Tugan Sokhiev retrouve le « Capitole » à la Philharmonie de Paris
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Paris. Philharmonie, Grande Salle Pierre Boulez. 24-III-2023. Antonín Dvořák (1841-1904) : Concerto pour violoncelle en si mineur op. 104 ; Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie n° 9 en mi bémol majeur op. 70. Edgar Moreau, violoncelle. Orchestre National du Capitole de Toulouse, direction : Tugan Sokhiev
Loin des récents choix douloureux, Tugan Sokhiev et son ancien orchestre du Capitole de Toulouse redonnent à la musique la place qui lui est due avec ce beau programme, très convaincant, associant la Symphonie n° 9 de Dimitri Chostakovitch et le Concerto pour violoncelle de Dvořák interprété par Edgar Moreau en soliste.
Tugan Sokhiev nous a depuis de nombreuses années, à la scène comme au disque, habitués à la pertinence de ses interprétations dans le répertoire russe, et notamment celui concernant le corpus symphonique de Chostakovitch. Il réitère, ce soir avec ce concert sur lequel souffle un petit vent d'Est, en réunissant dans une même excellence la slavitude prégnante et nostalgique de Dvořák et l'ambiguïté joyeuse et sarcastique de Chostakovitch.
Monument incontournable du répertoire pour violoncelle, le Concerto pour violoncelle (1894-1895) d'Antonín Dvořák est une œuvre qui porte, tout à la fois, les stigmates de l'ancien et du nouveau monde puisque composée pour sa majeure partie en Amérique (Dvořák fut directeur du Conservatoire de New-York) mais achevée et révisée en Tchéquie après le retour du compositeur sur ses terres natales de Bohême. Edgar Moreau nous en donne une lecture très intériorisée, d'une émouvante sincérité, sensible et sans effets de manche inutiles, à mille lieux de la virtuosité maniérée et outrageusement démonstrative de certaines interprétations. Il est parfaitement soutenu par l'Orchestre du Capitole qui s'affirme en vrai partenaire, complice, et totalement acquis à Tugan Sokhiev dont on admire la précision, la pertinence, la clarté et l'équilibre de la direction. C'est dans un esprit rhapsodique que se développe le premier mouvement Allegro, soliste et orchestre prenant tour à tour la parole dans un dialogue serré, empreint de slavitude, constamment partagé entre fougue et élégie, virtuosité éclatante et intimité méditative, laissant une large place aux vents (clarinette, flute et cor). Le deuxième mouvement Adagio, d'une poésie poignante nimbée de nostalgie, est marqué là encore par la complainte douloureuse de la clarinette, de la petite harmonie et du cor à laquelle répond la cantilène apaisante du soliste « quasi cadenza », avant que l'Allegro final, introduit par un rythme martial de marche scandé par les contrebasses, cors et petite harmonie, ne retrouve orchestre et soliste réunis dans une joute virtuose, interrompue de manière saisissante par l'intervention à découvert du violon solo sur le thème émouvant de « Puisse mon âme » adressé « in memoriam » à sa belle-sœur récemment disparue.
La Sarabande de la Suite n° 3 de J. S. Bach, fait valoir la belle sonorité du violoncelle David Teccler 1711 d'Edgar Moreau pour conclure cette solide interprétation pleine de pudeur.
Grandiose pied de nez adressé à Staline et au régime soviétique par un Charlot grimaçant et claudicant, la Symphonie n° 9 de Chostakovitch, composée en 1945, valut bien des déboires au compositeur et sa condamnation par Jdanov pour formalisme anti populaire. Elle se décline en cinq mouvements, les trois derniers joués enchainés. L'Allegro initial, grotesque, persiffleur, aux allures circassiennes, est mené par Tugan Sokhiev sur une dynamique enlevée qui séduit par son allant, par l'acuité de ses articulations tranchantes, par son phrasé chaotique, par ses couleurs orchestrales qui se développent dans un poudroiement de timbres et de mélodies tronquées en faisant intervenir tous les pupitres en masse ou individuellement. Véritable exercice de direction pour éviter l'éclatement et maintenir la cohésion du discours, on y admire la précision dans l'agencement des plans sonores, autant que les performances solistiques (piccolo, cuivres, petite harmonie, cordes, violon solo). Le Moderato impressionne par la complainte dépouillée de la clarinette de Floriane Tardy s'élevant sur les pizzicati de cordes graves au sein d'un désert orchestral ravagé. Tugan Sokhiev y sculpte la musique à pleine main pour y maintenir un semblant de vie où ne resteront que les dernières notes du piccolo avant que le Presto rageur et obstiné ne renoue avec une dynamique tendue, soutenu par les cordes, bientôt interrompues à leur tour par le dramatique Largo, moment d'intense affliction porté par les trombones et le beau solo de basson (Guillaume Brun) sur un tapis de contrebasses et d'altos. Enfin vient l'Allegretto final qui renoue avec le ton ironique du premier mouvement, imprégné d'un sentiment d'attente (cors et violoncelles) d'où émergent les stridences dissonantes des vents, les assauts envoutants des cordes et des percussions véhémentes réunies dans un formidable crescendo final.
Dans un clin d'œil (à Paris qui n'a pas su le retenir…), Tugan Sokhiev donne en bis Salut d'amour d'Edward Elgar qui parachève cette magnifique lecture sur une atmosphère plus apaisée.
Crédit photographique : © Romain Alcaraz
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Paris. Philharmonie, Grande Salle Pierre Boulez. 24-III-2023. Antonín Dvořák (1841-1904) : Concerto pour violoncelle en si mineur op. 104 ; Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie n° 9 en mi bémol majeur op. 70. Edgar Moreau, violoncelle. Orchestre National du Capitole de Toulouse, direction : Tugan Sokhiev