Biennale du Philharmonique de Berlin : Ligeti et l’esprit des lieux
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Berlin. Philharmonie. 18-II-2023. Bernd Alois Zimmermann (1918–1970) : Musique pour les soupers du Roi Ubu ; Bohuslav Martinů (1890–1959) ; Rhapsody-Concerto pour alto et orchestre ; György Ligeti (1923–2006) : Requiem. Amihai Grosz, alto ; Makeda Monnet, soprano ; Virpi Räisänen, mezzo ; Rundfunkchor Berlin ; Berliner Philharmoniker ; direction : Matthias Pintscher
18-II-2023. Neue Nationalgalerie. Maurice Ohana (1913-1992) : Quatre études chorégraphiques ; Giacinto Scelsi (1905-1988) : Riti. I funerali d’Achille ; André Jolivet (1905-1974) : Cérémonial. Percussionnistes de l’orchestre philharmonique de Berlin.
19-II-2023. Johann Sebastian Bach : Chaconne de la Partita BWV 1004, transcrite par Jean-Baptiste Dupont ; Max Reger (1873-1916) : Rhapsodie op. 65/1. Jean-Baptiste Dupont (né en 1979) : Improvisation ‒ Triptychon (Andante, Adagio, Toccata) ; Igor Stravinsky : Trois mouvements de Pétrouchka, transcrits par Jean-Baptiste Dupont ; György Ligeti : Volumina pour orgue. Jean-Baptiste Dupont, orgue.
Matthias Pintscher dirige un concert qui manque de force, et le public berlinois découvre l'architecture des années 1950-1960.
Pour le deuxième week-end de sa biennale, l'Orchestre philharmonique de Berlin continue à se pencher sur l'après-guerre autour de l'œuvre de György Ligeti : hélas, un changement de chef (Matthias Pintscher remplaçant Simon Rattle) nous prive d'Apparitions, une des plus fortes œuvres de Ligeti, ne laissant que son Requiem, étrangement précédé d'œuvres qui sont loin de le valoir. Certes le Rhapsody-Concerto de Martinů date de 1952, mais comme le Concerto pour orchestre de Lutosławski donné la semaine précédente, il ne vaut guère que par contraste : Amihai Grosz, altiste solo de l'orchestre passé ici soliste tout court, le défend avec conviction et énergie, mais la très tempérée, très bien écrite partition de Martinů reste bien élevée et un peu fade, d'autant qu'on ne peut pas compter sur Matthias Pintscher pour donner à la partition une nécessité qu'elle n'a pas. Pas plus que pour les partitions néo-classiques de Stravinsky qui lui servent de modèle, le retour vers le passé n'est pas une source d'inspiration particulièrement prolifique.
Pour ouvrir le concert, l'orchestre présente une œuvre de Bernd Alois Zimmermann, acteur majeur de la scène musicale allemande en même temps que Ligeti, mais avec une œuvre qui n'a pas la force des Soldats ou de Photoptosis : collage savant à vocation humoristique et volontiers satirique, son hommage au roi Ubu d'Alfred Jarry ne parvient pas franchement à dépasser le simple divertissement. Il faut donc passer l'entracte pour arriver au vrai chef-d'œuvre de la soirée, Requiem de Ligeti, qui malgré l'usage d'un texte liturgique est tout sauf un hommage à l'héritage spirituel chrétien. Matthias Pintscher, comme souvent, en offre une interprétation plus lisse qu'on ne l'aurait souhaité, mais le remarquable Rundfunkchor Berlin parvient à restituer toute la sauvage sophistication de la partition. On aurait aimé une soprano un peu plus délicate (oui, même dans le cri), mais cette œuvre épatante ne manque pas son effet : le public fait un triomphe à tous les artistes.
Les musiciens du Philharmonique, ou du moins ses percussionnistes, se déplacent ensuite de quelques centaines de mètre pour occuper le niveau supérieur de la Neue Nationalgalerie, autre bâtiment phare de la modernité architecturale de l'après-guerre, avec sa structure de métal et de verre sur un socle minéral. Hélas, les trois œuvres du programme, Ohana, Scelsi et Jolivet, sont un peu écrasées par l'acoustique qui n'a rien à voir avec celle d'une salle de concert – on serait plus à même de les juger dans une salle qui donne du volume à ces partitions. La musique pour percussion, dans l'après-guerre, était par elle-même une forme de modernité, tout l'inverse de l'orgue associé à une longue tradition : le lendemain matin, Jean-Baptiste Dupont joue un programme constitué principalement de ses transcriptions et improvisations et d'une œuvre majeure de Ligeti, Volumina, parfaitement à sa place sur l'orgue Schuke, achevé en 1965, trois ans après la création de la pièce. La Chaconne de Bach qui ouvre le programme n'est pas très convaincante : Dupont fait alterner moments de puissance et brusques passages piano, ces derniers souvent très proches d'une sentimentalité post-romantique pas très bien venue ; quant aux Trois pièces de Pétrouchka de Stravinsky, la transcription alterne entre effets de timbre bienvenus et moments plus diffus. La manière dont l'orgue envahit tout l'espace de la Philharmonie pour Volumina, au contraire, est un grand moment de musique, qui montre le talent de Ligeti pour faire surgir la musique à partir du rien, hors de tous ses paramètres fondateurs : un geste libérateur, un geste fort et véritablement créateur.
Crédits photogrphiques : © Stephan Rabold (Requiem), Monika Rittershaus/VG Bild-Kunst (Percussions)
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19-II-2023. Johann Sebastian Bach : Chaconne de la Partita BWV 1004, transcrite par Jean-Baptiste Dupont ; Max Reger (1873-1916) : Rhapsodie op. 65/1. Jean-Baptiste Dupont (né en 1979) : Improvisation ‒ Triptychon (Andante, Adagio, Toccata) ; Igor Stravinsky : Trois mouvements de Pétrouchka, transcrits par Jean-Baptiste Dupont ; György Ligeti : Volumina pour orgue. Jean-Baptiste Dupont, orgue.