Iván Fischer et le Budapest Festival Orchestra : un Strauss mal léché…
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Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. 21-III-2023. Ernő Dohnányi (1877-1960) : Minutes symphoniques op. 36 ; Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Concerto pour piano n° 4 en sol majeur op. 58 ; Richard Strauss (1864-1949) : Don Juan, poème symphonique op. 20 ; Danse des sept voiles, extrait de Salomé ; Till l’espiègle, poème symphonique op. 28. Rudolph Buchbinder, piano. Budapest Festival Orchestra, direction : Iván Fischer.
Très attendu car longtemps reporté, ce passage du BFO à Paris, dirigé par son chef historique Iván Fischer, affiche un programme fidèle à son image, éclectique et coloré, associant les Minutes symphoniques Ernő Dohnányi, Don Juan, Till l'espiègle, la Danse des sept voiles de Richard Strauss et le Concerto pour piano n° 4 de Beethoven, interprété par Rudolph Buchbinder.
C'est avec les accents mitteleuropa des Minutes symphoniques (1933) d'Ernő Dohnányi que débute le concert. Cinq Minutes symphoniques très contrastées comme autant d'occasions de faire briller les différents pupitres de la superbe phalange hongroise : la petite harmonie virtuose et virevoltante et la sonorité profonde des cordes dans le Capriccio initial ; la longue complainte du cor anglais soutenue par la clarinette, le hautbois et le basson dans la Rapsodia ; les trombones et la dynamique enlevée et claudicante du Scherzo ; la douce mélancolie du cor anglais et le lyrisme du violon solo soutenu par la clarinette et le célesta dans le Tema con Variazoni ; enfin le Rondo final comme une invitation irrépressible à la danse pour conclure ce joli tour de chauffe orchestral.
Le pianiste Rudolph Buchbinder livre ensuite une interprétation éminemment classique du Concerto pour piano n° 4 de Beethoven où l'on ne sait qu'admirer le plus de l'accompagnement orchestral, complice et parfaitement équilibré, ou du jeu du soliste, brillant mais sans emphase, tous deux se répondant, avec une véhémence croissante, dans une joute serrée dont l'issue reste longtemps incertaine. On apprécie tout à la fois l'à propos de la direction constamment à l'écoute, les performances solistiques individuelles des différents pupitres autant la virtuosité efficace et bien contenue de Rudolph Buchbinder. Le premier mouvement Allegro est abordé avec beaucoup de vitalité orchestrale avant que l'Andante, dans un climat d'une austère gravité, ne conduise le conflit au climax en opposant les notes égrenées, poétiquement habitées du piano aux vagues déferlantes de l'orchestre. Le Rondo final directement enchainé retrouve orchestre et soliste unis dans une même péroraison éclatante portée par trompettes et timbales. Généreux, Rudolph Buchbinder offre deux superbes « bis » au public conquis par l'équilibre et la beauté de cette interprétation : l'Impromptu n° 4, D 899, op. 90 de Schubert et la Gigue de la Partita n° 1 de J.S Bach.
« Qui trop embrasse, mal étreint… » Tel pourrait être le sous-titre de cette seconde partie de concert entièrement consacrée à Richard Strauss où se succèdent Don Juan, la Danse de sept voiles et Till l'espiègle.
Don Juan (1888) est abordé dans une ambiance caricaturale et fiévreuse suspendue entre désir, possession et désespoir. Si la fièvre dionysiaque emporte le héros dans un flux orchestral constamment renouvelé entre élans et affliction, violence et lyrisme, il faut bien reconnaitre que ce phrasé justement chaotique, fortement narratif et quelque peu outrancier est fortement pénalisé par une surenchère cuivrée quasi hollywoodienne et une certaine opacité dans l'organisation des plans sonores, sans éluder toutefois quelques beaux moments, plus lyriques et sensuels, impliquant le violon solo ou le hautbois.
La Danse des sept voiles (1905) qui manque cruellement de cette sensualité vénéneuse typiquement straussienne n'est hélas pas d'une meilleure veine, ne valant que par sa composante orientalisante bien marquée (hautbois, flute).
Till l'espiègle (1895) dont Iván Fischer nous narre les périlleuses aventures avec gourmandise, est sans doute la pièce la plus réussie, bénéficiant d'une spatialisation très parlante avec le pupitre de cors situé à l'avant-scène et une petite clarinette placée au milieu des cordes. On souscrit totalement à cette farce bruyante, moqueuse, enjôleuse et grimacière, dérisoire et dramatique, haute en couleur qui sollicite tour à tour l'ensemble des pupitres (petite harmonie, violon solo, altos, cuivres) dans un parcours bien codifié alternant refrain et couplets d'une virtuosité orchestrale époustouflante qui s'achèvera sur les accords lugubres et les sonorités graves (cors, trombones, basson) signant la condamnation à mort du héros de pacotille…
Devant le triomphe de cette interprétation très théâtralisée, la soirée se termine sur une série de danses magyares endiablées, données en « bis » pour conclure ce concert sur des accents tziganes déchainés !
Crédit photographique : © Daniel Nemeth
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