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Max Reger, ce mal entendu

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Le cent-cinquantième anniversaire de la naissance de Max Reger est une bonne occasion de (re)découvrir, loin de certains poncifs et clichés, la vie modeste et le catalogue impressionnant de ce compositeur aussi prolifique qu’attachant, au-delà de leurs paradoxes tant personnels que stylistiques. Pour accéder au dossier complet : Max Reger, ce mal entendu

 
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Le 150ᵉ anniversaire de la naissance de , ce 19 mars 2023, est une bonne occasion de (re)découvrir, loin de certains poncifs et clichés, la vie modeste et le catalogue impressionnant de ce compositeur aussi prolifique qu'attachant, au-delà de leurs paradoxes tant personnels que stylistiques. Même si, devant une œuvre aussi pléthorique, règne – Reger lui-même en convenait – une inégalité certaine d'inspiration et de réalisation, et qu'une sélection est inévitablement nécessaire.

« Je le considère comme un génie ». Ainsi justifie-t-il au sortir de la Grande Guerre la programmation posthume d'œuvres de musique de chambre et – moyennant l'adaptation à des effectifs réduits – de quelques opus symphoniques de son quasi exact contemporain (1873-1916) au sein de sa Société d'éxécutions musicales privées viennoise.

En territoires francophones, il est presque amusant de relire aujourd'hui, quelques décennies après leurs publications, les commentaires désabusés d'un Debussy (« Fuyons, je sens qu'il va développer ! ») ou d'un Milhaud à propos de Brahms, ou les critiques dévastatrices d'un Antoine Goléa à propos de Bruckner. Certains clichés hexagonaux antigermaniques n'ont plus lieu d'être : non seulement Brahms et Bruckner mais aussi Mahler, voire la seconde école de Vienne, ont cessé d'être ostracisés et sont régulièrement programmés au concert à Paris ou en province.

Néanmoins, pour des raisons plus insidieuses, un autre axe de la musique germanique demeure méconnu en France. Il relève d'une autre vision très élargie de l'harmonie tonale, revue au travers de nouvelles théories et d'une conception éminemment polyphonique, voire contrapuntique du discours musical. Il s'agissait là, au départ, d'établir une synthèse entre rigueur toute classique d'écriture, et expression subjective et individuelle, « romantique » au sens large, et de créer un nouveau langage, synthèse à la fois des acquis de la tradition allemande et des chemins de la Nouvelle Musique, à vrai dire peu éloignée de la synthèse opérée à Vienne par Wolf, puis Zemlinsky, Schoenberg et ses disciples. (1873-1816) en est l'un des fers de lance, et à sa suite, (1895-1963), (1905-1963), (1895-1977), voire pour une partie de son catalogue (1926-2012) peuvent être considérés comme ses dignes héritiers. Hindemith aimait d'ailleurs se réclamer de Reger : « C'est le dernier des géants en musique. Mon œuvre serait inconcevable sans lui », disait-il.

D'autres musiciens compositeurs interprètes, outre son ami et alter ego , l'un des pionniers de la redécouverte du répertoire instrumental baroque en Allemagne à l'orée du XXᵉ siècle, les frères Busch (le chef d'orchestre Fritz, le violoncelliste Hermann, et surtout le violoniste et compositeur Adolf), plus jeunes d'une génération, ont collaboré avec lui, et ont perpétué son souvenir : et plus près de nous, le gendre d'Adolf, le légendaire Rudolf Serkin, et son fils Peter, défendront tout au long de leur carrière internationale tant le redoutable concerto pour piano que les impressionnants cycles de variations et fugues du mentor Reger.

Malheureusement, en dehors de son œuvre d'orgue, et peut-être de la littérature pour cordes seules, Reger demeure peu fréquenté voire méprisé en dehors des territoires germaniques et anglo-saxons. On se souvient du mot affreux et inutilement blessant de Stravinsky au retour d'un voyage en Allemagne : « J'aperçus alors Max Reger dont l'aspect physique était aussi répugnant que sa musique ».

Quelques éléments biographiques

Ses dates de naissance et de mort se confondent presque, et assez significativement d'ailleurs, avec celles de l'avènement puis la disparition du IIe Reich allemand sous la férule prussienne (1871-1918), ce qui explique aussi sans doute le dédain historique dont il est toujours victime en France.

Johann-Baptist-Joseph-Maximilian Reger, aîné de cinq enfants, naît le 19 mars 1873 à Brand, commune bavaroise du Haut-Palatinat, mais peu après sa naissance la famille emménage à Weiden la ville voisine de taille plus plus imposante, l'un des chefs-lieux du district du Haut-Palatinat. Il est éduqué dans un milieu musical, et peut apprendre la maîtrise de plusieurs instruments. En guise de cadeau offert par la famille mélomane pour fêter sa réussite scolaire, il peut fréquenter le festival wagnérien de la toute proche ville de Bayreuth, à l'été 1888 (et semble y assister aux représentations des Maîtres chanteurs de Nuremberg et de Parsifal) : il a là la révélation de sa vocation de compositeur, alors qu'il est déjà l'élève régulier d', l'organiste de la paroisse et qu'il remplace à l'occasion malgré son jeune âge.

