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Dresde. Semper Zwei. 22-II-2023. Aribert Reimann (né en 1936) : Die Gespenstersonate (La Sonate des spectres), d’après Strindberg. Mise en scène : Corinna Tetzel ; décor et costumes : Judith Adam. Avec Andrew Nolen (Le vieux), Michael Pflumm (L’étudiant), Jürgen Müller (Le colonel), Sarah Alexandra Hudarew (La momie) ; Jennifer Riedel (La jeune fille)… Ensemble instrumental ; direction : Yura Yang.
Drame bourgeois fantomatique et malsain, l'opéra de chambre de Reimann est donné dans une mise en scène un peu trop minimale.
Aribert Reimann n'est pas que l'auteur de Lear, cet opéra-coup de poing qui a fait un retour remarqué ces dernières années sur les scènes lyriques ; quelques années plus tard, il adapte par exemple une pièce tardive de Strindberg, La Sonate des spectres, en un opéra de chambre créé à Berlin en 1984. Avec ses nombreux personnages, son atmosphère méphitique, sa puissance d'évocation, la pièce aurait pu donner lieu à un grand spectacle, mais Reimann se contente d'un ensemble de douze instrumentistes, face à neuf chanteurs sur scène et beaucoup de rôles muets, et une durée de 75 minutes seulement : cela permet à l'Opéra de Dresde de la programmer non pas dans la grande salle du Semperoper, mais dans son annexe moderne et modulable, la Semper Zwei. La metteuse en scène Corinna Tetzel a choisi de disposer le public sur trois côtés de la petite scène, au plus près des acteurs, l'ensemble instrumental étant disposé dans un coin de la salle. Il reste donc pour les acteurs une étroite scène circulaire, autour de laquelle coulissent des éléments de décor très stylisés : les personnages ne sont donc jamais très loin les uns des autres, ce qui va bien avec l'atmosphère étouffante, pour ne pas dire hystérique, qui règne dans cette petite société, où personne n'est simplement celui qu'il dit et/ou croit être.
En son centre, le directeur Hummel, le genre de notables au bord de l'implosion que Ibsen ou Strindberg aiment mettre sous leur microscope. Il est chanté par Andrew Nolen, avec une voix de bronze et une autorité qui font penser à Michael Volle. Il jette son dévolu sur l'étudiant Arkenholz, fils d'un homme ruiné peut-être par sa faute, qui se montre capable de voir des spectres – la mise en scène ne nous les montre pas, mais on voit bien ici que la différence entre les vivants et les spectres n'est pas bien grande. Le colonel qui habite à côté avec sa fille, par exemple, n'est pas noble, il n'est même pas colonel, il porte une perruque, et sa fille est cette du directeur Hummel : les faux-semblants écrasent le vieillard qu'est devenu Hummel, quand bien même il réussit à humilier le faux colonel et à manipuler l'étudiant. Le dîner de spectres auquel paraît aussi « la momie », autrement dit l'épouse du colonel et ancienne amante de Hummel, marque finalement sa défaite et sa fin. L'étudiant reste face à la jeune fille qui a l'apparence du salut – mais elle aussi est empoisonnée par les méfaits des autres et meurt.
Le cadre limité de la mise en scène nuit un peu à l'effet de l'opéra : il n'y a pas beaucoup de place pour donner sa dimension à l'univers étrange de l'œuvre, et le prosaïsme des décors et costumes n'aide pas vraiment, sans pour autant suffire à rendre clairs les enjeux des différentes scènes. La musique de Reimann, fort sagement, reste en-deçà de la folie et de l'atmosphère méphitique de ce que montre le drame – et c'est tout sauf un défaut. Pas d'éléments déchaînés comme dans Lear, pas de marqueur musical de la folie, pas plus que de couleur locale des salons bourgeois 1900 ; il s'adresse au spectateur qui n'a pas besoin que la musique redouble ce que dit le texte. L'écriture vocale ne s'interdit pas des envolées lyriques, notamment pour le ténor haut qu'est l'étudiant (Michael Pflumm, vif et élégant), qui passe sous le coup de l'émotion à la voix de tête ; elle se rapproche pourtant le plus souvent du ton du dialogue, tout en donnant à chacun sa propre voix, et tout en se mettant au service des chanteurs qu'elle met remarquablement en avant.
Nos réserves sur ce spectacle s'arrêtent à la mise en scène : les chanteurs incarnent chacun leur rôle de manière saisissante, à commencer par la « momie » de Sarah Alexandra Hudarew, et l'ensemble instrumental constitué pour l'occasion, sous la direction de la jeune cheffe Yura Yang, fait merveille en faisant miroiter les infinies nuances instrumentales de l'écriture de Reimann. Le public se montre reconnaissant de l'implication de tout l'ensemble, instrumental et vocal, pour faire connaître une partition remarquable d'un des plus passionnants compositeurs lyriques d'aujourd'hui.
Crédits photographiques © Ludwig Olah
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Dresde. Semper Zwei. 22-II-2023. Aribert Reimann (né en 1936) : Die Gespenstersonate (La Sonate des spectres), d’après Strindberg. Mise en scène : Corinna Tetzel ; décor et costumes : Judith Adam. Avec Andrew Nolen (Le vieux), Michael Pflumm (L’étudiant), Jürgen Müller (Le colonel), Sarah Alexandra Hudarew (La momie) ; Jennifer Riedel (La jeune fille)… Ensemble instrumental ; direction : Yura Yang.