Erwan Keravec fait sonner le quatuor

Jalon après jalon, le sonneur breton Erwan Keravec poursuit son travail de commandes auprès de compositeurs aux sensibilités très diverses, en vue de l'établissement d'un répertoire contemporain pour son instrument, la cornemuse écossaise, mais aussi pour toute la famille du bagad, puisqu'il s'agit avec Sonneurs 2 de son deuxième disque pour le quatuor traditionnel cornemuse, biniou, bombarde et trélombarde.

Malgré ses origines bretonnes, le compositeur Pierre-Yves Macé a longtemps marqué un rejet des instruments de cette tradition, avant de se laisser convaincre par le travail d'Erwan Keravec. Les cinq miniatures qui structurent le disque et constituent Five Dolly Shots ont été commandées en 2018 pour l'émission Création mondiale d'Anne Montaron. Très différentes les unes des autres, elles témoignent de la grande palette sonore que le compositeur a su tirer de ce quatuor : fanfares colorées surgies du soubassement d'un bourdon pour « (re)commencer », formules répétitives aux rythmes complexes, entrelacées sous forme de hoquets dans « Chaconne Express », matières tourbillonnantes et électriques dansant sur un bourdon pour « Ne pas s'arrêter », puis granulations et grondements en glissando dans la concentration méditative de « Borne à l'infini ».

Quatre œuvres de plus grande envergure sont encadrées par ces pièces brèves. Aux extrémités du disque, les longues tenues et les textures fascinantes et hypnotiques de Disobedience in BDS de Dror Feiler (2) correspondent en miroir à l'Antienne pour les jours de fièvre de Frédéric Aurier (8), la rencontre rêvée entre le quatuor traditionnel de sonneurs et le quatuor à cordes classique, incarné par le Quatuor Béla. D'abord sur le principe de questions-réponses en imitations, la réunion tourne vite à l'osmose et prend les allures d'une énergique danse aux harmonies étranges, qui adoptera plusieurs visages. Au centre du disque, une relecture réussie de Music in Similar Motion de Philip Glass (4), aux couleurs de musique traditionnelle, qui fait écho à la précédente interprétation en solo que Keravec avait donnée de Two Pages, et les souffles mystérieux, les chocs percussifs et les bruitages de Latitudes de Jessica Ekomane (6), une compositrice et performeuse venue de l'électronique, visiblement inspirée par les possibilités des quatre instruments. La fusion entre bourdons synthétiques et sons acoustiques produit des textures et des effets d'une grande richesse qui en font l'œuvre la plus convaincante du disque, avec celle de Dror Feiler.

Une fois encore, dans son projet de longue haleine, Erwan Keravec, solidement épaulé par ses partenaires Mickaël Cozien, Erwan Hamon et Guénolé Keravec, parvient à ouvrir les portes d'un nouvel univers au quatuor du bagad breton, qu'il inscrit dans une tradition innovante en cours d'écriture, avec un grand sens de l'histoire.