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Un inédit de Kurt Sanderling à thésauriser dans la Symphonie n° 10 de Chostakovitch

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Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie n° 10 op. 93. Mily Balakirev (1837-1910) : Islamey op. 18 (orchestration d’Alfredo Casella). New Philharmonia Orchestra, direction : Kurt Sanderling ; Royal Philharmonic Orchestra, direction : Kirill Kondrachine (Balakirev). 1 CD ICA Classics. Enregistré au Royal Festival Hall de Londres, en mai 1973 et janvier 1978 (Balakirev). Notice de présentation en français, anglais et allemand. Durée : 60:02

 

Il faut entendre cette version inédite de la Symphonie n° 10 de Chostakovitch, partition avant tout autobiographique, sous la baguette de  : une lecture enflammée avec le New Philharmonia, captée en concert, et qui enrichit une discographie pourtant déjà remarquable.

Cette interprétation de la symphonie s'ajoute aux deux autres témoignages plus tardifs du chef russe. Situons déjà ces derniers. Sanderling n'acheva pas l'intégrale des symphonies de Chostakovitch, entreprise au cours des années 70 pour le label Eterna. Il nous reste heureusement la version de 1977 avec le Berliner Sinfonie-Orchester (le BSO, à ne pas confondre avec le Berliner Symphoniker) qui fut créé à Berlin-Est, en 1951, afin de faire le pendant du Philharmonique de Berlin de Karajan. Cette gravure magistrale et grandiose fait partie des référence de la discoraphie à la fois narrative et sans pathos, servie par une prise de son “charnelle”. Sanderling sait contempler les malheurs de son temps et, en l'occurrence, le contexte historique de l'œuvre dont la composition débuta juste après la mort de Staline. Sanderling avait dirigé le Philharmonique de Leningrad, aux côtés de Mravinski dont il fut l'assistant et sa lecture demeure moins anguleuse que celle de son illustre confrère.

Un an plus tard, en 1978, l'Orchestre national de France accueillait Sanderling en concert. La tension de ce concert paru chez Naïve est maintenue de bout en bout, l'orchestre poussé au maximum de ses dynamiques. Sanderling, tout comme il le fit en concert à l'Orchestre de Paris, utilisait au mieux les capacité et les identités sonores des phalanges qu'il conduisait, en l'occurrence la saveur des bois et joue d'une certaine sécheresse des cordes, accentuée par l'acoustique du Théâtre des Champs-Elysées. Les dynamiques saturent dans l'Allegro qui devient poussif. Plus encore, la prise de son multi-micros bouscule les déséquilibres avec des cuivres survalorisés. Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'un très beau concert, l'un des plus remarquables d'un orchestre français dans ce répertoire.

La BBC édite le concert (15 mai 1973) du New Philharmonia avec lequel Sanderling entretint d'étroites relations pendant plusieurs années. Si les tempi sont assez comparables avec la version berlinoise ultérieure – à l'exception du finale un peu plus rapide – l'esprit est assez différent. La sonorité d'ensemble demeure bien restituée, dans la profondeur de la salle et avec un très léger souffle. L'auditeur ressent une sorte de nostalgie voire d'atmosphère songeuse et irréelle. Pour autant, la grande ligne de chant, à la fois élégante et de nature héroïque, n'est jamais rompue. La mise en place est digne de tous les éloges. Sanderling ne cesse de solliciter un orchestre qui devient progressivement d'une rugosité extraordinaire, à l'image des timbales et des cuivres. Belle souplesse des cordes au début de l'Allegro : “inhumain”, démoniaque et implacable, ce mouvement aux frottements harmoniques les plus rudes ne laisse aucune place à la lumière. Il se produit alors un véritable petite “miracle” comme cela arrive parfois en concert car tout s'emballe brusquement, l'orchestre se trouvant comme propulsé dans un combat absolument gigantesque. Les percussions “dynamitent” littéralement l'espace et Sanderling plutôt que de contenir le flot, libère les énergies. Le résultat est saisissant de puissance et de beauté. Page purement autobiographique qu'aucun des censeurs de la création n'eut le courage d'analyser, l'Allegretto se situe au même niveau, dans un climat cette fois-ci désenchanté et dans lequel le solo de cor et le cor anglais se couvrent de gloire. Le finale aux couleurs raréfiées s'ouvre dans l'incertitude et l'interrogation. L'engagement des vents est toujours aussi inventif, délicieusement orientalisant. Qui peut croire qu'une fête populaire enivrante – et quelle bacchanale dans le cas présent ! – refermera la symphonie ? Seize ans ans avant la chute du Mur de Berlin, est-ce bien cette course vers le néant ou bien vers ces “lendemains qui chantent” semble nous demander le compositeur ? Une version qui mérite d'être confrontée aux grandes références (Karajan, Haitink, Mravinski, Kondrachine, Ancerl et Sanderling-BSO).

En “bis”, l'éditeur nous propose l'orchestration d'Islamey de Balakirev dans la version d' (préférable à celles de Liapounov et plus encore de Schalk). “Imprévisible” comme il se doit, Kondrachine dirige un RPO poussé à l'incandescence et à l'extrême limite du décrochage dans les passages les plus véloces. Admirons la performance hallucinée. Comme on dit Outre-Manche : « we never surrender »…

Lire aussi :

Hommage au chef d'orchestre Kurt Sanderling

 

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