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En tant que médecin et musicologue, Jean-Luc Caron propose aux lecteurs de ResMusica un dossier original sur les pathologies et la mort des plus grands musiciens. Pour accéder au dossier complet : Pathologies et mort de musiciens
Compositeur universel, Ludwig van Beethoven transcende sa situation personnelle en combattant, avec l'aide de son caractère à tout le moins bien trempé, le statut de musicien isolé et mal considéré dans la société au sein de laquelle il évolue. Soutenu par une volonté intraitable, il s'imposa par son immense talent créateur que peu ont osé lui contester. À force de lutte acharnée, en œuvrant en faveur de la prééminence et de l'expression de l'individu, il a gagné une popularité et un respect universel. Son existence privée lui a apporté beaucoup moins de succès, et sa santé fut un sujet de grande préoccupation et de souffrance.
Ludwig van Beethoven naît le 16 décembre 1770 à Bonn en Rhénanie-du-Nord-Westphalie (Allemagne). Au cours de l'enfance on constate chez lui une mélanodermie (pigmentation excessive de la peau) traduite par l'existence d'un teint bistré que l'on a rapporté à une hémochromatose (maladie due à une surcharge de fer dans divers tissus et organes, susceptible de provoquer des lésions dégénératives) qui pourrait être à l'origine d'une cirrhose chronique à partir de 1821 environ et donc, quelques années plus tard, de sa mort.
L'alcoolisme sévère de son père et la tuberculose de sa mère accompagnent son enfance. Celle-ci décède en juillet 1787, de même que sa sœur quelques semaines plus tard. Son père mourra en décembre 1792.
À cette date, le jeune Ludwig, à l'initiative du grand Joseph Haydn et un an après la disparition de Mozart, s'est installé à Vienne à l'âge de 22 ans. Rapidement ses talents de pianiste et d'improvisateur le font connaître de l'aristocratie autrichienne de même que ses premières partitions majeures.
Considéré comme l'un des plus importants pianistes de son temps et déjà reconnu comme l'un des créateurs germaniques majeurs, il est victime d'une surdité d'installation progressive et inexorable qui se manifeste alors qu'il n'a que 27 ans (autour de 1896). Les premiers symptômes en sont des acouphènes (perception de bruits et sifflements dans l'oreille). La surdité devient quasi-totale autour de 1820 et l'isole durablement et douloureusement. Incompris, on le qualifiera volontiers de misanthrope jusqu'à la fin de sa vie. Il semble assuré qu'il ne pourra plus se produire en public et que ses facultés créatrices en pâtiront forcément. Il songe sérieusement au suicide et confie dans un courrier célèbre (bien que non envoyé), le Testament de Heiligenstadt, son désarroi, sa tristesse mais aussi sa confiance en son art. Il y explique sa situation physique et morale. Sa volonté farouche et têtue le pousse à se ressaisir et de nouveaux chefs-d'œuvre surgissent et confirment, comme il le projette, « d'ouvrir un nouveau chemin », tout en clamant sa volonté d'être un artiste résolument indépendant désireux de « saisir le destin à la gorge ».
Ne trouvant toujours pas l'amour qu'il appelle de ses vœux d'une part et empêtré dans la prise en charge de son neveu Karl d'autre part, devenu totalement sourd, à présent impécunieux, son moral et sa santé déclinent au cours des années 1816-1817. Il finit par retrouver la force de composer sans concession « pour les temps à venir ». On songe à la Missa solemnis, à la Symphonie n° 9 avec chœur, aux derniers quatuors à cordes et aux ultimes sonates pour piano. Néanmoins il communique avec ses semblables en utilisant des cornets acoustiques, ses cahiers de conversation et en tentant par tous les moyens possibles de percevoir les vibrations des sons.
Les multiples symptômes dont se plaignit le compositeur durant plusieurs décennies expliquent sans doute pourquoi il consulta de nombreux praticiens à de multiples reprises. Sa symptomatologie s'oriente autour de deux poles, abdominal et auditif.
Le 1er décembre 1826, suite à une violente dispute familiale à propos de son neveu Karl, le compositeur et son protégé quittent brutalement les lieux et se retrouvent sous une pluie intense. Ils se réfugient dans un estaminet peu chauffé où dominent l'humidité et le froid. Puis, ils entreprennent le voyage vers la capitale autrichienne où Beethoven, malade, s'alite, devenant prisonnier de sa chambre qu'il ne quittera plus jamais. Le docteur Andreas Wawruch , professeur à l'Université de Vienne, diagnostique une double pneumonie (infiltration infectieuse aiguë des poumons), constate la présence d'une jaunisse (ictère cutané), un épanchement intra abdominal (hydropisie ou ascite, un épanchement de sérosité dans la cavité abdominale) et une dramatique détérioration de l'état général. Quatre ponctions abdominales sont pratiquées à domicile afin d'extraire l'abondant liquide.
