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Bridget Breiner met en scène Cendrillon, et surtout ses sœurs

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Karlsruhe. Badisches Staatstheater. 19-III-2023. Ruß. Eine Geschichte von Aschenputtel (Suie. Une histoire de Cendrillon). Chorégraphie et mise en scène : Bridget Breiner. Décor et costumes : Jürgen Franz Kirner. Musique : Johann Strauss II, Woody Guthrie, Nina Simone… Avec : Lucia Solari (Livia), Nami Ito (Sophia), Anastasiya Didenko (leur mère), Momoka Kikuchi (Clara), Joshua Swain (leur père), Daniel Rittoles (J. R. Prince), Louiz Rodrigues (Mitch). Badisches Staatsballett ; Hugo Degorre, accordéon

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Le Ballet du Théâtre national de Bade à Karlsruhe danse une version émouvante et inattendue d'un des sujets les plus classiques du répertoire chorégraphique.

Suie. Une histoire de Cendrillon est le premier ballet long de , qu'elle a créé pour le ballet du théâtre de Gelsenkirchen dont elle venait de prendre la direction en 2012 après une carrière de danseuse qui l'avait amenée entre autres au Ballet de Stuttgart. Gelsenkirchen, c'est dans la Ruhr, sans doute une des régions du monde où la densité d'opéras et de ballets est la plus forte (Essen est à 10 minutes en train, Dortmund et Duisburg à moins d'une demi-heure) ; mais la Ruhr, c'est surtout un des hauts lieux des charbonnages en Europe pendant plusieurs siècles, et Breiner a choisi de donner à son ballet cet ancrage régional dans ce monde qui, à la date de création du ballet, n'avait pas encore totalement disparu (la dernière mine a fermé en 2018). Les ouvriers qui forment le corps de ballet masculin manipulent le décor, mobile et efficace, qui permet un enchaînement fluide des scènes : leur costume gris sale semble les fondre dans la masse et dans l'anonymat, mais on remarque vite qu'ils sont indispensables à l'action.

On pense immédiatement à la Giselle d'Akram Khan, elle aussi opposant un prolétariat dominé à une élite dominatrice. Le ballet de Breiner n'est pas une imitation du grand succès de Khan, d'abord parce que ce dernier est postérieur, et aussi parce que les moyens dont elle dispose n'ont rien à voir avec la superproduction. Et ce n'est pas un mal, bien au contraire : au lieu de chercher à tout prix à en mettre plein les yeux comme Khan, elle peut se concentrer sur la narration et sur les personnages.

Point de méchant dans cette histoire : ni marâtre, ni méchantes demi-sœurs, chacun a ses raisons. La pièce commence par la famille heureuse de Livia et Sophia, vite bouleversée par la mort du père : le trio qu'elles forment avec leur mère traverse des moments difficiles qui marquent leurs personnalités. Leur mère rencontre le père de Clara, notre Cendrillon du jour, aussi vive et extravertie que les deux sœurs sont timides et peu assurées ; Livia est fascinée par l'étrange liberté de Clara, par son appétit de vivre, par la chaleur spontanée de sa relation à son père aussi, moins froid que la mère des deux sœurs : tandis que Clara tombe dans les bras du beau prince, ici héritier d'un baron de la Ruhr, Livia trouve le bonheur avec Mitch, simple ouvrier certes, mais qui est sa voie personnelle vers le bonheur.

En cette matinée dominicale, le public est naturellement familial, mais la pièce, si elle est accessible aux plus de 8 ans, n'est pourtant pas un spectacle pour enfants, parce qu'elle vise moins aux effets simples de la magie et des tutus qu'à la mise en lumière d'émotions complexes. L'héritage de la tradition néo-classique qu'incarne jusqu'à aujourd'hui le Ballet de Stuttgart est visible dans le travail de Breiner, qui parle cette langue à l'efficacité narrative certaine avec beaucoup de naturel, sur un accompagnement musical qui unit accordéon et musique enregistrée, Johann Strauss et protest songs des années 1970. Le bal au centre de l'histoire ne se contente pas d'aligner de jolies figures mais raconte tout de la figure du beau prince, auréolé de la séduction trop facile que lui donne sa position sociale : c'est très lisible sans paraître simpliste.

Le ballet se termine par deux pas de deux, celui entre Clara-Cendrillon et le beau prince et celui entre Livia et Mitch, deux moments très différents qui incarnent idéalement les enjeux de la pièce. Le premier est dans la grande tradition néoclassique à la Neumeier, virtuose et enivrant, mordant la scène ; le second est plus intérieur, plus sobre, et tout aussi émouvant, conduisant la pièce vers une belle conclusion en demi-teinte. Pour la reprise de la pièce à Karlsruhe en 2020, Breiner avait adapté sa pièce aux danseurs de sa nouvelle troupe. Depuis, la troupe elle-même a évolué, beaucoup des danseurs de la soirée n'étant venus que récemment à Karlsruhe ; il nous sera difficile de juger les prestations individuelles sur cette seule représentation, mais on peut du moins voir danser une compagnie qui a fait sienne le style et l'esprit de la chorégraphie et affronte vaillamment les difficultés réelles auxquelles elle confronte les danseurs.

Crédits photographiques : © Costin Radu (autre distribution)

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