Arne Nordheim et sa marquante suite orchestrale du ballet de La Tempête

Un demi-siècle après la fameuse Tempête de Jean Sibelius (1929), le compositeur norvégien Arne Nordheim compose une suite pour orchestre tirée du chef-d'œuvre de Shakespeare, ici dirigée à Bergen par un Edward Gardner inspiré.

Au fil des ans Arne Nordheim (1931-2010) est devenu une des figures majeures du monde musical norvégien. Son œuvre appartient au meilleur de l'avant-garde norvégienne durant les années 1960, avec parfois une radicalité certaine sans pour autant s'engager dans une voie révolutionnaire. Il bénéficia d'une résidence honoraire du gouvernement, Grotte, à Oslo, où il vécut à partir de 1982. Des funérailles d'Etat sont décrétées à son décès.

Son ballet inspiré par la pièce de Shakespeare requiert la fusion des moyens électroniques (techniques qu'il étudia à Paris et Varsovie puis à Stockholm avec Ligeti) et des sonorités orchestrales (il fut l ‘élève du Danois Vagn Holmboe) qu'il mixe avec talent tout en s'appuyant fermement sur la musique vocale. Il utilise aussi des sections pré-enregistrées sur bande magnétique.

Sa partition reçoit également le renfort de bruits de la nature, de chants d'oiseaux, de la participation d'une soprano chantant sans paroles. La voix de la soprano Beat Mordal fait merveille, tout comme le timbre chaleureux du baryton Jeremy Carpenter qui lui répond en imitation dans la dernière section de la suite.

La Tempête de Nordheim dispense de sublimes moments de beauté et des mesures d'un caractère dramatique imposant (Caliban's Warning) tout comme des parties plus contemporaines, atonales et dissonantes. Les sonorités maritimes et animales du début se transforment peu à peu en un langage beaucoup plus complexe mû par une énergie féroce et l'évocation d'un orage menaçant.

La création de La Tempête eut lieu lors du Festival de Schweyzingen en mai 1979. En 2021, l'Orchestre philharmonique de Bergen dirigé par Edward Gardner présenta l'œuvre pendant le Festival international de Bergen où l'on put aussi apprécier les danses et la projection d'une vidéo commentée par Sarah Derendinger.

Les passages construits sur des accords consonants et une thématique reposant sur des motifs bien définis s'opposent avec un certain naturel et une certaine évidence avec des sonorités dissonantes dont les assauts relatifs ne choquent nullement. L'ensemble s'accommode, avec naturel, du climat à la fois magique et surréaliste de la pièce de Shakespeare. Nordheim brouille volontiers les cartes esthétiques en quelque sorte, par exemple dans le Lacrymae par l'emploi de larmes et de larmoiements modernes dénuées d'introspection classique tout comme Le cercle magique rend compte de l'esquisse d'une danse moderne, d'une atmosphère mystérieuse, de voix (soprano et baryton) dissonantes sur fond sonore indistinct où l'on perçoit le discours affirmatif des percussions.

Le travail orchestral demeure un modèle de modernité compréhensible où le sens humain demeure, où l'évocation de la lumière puis de l'orage et du tonnerre ne cède à aucun poncif.

L'Orchestre philharmonique de Bergen, excellemment dirigé par Edward Gardner, est sans concession, et convainc de l'excellence de ses pupitres et de son adéquation à l'univers élaboré par Arne Nordheim.

Une version de 1988, également d'excellente facture, est disponible sur le label Aurora Contemporary NCD-B 4932. Susan Campbell (soprano), Christopher Keyte (baryton), le Chœur et l'Orchestre symphonique Süddeutsche Rundfunk y sont habilement dirigés par Charles Darden.