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« Chopin à Paris une affaire non classée » selon Piotr Witt : le récit d’un érudit

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Chopin à Paris, une affaire non classée. Piotr Witt. Éditions Szansa-Chance. 444 p. 34,90 euros. 2019

 

L’ouvrage de l’historien et critique d’art Piotr Witt passionne de bout en bout. On ne sait si cette séduction provient en premier lieu de la riche iconographie ou de la présentation de qualité, délicieusement vieillotte, digne des aventures qui enchantaient notre enfance. Le style doucement attendri, souvent humoristique et si bien traduit du polonais par Erik Veau nous comble tout autant.

Le thème rarement abordé – l’arrivée de Chopin à Paris – et d’une manière aussi documentée (quelle superbe bibliographie en fin d’ouvrage !) en devient, paradoxalement, romanesque. On dévore ainsi des chapitres conçus parfois comme des digressions, et qui nous emmènent au-delà de la seule narration d’un musicien fuyant la Pologne et tentant une nouvelle vie dans la capitale des artistes. « Tout ce qui touche à Chopin est incertain » affirme l’auteur à la première ligne de son récit. Pourtant, avec une extrême rigueur portée par une plume passionnée, il nous fait entrer « dans l’atmosphère sombre et lourde de son époque » comme l’écrit joliment le pianiste Rafał Blechacz qui préface l’ouvrage.

Les quinze premiers mois de l’installation du musicien, cette période chargée de doutes et de craintes est celle des vaches maigres, commune aux « artistes pauvres qui n’ont pas d’histoire ». Qui plus est, Chopin quitte une guerre et une occupation pour se retrouver au milieu d’une révolution et d’une épidémie de choléra qui frappe brutalement les parisiens, en 1832. Le récit multiplie les retours en arrière, associant l’Histoire et les turbulences de la société française dans la vie d’un artiste pour le moins sans repères. Habilement, l’auteur décrit une cité insalubre à un point inimaginable, comme l’écho de la fragilité de Chopin, obsédé par l’idée de la mort et les contraintes d’où qu’elles viennent. Il associe aussi bien les portraits d’une famille polonaise – si française d’âme et de cœur – que la révolution de la facture instrumentale, essentielle pour comprendre l’œuvre à naître. Les plans dessinés à main levée explicitent les périples dans la capitale, les endroits-clés, ceux qui garantissent le succès. L’épopée nous parait réaliste grâce à ce va-et-vient incessant entre les préoccupations les plus triviales comme la recherche d’un logement, l’effervescence des boulevards où nous croisons une foule dédiée aux plaisirs et assoiffée de distractions ou bien les rivalités entre les artistes qui se “surveillent” les uns les autres. Dans un tel tourbillon d’aventures où l’Histoire au quotidien revêt une importance primordiale, de quelle manière Chopin a-t-il pu s’imposer à la postérité ?

S’imposer sans composer d’opéras… Un défi presque impossible à relever ! Et pourtant. Là encore, la description de la culture dite “bourgeoise” est si juste, nous plongeant dans la démesure de l’opéra aux salons romantiques où trône, sans partage, le piano. Qu’est-ce qu’un homme de culture de cette époque et quels sont ses moyens de subsistance ? Quelques évènements et portraits au fusain se plaquent dans le récit : celui de Kalkbrenner, par exemple – devenu le véritable propriétaire de la firme Pleyel – fasciné par son propre talent et le fameux concert du 25 février 1832, que l’on crut si longtemps déterminant pour le lancement de la carrière de Chopin. Piotr Witt met à mal le mythe, arguments à l’appui, évoquant aussi bien l’agoraphobie de Chopin que le fait qu’il ne s’estimât pas prêt techniquement pour affronter la scène, du moins les grandes salles, à l’instar de Franz Liszt. Chopin songe bientôt à quitter Paris pour les Amériques. La gloire surgit, imprévue, lors d’un autre concert durant lequel le Tout-Paris se jette à ses pieds, célébrant un nouvel héros polonais. L’auteur démontre que l’évènement eut bien lieu, mais dans les salons du célèbre Hôtel de Monaco, le 30 décembre 1832. De fait, il propose un éclairage intéressant quant à l’unique mécène de Chopin, la richissime Madame Apponyi, épouse de l’ambassadeur de l’Empire d’Autriche, animatrice du plus prestigieux salon musical de la capitale. Chopin y triomphe, reçoit l’appui de Liszt. Il abandonne l’idée d’un nouvel exil. L’aventure se poursuit donc en France où il devient le professeur le plus célébré de son temps, gagnant vingts francs-or par leçon – il en dispense jusqu’à cinq quotidiennement – ce qui représenterait l’équivalent actuel de plus de cinq mille euros par jour. Mais, tout cela est déjà une autre histoire…

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Chopin à Paris, une affaire non classée. Piotr Witt. Éditions Szansa-Chance. 444 p. 34,90 euros. 2019

 
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