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Nancy : Iphigénie en servitude

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Nancy. Opéra national de Lorraine. 15-III-2023. Christoph Willibald Gluck (1714-1787) : Iphigénie en Tauride, tragédie lyrique en quatre actes sur un livret de Nicolas-François Guillard. Mise en scène : Silvia Paoli. Décors : Lisetta Buccellato. Costumes : Alessio Rosati. Lumières : Fiammetta Baldiserri. Avec : Julie Boulianne, Iphigénie ; Julien van Mellaerts, Oreste ; Petr Nekoranec, Pylade ; Pierre Doyen, Thoas ; Halidou Nombre, Un Scythe / Un Ministre du Sanctuaire ; Lucie Peyramaure, Diane / Première Prêtresse ; Grace Durham, Deuxième Prêtresse / Une Femme grecque. Chœur de l’Opéra national de Lorraine (Chef de chœur : Guillaume Fauchère), Orchestre de l’Opéra national de Lorraine, direction : Alphonse Cemin

Avec une mise en scène de à plusieurs niveaux de lecture, une distribution jeune et engagée et une direction musicale qui révèle toute sa modernité, Iphigénie en Tauride revient à l'Opéra national de Lorraine après dix-sept ans d'absence.

 

Sommes-nous dans une dictature militaire ou au sein d'une secte religieuse fanatique et oppressive ? L'univers, où la metteuse en scène et sa décoratrice Lisetta Buccellato transplantent Iphigénie en Tauride de Gluck, tient un peu des deux. Les deux premiers actes prennent place dans une maison désaffectée qui a souffert des destructions de la guerre, où Thoas règne en despote flatté par des courtisans serviles et où Iphigénie et ses compagnes sont retenues prisonnières et asservies. Après l'entracte, la cellule monacale d'Iphigénie trône au centre d'une curieuse salle de spectacle de patronage dont le rideau de scène découvrira un tableau naïf figurant un univers idyllique et pastoral où l'on vénère l'apparition du Christ rédempteur. On songe aux divers mouvements sectaires qui ont fait de la religion leur fond de commerce et , dans le programme de salle, fait référence à l'américaine « Église fondamentaliste de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours » (sic), qui de plus réduit les femmes en esclavage et leur dénie tout droit. L'uniformisation des costumes d'Alessio Rosati (complets noirs pour les Scythes, robes et voiles de nonnes pour les Grecques) contribue de même à les dépersonnaliser et leur refuse toute individualité. Dans ces deux mondes, la violence est omniprésente, tant physique que psychologique. Oreste et Pylade la subissent tout particulièrement.

Mais Silvia Paoli n'oublie pas la tragédie des Atrides, traumatisme à la fois pour Iphigénie et son frère Oreste, et constitutive de leur personnalité et de leur psyché. Elle l'évoque par les apparitions récurrentes de leurs doubles enfants, de leur père Agamemnon en tyran domestique et de leur mère Clytemnestre en grande bourgeoise blasée, un couple d'évidence en rupture qui se déchire autour de l'éducation et la garde des enfants . Ce sont eux encore qui, démultipliés, figurent les Erinyes venues torturer Oreste et hanter ses cauchemars. Iphigénie tente de se souvenir et d'exorciser son histoire chaotique en ornant les murs de sa chambre de coupures de presse et de photos du passé. Quant à l'apparition finale de Diane en « deus ex machina », elle prend la forme de la fillette Iphigénie ornée évidemment d'un masque de cerf et enfin en paix avec son passé.

Avec une telle multiplicité de pistes explorées, Silvia Paoli peine tout de même à ordonner et clarifier ses intentions et ne renouvelle pas la réussite de sa Tosca épurée sur cette même scène. Mais sa direction d'acteurs est toujours aussi travaillée et précise. Si elle délaisse quelque peu le personnage d'Iphigénie, cantonné à de perpétuelles plaintes sur son sort, elle s'intéresse tout particulièrement au couple Oreste-Pylade dont elle détaille l'amour réciproque (jusqu'à un baiser sur les lèvres plus que fraternel), les conflits et les atermoiements. Le chœur féminin des prêtresses de Diane est aussi particulièrement soigné, individualisé, agissant, en opposition au monolithique Thoas et à sa suite traitée comme un bloc uniforme.

Pour Pylade et Oreste, Silvia Paoli tire bénéfice de deux chanteurs qui s'investissent sans réserve dans sa conception physiquement très exigeante. Jeune et séduisant, le Pylade de a comme atouts un timbre suave, une parfaite homogénéité vocale et sait user avec réussite et à-propos de la voix mixte et du falsetto. Son air « Unis dès la plus tendre enfance » recueille les premiers applaudissements de la soirée. Moins directement attrayant de timbre et plus brutal d'émission, l'Oreste de séduit par son implication scénique et la puissance de son incarnation, la clarté et le tranchant de son aigu, la subtilité de ses nuances. Bien que tous deux d'origine étrangère, leur travail sur la prononciation du français est remarquable et le résultat parfaitement intelligible. Certes, chez Pylade, quelques sonorités un peu exotiques transparaissent encore mais c'est sans occasionner de gêne durable.

D'Iphigénie, possède la grandeur tragique, l'intensité dramatique et la capacité d'émotion. La tempête d'ouverture la trouve à son meilleur. Mais cette voix riche en harmoniques, ce timbre un peu épais, ces aigus constamment forte et puissamment projetés conviennent moins aux moments de réflexion et d'introspection. campe avec aplomb un Thoas tout d'une pièce, éructant avec violence ses menaces et sa colère. Dans le court rôle du ministre, Halidou Nombre use de sa stature scénique et de sa franche émission pour retenir l'attention. La Deuxième Prêtresse au timbre rond et plantureux de Grace Durham et la Première Prêtresse (et surtout la Diane) plus lumineuse et moins terrestre de Lucie Peyramaure se complètent et s'apparient avec efficacité. Monolithique et parfaitement homogène, le chœur masculin s'oppose au chœur féminin plus différencié et plus vibrant.

Nette et carrée, évitant les alanguissements et une rondeur sonore trop romantiques, la direction d' soigne la continuité dramatique, la précision, le rythme et s'attache à révéler les couleurs instrumentales. Avec des cordes sans vibrato et très articulées et des bois qui osent l'acidité, l'Orchestre de l'Opéra national de Lorraine se met au diapason de cette conception qui exalte la modernité presque contemporaine du chef d'œuvre de Gluck.

Crédits photographiques : (Pylade) et (Oreste) / (Iphigénie) © Jean-Louis Fernandez

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