Conscient des dons superlatifs de son élève, Lidner envoie en secret les premières œuvres de son disciple à , compositeur, théoricien et lexicographe célèbre, qui accepte le jeune Max comme élève, notamment à Wiesbaden où Reger se lie d'amitié avec Busoni et finit par enseigner à son tour l'orgue et la théorie musicale à peine trois ans plus tard. En 1896, il rencontre Brahms à qui il dédie sa suite pour orgue d'inspiration néo-baroque opus 16, le vieux maître hanséatique l'adoube et lui transmet le relais-flambeau de la musique allemande qu'il avait lui-même reçu de Schumann. Reger vit très mal son service militaire qui entraîne une première phase de prostration et de dépression, et semble déjà porté sur la bouteille pour résoudre les tensions psychiques qui l'assaillent.
Il retourne, à l'issue de cette terrible épreuve, dans sa famille puis s'installe à Munich, ville où il est nommé professeur d'orgue et de composition à l'Akadémie der Tonkunst.


C'est là qu'il épouse Elsa von Bercken- Bagensky, rencontrée dix ans plus tôt, et divorcée protestante. Dans une Bavière catholique et pudibonde, cette union lui vaut de facto une sorte d'excommunication religieuse et une brutale rupture avec sa propre famille extrêmement conservatrice et peu tolérante. Le couple vivra heureux quelque mois et bénéficiera de la protection domestique et financière d'Augusta, la mère d'Elsa, d'origine noble, jusqu'à la mort de celle-ci, et adoptera deux filles Christa et Lotti. Mais les nuages noirs s'amoncellent : Lotti se révèle atteinte de troubles psychiatriques sérieux, l'épouse Elsa est d'une santé défaillante… Le couple vit une relation souvent difficile et tendue même si Elsa fera souvent preuve de dévouement et de compréhension face à un mari instable et notoirement alcoolique. Après la mort précoce de son époux, elle œuvrera d'ailleurs beaucoup pour la perpétuation de son souvenir et fondera en 1946, à Bonn, le Max Reger Institut, toujours très actif aujourd'hui, comme fonds de recherche, de documentation, d'éditions et de publications centrées sur la vie et l'œuvre du compositeur et transféré dans de plus vastes locaux à Karlsruhe.

Max Reger vit, vers 1907, une période d'instabilité émotionnelle qui le mène à un nouvel épisode dépressif ; il fuit un ménage en crise par de longues et répétées tournées de concerts. On imagine le portrait psychologique d'un homme brisé, et intellectuellement partagé d'une part entre deux cultures religieuses – lui le catholique fervent, marié à une protestante et admirateur sans borne du génie musical héritier de la Réforme, tant par la valeur intrinsèque des chorals que par l'héritage spirituel lointain mais prégnant d'un , « l'alpha et l'oméga en musique », comme il se plaisait à le dire. En témoigneront ses sept fantaisies sur des thèmes de choral et ses trois recueils de choralvorpsiele au sein d'un catalogue d'œuvres d'orgue le plus imposant en Allemagne à l'époque romantique, avec celui de son aîné Josef Rheinberger (1839-1901).

Musicalement, sa position est tout aussi schizophrénique : il s'inscrit dans la tradition du Romantisme allemand « historique » selon un axe Mendelssohn-Brahms-Schumann mais emprunte aussi les chemins de la Nouvelle Musique dans l'héritage de Liszt et Wagner, représentés alors en Bavière par les thuriféraires de . Alors que Reger est un ami proche et un admirateur du compositeur de Salomé, et qu'il publie une série d'articles sur la nouvelle esthétique et les droits intangibles du compositeur moderne, il fait l'objet d'attaques incessantes tant au de sujet de sa musique que de la valeur de son enseignement de la part du critique Rudolf Louis, et de compositeurs « modernistes » aujourd'hui bien oubliés (et auteurs de pensums musicaux, somme toute, bien plus académiques !) comme (1861-1907) ou (1868-1933).

C'est dès 1902 que Reger se lie d'amitié avec l'organiste virtuose (1873-1950), qui défendra souvent bec et ongles son œuvre lors de ses récitals. Reger compose compulsivement vite et beaucoup depuis toujours, ignorant souvent le repentir ou la révision de ses œuvres, et intensifie encore sa production en marge d'une lourde fonction d'enseignant et de sa carrière d'instrumentiste. Plusieurs heures par jour il se consacre à l'incessante écriture de nouvelles œuvres : il est hanté par le spectre d'une possible disparition précoce, à la manière de Mozart, Schubert, Mendelssohn ou Chopin, et livre ses partitions avec un sentiment d'urgence permanente.

En 1907, Reger rejoint à Leipzig son ami Straube (nommé par la suite Cantor de Saint-Thomas, dans la lointaine succession de J.S Bach) pour y enseigner la composition, et accepte parallèlement, en 1910, le poste de directeur musical de la Meininger Hofkappelle fondée par et reprise en main avant lui par son ami .
Homme aux appétits énormes, Reger fume compulsivement, mange boulimiquement, et surtout continue d'ingurgiter des quantités phénoménales d'alcool : en 1914, il doit prendre à Ièna plusieurs mois de repos, pour une cure de désintoxication en marge d'un épuisement physique et mental. Diminué physiquement par cette épreuve et moralement par les affres de la Grande guerre, – l'orchestre de Meiningen est dissous fin 1914 ! -, après une phase d'exaltation patriotique à la déclaration de guerre (comme en témoigne son emphatique vaterländische ouverture opus 140), il ne se rend plus à Leipzig qu'une fois par semaine pour y prodiguer son enseignement. C'est là, dans une simple chambre d'hôtel, qu'il meurt foudroyé par une crise cardiaque le 11 mai 1916, âgé d'à peine 43 ans.

Crédits photographiques : Max Reger à sa table de travail ; en famille avec son épouse Elsa et sa fille adoptive Christa © Max-Reger-Institut/Elsa-Reger-Stiftung

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