Sa santé demeure plus ou moins instable. Des amis fidèles viennent lui rendre visite et des courriers lui parviennent l'aidant ponctuellement à supporter son sort. Une somme de 100 £ lui est adressée, en soutien, par la Société philharmonique de Londres.
Il n'y a plus rien à espérer et la caisse de vin de la vallée du Rhin qu'il apprécie tant, offert par son éditeur Schott, lui fait murmurer : « Maintenant, il est trop tard ! ». Le constat est accablant.
Conscient de la gravité extrême de son état, Ludwig van Beethoven décide de rédiger son testament, en faveur de son neveu Karl.
Il reçoit l'extrême-onction le 24 mars. Puis, sa conscience et son raisonnement s'altèrent, il souffre et s'agite. Il délire. Son agonie dure encore quelques heures et le vieux Maître amaigri et cachectique sombre dans un coma dû à une encéphalopathie hépatique, complication terminale d'une cirrhose alcoolique, avant d'expirer le 26 mars autour de 16 heures, à l'âge de 56 ans.
Les funérailles se déroulent le 29 mars. Un hommage national lui est rendu et sa dépouille est conduite au cimetière de Währing où il repose dans une tombe dépourvue de toute ostentation. Ses restes seront exhumés en 1863 pour des recherches scientifiques puis déplacés en juin 1888 à Simmering.
La disparition du plus fameux créateur de son époque provoqua une multitude d'hypothèses concernant l'histoire de sa maladie et les causes immédiates de sa mort. Le plus souvent sans preuves ni fondements scientifiques, voire non rarement fantaisistes. C'est ainsi que certains ont pu dénombrer plus de 150 diagnostics ! Nous n'en évoquerons qu'une modeste sélection, en annonçant dès maintenant qu'un élément précieux, passionnant et fortement plausible viendra, in fine, compléter ce qui précède.
On a avancé sans aucune certitude que Beethoven était atteint de syphilis (maladie sexuellement transmissible due au tréponème). On a évoqué également l'existence de ce que l'on nomme aujourd'hui une MICI (maladie inflammatoire chronique des intestins) sans pouvoir relier correctement les symptômes. Une hépatite virale aiguë compliquée a été suggérée sans convaincre la communauté scientifique contemporaine. Le catalogue des suppositions s'enrichit avec l'évocation d'une sarcoïdose ou maladie de Besnier-Bœck-Schaumann (association de lésions cutanées, ganglionnaires et pulmonaires, pouvant toucher de nombreuses parties de l'organisme… d'étiologie inconnue). On a également supposé l'existence d'une maladie de Whipple par ses atteintes possibles : une infiltration de macrophages dans divers tissus, notamment des intestins provoquant des diarrhées, une ascite, un amaigrissement, des douleurs musculaires…. La possibilité d'une maladie de Crohn, qui rejoint la classe des maladies inflammatoires chroniques des intestins, n'est pas dénuée de critères intéressants mais ne suffit pas à expliquer l'ensemble du tableau clinique de notre compositeur. Maladie très répandue à l'époque, on a pensé à une tuberculose sans retenir suffisamment de critères déterminants. Sans oublier un état dépressif. Une pancréatite chronique d'origine exogène fut peut être à l'origine de diarrhées et de douleurs abdominales pendant de longues années. La symptomatologie abdominale de Beethoven qui évolua durant de longues années est probablement le fait d'une intoxication alcoolique prolongée responsable d'une cirrhose hépatique décompensée favorisée par une possible hémochromatose sous jacente et compliquée d'une pancréatite chronique.
Et bien sûr, on se doit d'aborder l'hypothèse d'une conséquence d'une intoxication alcoolique chronique. Beethoven n'a jamais caché le plaisir et la détente tirés de sa consommation d'alcool (surtout le vin mais aussi éventuellement la bière), souvent excessive. Ses lettres et les témoignages en attestent.
