De très talentueux instrumentistes polonais transcendent Joseph Jongen
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Joseph Jongen (1873-1953) – Œuvres complètes avec flûte(s), vol. 1 : Sonate pour flûte et piano, op. 77 ; Deux paraphrases sur des Noëls wallons pour trois flûtes et une flûte alto, op. 114 n° 1 et n° 2 ; Élégie pour quatre flûtes, op. 114 n° 3 ; Danse lente pour flûte et harpe, op. 56 bis. Mateusz Wojtkiw, flûte ; Ewelina Zawiślak, flûte ; Antoni Wierzbiński, flûte ; Joanna Woszczyk-Garbacz, flûte ; Magdalena Maniewska, cor anglais ; Anna Dudek, harpe ; Kinga Firlej-Kubica, piano. 1 CD Soliton. Enregistré en 2021 et 2022 en la Salle de concert Arthur Rubinstein de l’École générale de musique Henryk Wieniawski, Łódź. Notice en polonais. Durée : 47:52
SolitonSi toute parution consacrée au compositeur belge Joseph Jongen est à accueillir avec enthousiasme, c'est particulièrement le cas de cette édition où les interprètes sont totalement impliqués et d'une conviction communicative.
L'apparition du CD numérique dans les années 80 a impulsé la révélation de quantité de compositeurs jusqu'alors injustement délaissés par la production discographique analogique antérieure. L'un d'entre eux est le Liégeois Joseph Jongen (1873-1953) qui fut la gloire musicale de la première moitié du XXᵉ siècle en Belgique. En raison de combines et du mépris d'une certaine intelligentsia musicale, Jongen passa rapidement aux oubliettes dès son décès à Sart-lez-Spa le 12 juillet 1953… Il faut bien reconnaître que dans une brochure de l'Académie Royale de Belgique qui lui est consacrée par son frère Léon Jongen (1884-1969), lui aussi compositeur, il est écrit : « Dans une ville de l'Est européen – pourquoi ne la citerais-je pas ? Budapest – on m'a dit et assuré que plus de trois cents groupes d'amateurs se réunissaient régulièrement pour se donner le plaisir de faire de la musique, et la plus belle qui soit, du quatuor à cordes. Toutes les classes de la société figurent dans ces groupes : des facteurs des postes, des policiers, des ouvriers… Un peuple a les loisirs qu'il mérite ; chez nous [à l'Ouest] : football, cyclisme, pigeons, accordéon…» Tout est dit…
Joseph Jongen a toujours su demeurer personnel dans son romantisme sans emphase et son écriture aristocratique qui n'est jamais surchargée. Sa musique de styliste sensible demeure vivante et authentique. Pourtant, parmi ses quelque 240 œuvres dont sans indulgence il n'a retenu que 137 titres avec numéro d'opus, il fut un temps où seule la Symphonie concertante pour orgue et orchestre op. 81 (1926) recevait les honneurs d'un unique disque (version Virgil Fox – Georges Prêtre, EMI-Warner) et, parfois, du concert, mais exclusivement dans les pays anglo-saxons ; ailleurs, silence absolu… Et puis, miracle ! : 2003, date doublement anniversaire du compositeur, voit la publication d'une multitude de CD, essentiellement de musique de chambre et de piano solo (surtout grâce à l'impulsion de la superbe pianiste belge Diane Andersen), qui dévoilent un pan essentiel de son œuvre, témoignant de la stature importante de son auteur enfin réhabilité au disque.
L'œuvre avec flûte de Jongen y tient une place de choix : Danse Lente pour flûte et harpe (ou piano) op. 56 bis (1918) ; Rhapsodie pour piano, flûte, hautbois, clarinette, basson et cor op. 70 (1922) ; Concert à cinq pour flûte, harpe et trio à cordes op. 71 (1923) ; Sonate pour flûte et piano (ou pour flûte et orchestre à cordes) op. 77 (1924) ; Deux pièces en trio pour flûte, violoncelle et harpe op. 80 (1925) ; Deux pièces pour flûte, hautbois, clarinette, cor et basson op. 98 (1933) ; Élégie et Deux paraphrases sur deux Noëls wallons pour quatuor de flûtes op. 114 (1941) ; Concerto pour flûte, hautbois, clarinette, cor et basson op. 124 (1942).
