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Biennale du Philharmonique de Berlin : Ligeti, racines et grands espaces

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Berlin. Philharmonie. 19-II-2023. (Kammermusiksaal). György Ligeti : Baladă și joc ; pièces pour piano ; Musica ricercata (extraits) ; 6 Bagatelles pour quintette à vents ; Béla Bartók (1881-1945) : Danses roumaines Sz 56, arr. pour violon et piano ; Zoltán Kodály (1882-1967) : Sonate pour violoncelle et piano op. 7. Ulrich Matthes, lecture ; membres de l’Orchestre philharmonique de Berlin.
Joseph Haydn (1732-1809) : Présentation du chaos (extrait de La Création) ; György Ligeti (1923-2006) : Ramifications. Joseph Haydn : Introduction à L’Hiver (extrait des Saisons) ; György Ligeti : Hamburgisches Konzert pour cor et orchestre de chambre ; Macabre Collage, suite de l’opéra Le Grand Macabre (arrangement : Elgar Howarth) ; Joseph Haydn : Symphonie n° 60 »Il distratto«. Alec Frank-Gemmill, cor ; Deutsches Symphonie-Orchester Berlin ; direction : Robin Ticciati.

Le formidable concert Ligeti/Haydn du DSO Berlin et est un modèle de programmation et d'élan musical.


Après plus d'une semaine de concerts, sous la direction de Daniel Harding et de Matthias Pintscher entre autres, il faut attendre l'apparition d'un autre orchestre berlinois pour parvenir enfin à un concert orchestral passionnant aussi bien sur le papier que dans la réalité. Le Deutsches Symphonie-Orchester, sous la direction de son directeur musical , choisit de faire alterner Haydn et Ligeti pendant toute la soirée, choix tout sauf évident ; pourtant, outre qu'elle réunit deux compositeurs toujours trop peu présents dans la programmation des grands orchestres, ce choix révèle sa pertinence à l'écoute, dans la salle de concert la plus représentative de l'époque couverte par sa biennale – il suffit de comparer la Philharmonie de Berlin avec la banalité irréductible de la grande salle du Festival de Salzbourg, elle aussi construite pour le démiurge Karajan trois ans plus tôt, pour percevoir le génie visionnaire du bâtiment de Hans Scharoun.

La première partie s'ouvre sur le geste créateur par excellence, celui de l'introduction orchestrale de La Création de Haydn, qui prend dans cette acoustique vaste autant que précise des dimensions véritablement démiurgiques. Ramifications, ensuite, occupe l'espace par des moyens tout différents : seulement douze cordes, divisées en deux groupes dont l'un joue sur des instruments accordés à un quart de ton de distance de l'autre, mais qui suffisent à perdre l'auditeur dans le dense réseau sonore que Ligeti construit dans l'espace de la salle de concert – et les musiciens du DSO montrent ici, collectivement, leurs qualités de solistes. Après l'introduction de l'Hiver des Saisons de Haydn, l'orchestre se réorganise pour le Hamburgisches Konzert de Ligeti, une de ses dernières œuvres où le cor soliste est soutenu par quatre cors naturels, comme un écho sans cesse changeant : œuvre d'une grande sophistication, elle trouve pourtant ses racines dans les caractéristiques harmoniques des cors des Alpes qu'il pouvait entendre dans sa première jeunesse : le décalage avec nos habitudes d'écoute est à nouveau un des buts de Ligeti, et le soliste Alec Frank-Gemmill montre bien toutes les facettes de ce saisissant kaléidoscope.

La deuxième partie est elle pleine de théâtre : à défaut de l'opéra entier (donné en 2017 par Simon Rattle dans la même salle), joue une suite du Grand Macabre, non pas les bien connus Misteries of the Macabre (avec soprano), mais un collage lui aussi réalisé par le chef de la création en 1978, Elgar Howarth, et qui ne donne pas vraiment une idée très fidèle de ce qui fait la force de l'opéra. La symphonie Le Distrait de Haydn est elle aussi théâtrale, puisque ses six mouvements sont issus d'une musique de scène pour la pièce de Regnard ; Robin Ticciati parvient admirablement à en restituer la vivacité, l'humour, sans jamais tomber dans la brutalité. En choisissant une telle alternance, les programmateurs ont fait le pari que la cohabitation de ces deux univers pourrait ouvrir l'horizon sonore des auditeurs, cherchant Ligeti dans Haydn et Haydn dans Ligeti, en oubliant la distinction absurde entre une musique « facile » (Haydn) et une musique « difficile » (Ligeti) : le pari est pleinement réussi grâce à la versatilité exemplaire de l'orchestre et de son chef.

Ligeti et la musique populaire, une relation à la vie, à la mort

L'autre grand moment de ce second week-end de biennale est un après-midi consacré aux racines de Ligeti en Transylvanie, sa région natale qui passe juste avant sa naissance du royaume Habsbourg de Hongrie à la nouvelle grande Roumanie : on y croise, naturellement, Bartók venu recueillir des danses roumaines, mais aussi Kodály avec sa sonate pour violoncelle et piano. Le grand acteur Ulrich Matthes lit des extraits de l'autobiographie du cosmopolite Ligeti, entre Roumanie, Hongrie, Autriche et identité juive, vocation scientifique et passion musicale, entre musique populaire et affrontements nationalistes, et jusqu'à la Shoah qui l'a personnellement épargné, mais a anéanti presque toute sa famille. En deuxième partie, les vents de l'orchestre alternent avec la pianiste Cordelia Höfer : le quintette à vents de Ligeti est la transcription de six mouvements du cycle pianistique Musica ricercata, dont la pianiste joue ceux que Ligeti n'a pas transcrits – la comparaison avec l'interprétation de Bertrand Chamayou quelques jours plus tôt est difficile, mais on peut tout de même constater combien la transcription fait ressortir l'inspiration que Ligeti tire de la musique populaire de Transylvanie, beaucoup plus nettement que dans la version initiale. Ce concert-lecture comme l'ensemble de la biennale montrent bien comment Ligeti, loin d'oublier ses racines au fur et à mesure de la progression de sa carrière après 1956, continue à en tirer des leçons musicales qui vont bien au-delà d'un folklore superficiel : il faut être bien peu attentif pour croire que la musique d'après 1945 part d'une tabula rasa.

Crédits photographiques : © Peter Adamik

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