

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Baden-Baden, Festspielhaus, 9-IV-2023. Richard Strauss (1864-1949) : Die Frau ohne Schatten. Opéra en trois actes sur un livret de Hugo von Hofmannsthal. Mise en scène : Lydia Steier. Costumes : Katharina Schlipf. Éclairages : Elana Siberski. Avec : Clay Hilley, l’empereur ; Elza van den Heever, l’impératrice ; Michaela Schuster, la nourrice ; Wolfgang Koch, Barak ; Miina-Liisa Varela, la teinturière ; Peter Hoare, Nathan Berg, Johannes Weisser, les trois frères de Barak ; Bogdan Baciu, messager des esprits ; Agnieszka Adamczak, gardien du seuil et voix du faucon ; Agnieszka Adamczak, Dorottya Lang, Serafina Starke, servantes ; Kseniia Nikolaieva, voix d’en haut ; Evan LeRoy Johnson, apparition d’un jeune homme ; Gerrit Illenberger, Thomas Mole, Theodore Platt, voix des veilleurs de nuit. Chor des Nationalen Musikforums Wrocław ; Cantus Juvenum Karlsruhe ; Berliner Philharmoniker, direction : Kirill Petrenko

Pour fêter ses 25 ans, le festival de Pâques de Baden-Baden porte le chef-d'œuvre de Strauss à un niveau digne d'une grande capitale, avec d'excellents chanteurs, un Berliner Philharmoniker éblouissant sous la direction de , et la mise en scène colorée de

Le principal artisan de cette réussite, c'est le Philharmonique de Berlin. Le son est d'une beauté superlative, les phrases sont pures, la cohésion est totale. joue de ses masses sonores imposantes avec une légèreté, une lisibilité et une respiration parfaites. Ni trop analytique, ni excessivement émotive, sa battue laisse s'épancher le charme, la lumière, le lyrisme et restitue à l'auditeur toutes les facettes de cette partition exceptionnelle. Portés sur le tapis sonore d'une telle splendeur, les chanteurs donnent le meilleur d'eux-mêmes. Première à l'applaudimètre, la nourrice de impressionne par la qualité de son chant et de son jeu, parfaitement vénéneuse pour les humains et idolâtre de sa pupille. Sa voix est sombre, belle, et elle fait fi des écarts crucifiants de sa partie. Son mérite est d'autant plus grand qu'on l'avait annoncée grippée, et que la version donnée ce soir est complètement indemne des coupures habituelles, ce qui allonge encore son rôle écrasant. Dans la Kaiserin, éclate de féminité épanouie et de santé vocale. Dans une incarnation lumineuse, les aigus sont brillants, le phrasé presque au même niveau suprême que celui du violon solo de l'orchestre, et le difficile Sprechgesang est assumé crânement. Impressionnante d'abattage, fait une teinturière maîtresse-femme de haut-vol. Fidèle à sa réputation, est un magnifique Barak, débordant d'amour et d'humanité. Dans le rôle difficile du Kaiser, concilie souplesse et puissance avec succès. Sa terrible scène de la fauconnerie, donnée dans son intégralité, est portée au rouge et redonne à ce personnage (qui peut sinon paraitre falot) toute sa dimension d'humanité. Tous les autres rôles sont chantés à la perfection, jusqu'aux plus petits d'entre eux. On admire particulièrement le Geisterbote de , mais il faudrait les citer tous, faucon, gardien du seuil, servantes, veilleurs… avec encore l'excellent chœur du Nationalen Musikforums Wroclaw et le très exact Cantus Juvenum Karlsruhe.

La mise en scène de a pour principal mérite d'être vivante et bigarrée, réglée au millimètre et finalement, assez cohérente. L'effort de lisibilité qu'elle annonce n'est guère convaincant : il s'agit de présenter l'histoire comme rêvée par l'impératrice petite fille depuis son internat chez les bonnes sœurs, puis comme une exploration de sa psyché. Cette mise en boîte narrative amène à introduire un personnage supplémentaire – comme s'il n'y en avait pas assez – et quelques scènes incompréhensibles – du moins sans exégèse préalable- dont cet internat devenu maternité au début du III, ou la gamine future impératrice grattant furieusement la terre au final du III, à la recherche d'un trésor perdu. La description des deux univers est en revanche très réussie. Celui des esprits est une sorte de music-hall permanent, peuplés de danseurs (le couple impérial) et d'acrobates (le faucon rouge), habillés de paillettes, de trucs en plumes, de fracs et de robe-chantilly. Un monde de plaisir, mais irréel et illusoire. Celui des humains est une horrible fabrique rose-bonbon de poupons emballés, où des clients insatisfaits viennent acheter de la progéniture. Un monde de médiocrité et de frustration, et tout cela est bien fidèle au texte d'Hofmannsthal. On se passerait de quelques vulgarités sexuelles (Barak qui va au lit avec la Kaiserin pendant la scène de son rêve…), mais l'essentiel est sauvé, c'est-à-dire l'initiation croisée et parallèle des deux couples vers une plus grande humanité. Le troisième acte se déroule dans un grand vide noir où défilent des allégories plus ou moins claires mais toujours esthétiques. Très belle, cette fontaine de vie sous la forme d'un nymphe-voie lactée bien perchée, invitant à boire un lait-galaxie à sa poitrine. Et quand enfin l'ombre de l'héroïne se projette sur le mur, le ciel explose d'étoiles comme autant de gouttes de lait. On pardonnera donc volontiers à d'en faire trop, puisqu'elle nous a donné des images inoubliables, comme ce ciel de lait, comme cette Kaiserin dansant avec un morceau de son mari pétrifié, ou ce faucon funambule blessé, tombant de son trapèze.

Le public de Baden-Baden, connaisseur, fait un triomphe à chaque protagoniste. Mais quand parait pour saluer, c'est comme d'un seul homme qu'il se lève et fait une ovation formidable au chef et aux membres du Berliner Philharmoniker. On se réjouit que le spectacle soit enregistré, et qu'il soit diffusé bientôt sur Mezzo. Pour l'an prochain le Festival annonce une Elektra, avec même chef, même orchestre, , et… Nina Stemme. L'opéra de prestige se porte bien à Baden-Baden !

Crédits photographiques: et , , © Martin Sigmund , Oster Festpiele Baden-Baden

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Baden-Baden, Festspielhaus, 9-IV-2023. Richard Strauss (1864-1949) : Die Frau ohne Schatten. Opéra en trois actes sur un livret de Hugo von Hofmannsthal. Mise en scène : Lydia Steier. Costumes : Katharina Schlipf. Éclairages : Elana Siberski. Avec : Clay Hilley, l’empereur ; Elza van den Heever, l’impératrice ; Michaela Schuster, la nourrice ; Wolfgang Koch, Barak ; Miina-Liisa Varela, la teinturière ; Peter Hoare, Nathan Berg, Johannes Weisser, les trois frères de Barak ; Bogdan Baciu, messager des esprits ; Agnieszka Adamczak, gardien du seuil et voix du faucon ; Agnieszka Adamczak, Dorottya Lang, Serafina Starke, servantes ; Kseniia Nikolaieva, voix d’en haut ; Evan LeRoy Johnson, apparition d’un jeune homme ; Gerrit Illenberger, Thomas Mole, Theodore Platt, voix des veilleurs de nuit. Chor des Nationalen Musikforums Wrocław ; Cantus Juvenum Karlsruhe ; Berliner Philharmoniker, direction : Kirill Petrenko

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