Les musiciens polonais de ce superbe disque se distancient de l'ordre chronologique de composition en nous proposant dès l'abord l'imposante Sonate pour flûte et piano op. 77 (1924) dédiée au flûtiste français René Le Roy (1898-1985), pièce de résistance de cet album, vaste fresque en quatre mouvements d'un classicisme assumé, d'une élévation de pensée et d'une noblesse remarquables, d'une richesse subtile et maîtrisée de l'harmonie – ce qui implique d'ailleurs la partie de piano particulièrement redoutable. Les deux interprètes – Mateusz Wojtkiw, flûte et Kinga Firlej-Kubica, piano – dévoilent une sensibilité à fleur de peau qui témoigne d'une osmose totale avec le langage très poétique et personnel de Jongen qui oscille entre Fauré et Ravel.
Les Deux paraphrases sur des Noëls wallons pour trois flûtes et une flûte alto op. 114 n° 1 et 2 nous révèlent un Joseph Jongen chantre de son terroir wallon, en l'occurrence liégeois, pour lequel il sait plier son art raffiné et infaillible au niveau de la simplicité et de la tendresse. La texture en est délicatement lumineuse, l'écriture précise et diaphane, d'un coloris subtil et souvent pastellisé. Si la partition est prévue pour quatre flûtes dont une flûte alto, cette dernière est remplacée ici par le cor anglais de Magdalena Maniewska. On y perd sans doute en homogénéité sonore globale de l'ensemble, mais on y gagne en richesse des timbres. Les parties des trois flûtes sont tenues par Mateusz Wojtkiw, Ewelina Zawiślak et Joanna Woszczyk-Garbacz ; l'interprétation d'ensemble est maîtrisée au point que l'impression finale est celle d'un seul instrument, tel un orgue miniature.
L'Élégie pour quatuor de flûtes op. 114 n° 3 et la Danse lente pour flûte et harpe op. 56 bis (qui semblent terminer ce récital sous forme de bis) ont tristement ceci en commun qu'elles sont de brèves compositions de guerre, la première 40-45, la seconde 14-18. Ces deux conflits ont profondément affecté Jongen, personne très sensible, et cela se ressent forcément dans le caractère désolé de la musique. Dans la bouleversante Élégie pour quatuor de flûtes op. 114 n° 3 (1941), le compositeur semble laisser de côté toute son habituelle science du contrepoint pour nous livrer sa douleur avec pudeur sous forme de mélodie accompagnée d'accords répétés. L'interprétation toute de retenue est due au quatuor de flûtes constitué de Mateusz Wojtkiw, Ewelina Zawiślak, Joanna Woszczyk-Garbacz, et du vétéran Antoni Wierzbiński qui depuis 1974 est professeur à l'Académie de musique de Łódź. La Danse lente pour flûte et harpe (ou piano) op. 54 bis (1918, éditée en 1924) est une page digne et mélancolique, qui témoigne également du désarroi de Jongen alors exilé en Angleterre durant les hostilités. Mateusz Wojtkiw, flûte et Anna Dudek, harpe nous en livrent une version idéale de tenue.
Au final, ce disque dont on regrette seulement qu'il soit trop court (48 minutes) est un joyau qui espérons-le se répliquera en l'achèvement de cette intégrale chambriste avec flûte(s), et verra bien d'autres CD de cette qualité en 2023, date également doublement anniversaire du compositeur. Un disque de référence qui nous fait espérer impatiemment une suite de la même eau !
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Joseph Jongen (1873-1953) – Œuvres complètes avec flûte(s), vol. 1 : Sonate pour flûte et piano, op. 77 ; Deux paraphrases sur des Noëls wallons pour trois flûtes et une flûte alto, op. 114 n° 1 et n° 2 ; Élégie pour quatre flûtes, op. 114 n° 3 ; Danse lente pour flûte et harpe, op. 56 bis. Mateusz Wojtkiw, flûte ; Ewelina Zawiślak, flûte ; Antoni Wierzbiński, flûte ; Joanna Woszczyk-Garbacz, flûte ; Magdalena Maniewska, cor anglais ; Anna Dudek, harpe ; Kinga Firlej-Kubica, piano. 1 CD Soliton. Enregistré en 2021 et 2022 en la Salle de concert Arthur Rubinstein de l’École générale de musique Henryk Wieniawski, Łódź. Notice en polonais. Durée : 47:52
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