On doit à présent prendre en considération les conclusions avancées lors de la première autopsie effectuée par le Dr Karl Rokitansky réalisée le 27 mars 1827, lendemain du décès du grand maître. On conclut à l'existence d'une maladie osseuse de Paget (lésions de la voûte crânienne augmentée de volume ainsi que les pieds et la mâchoire, nerfs auditifs altérés…). Cette autopsie révéla également des signes d'intoxication œnolique du fait de la présence de liquide dans la cavité abdominale, d'une réduction de la taille du foie (atrophie hépatique) et de petites tuméfactions à sa surface, d'une rate augmentée de volume (splénomégalie), d'un pancréas hypertrophique faisant songer à une pancréatite, d'un aspect anormal des deux reins avec présence de calculs… Même s'il n'existait pas à cette époque d'examens anatomopathologiques (études des tissus au microscope), toutes ces constatations semblent confirmer l'existence d'une cirrhose alcoolique évoluée.
L'autopsie des oreilles moyennes et internes n'est pas en faveur d'une otosclérose (otite chronique créant une périostite) comme on l'a pensé pendant un temps ; par contre on a décelé une atteinte des nerfs cochléaires sous forme d'atrophie. On parle ici du travail réalisé par le docteur Frédéric, légiste et anatomopathologiste à l'institut médico-légal de Paris.
Trois hypothèses peuvent être actuellement objectivement discutées en fonction des manifestations cliniques, de l'évolution et des signes d'accompagnement : une surdité d'origine auto immune avec colite inflammatoire et/ou cholangite sclérosante mais l'autopsie n'est pas en faveur ; une surdité par attente directe du nerf auditif dans le cadre d'un saturnisme (intoxication au plomb en rapport avec l'intoxication alcoolique par le vin de Hongrie particulièrement chargé en plomb) ; enfin une surdité compliquant une typhoïde dont on retrouve la notion de contage en 1796, correspondant au début des troubles auditifs…On a évoqué également l'éventualité d'une otospongiose (d'origine auto immune ?), extension de l'ossification de la paroi interne de la cavité du tympan, mais avec peu d'arguments.
Plus sérieuses et de grande importance les informations recueillies après l'analyse de cheveux du compositeur (et de restes osseux) soustraits par un admirateur fétichiste peu scrupuleux. Elles révèlent et confirment une intoxication au plomb, hypothèse qui fut longtemps rejetée. On serait donc très probablement en présence d'un saturnisme (ou intoxication chronique au plomb) manifesté par des douleurs abdominales et des troubles de la vision. On y ajoute la probabilité d'une déficience génétique le rendant incapable d'éliminer le plomb accumulé dans son corps depuis plusieurs années.
Quelle en était la cause ? Pour certains, et ans doute vraisemblablement, elle serait liée à la consommation de vin que Beethoven aimait beaucoup et consommait en quantités admises comme abondantes. À cette époque, le vin était servi dans des gobelets en plomb. De plus, ces vins étaient illégalement « sucrés » avec du sel de plomb (acétate de plomb) afin d'en améliorer la saveur. On a ciblé en particulier les vins frelatés provenant de Hongrie. Cette source serait (conditionnel exigé) également la cause des atteintes des nerfs auditifs et en conséquence de sa surdité. Il convient de préciser que le lien potentiel entre cette intoxication et la surdité n'a pas été formellement établi. On pourrait ajouter qu'alors nombre de traitements faisaient appel à des métaux comme le plomb et le mercure…
Une très récente et passionnante étude publiée le 22 mars 2023 dans la revue Current Biology livre les résultats d'une analyse de huit mèches de cheveux de Ludwig van Beethoven. Cette recherche poussée de l'ADN visant à démasquer par l'analyse génétique les causes des maladies et de la mort de l'immense créateur n'apporte pas de bouleversements fondamentaux au niveau de notre connaissance. Notons qu'il a été également souligné la grande probabilité de la survenue « d'un événement de fausse paternité » parmi les ancêtres du compositeur, sans que cela apporte la certitude de diagnostics inédits à son égard. L'incertitude, sinon le mystère, concernant la vie et la mort du grand homme n'est que partiellement levée depuis presque deux cents ans et les formidables progrès scientifiques contemporains n'ont pour l'heure pas rendu caduques ce que nous savions déjà.
Le dernier grand compositeur du classicisme viennois, ce mythe grandiose élabora les armes qui débouchèrent directement sur l'ère romantique mais, essentiellement, il occupe une place véritablement unique et intemporelle, dans l'histoire de la musique occidentale.
Bibliographie :
Genomic analyses of hair from Ludwig van Beethoven, Current biology, mars 2023
Jean et Brigitte Massin, Ludwig van Beethoven, Fayard, 1967
Patrice Favre-Tissot-B., Ludwig van Beethoven, bleu nuit éditeur, 2016
Les Lettres de Beethoven. Intégrale de la correspondance (1787-1827), Actes Sud, 2010
Maurice Porot et Jacques Miermont, Beethoven et les malentendus, Geigy, 1986
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