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Paris. Athénée Théâtre Louis Jouvet. 10-II-2023. D’après la tragédie lyrique de Christoph Willibald Gluck (1714-1787), dans une adaptation libre d’Othman Louati : Orphée et Eurydice. Mise en scène : Thomas Bouvet. Direction artistique : Romain Louveau. Lumières : Arnaud Godest. Costumes : Aude Desigaux. Sonorisation : Anaïs Georgel. Vidéo : Borris Carré. Silhouette vidéo : Marie-Mathis Aubert. Avec : Floriane Hasler, Orphée ; Mariamielle Lamagat, Eurydice ; Amélie Raison, Amour ; Olivier Gourdy, Ratia Tsanta, Amélie Raison, et Mathilde Rossignol, chœur. Ensemble Miroirs Étendus, direction : Fiona Monbert
Effectif resserré, format ramassé, musique réactualisée, l'Orphée et Eurydice de Christoph Willibald Gluck adapté par le compositeur Othman Louati et mis en scène par Thomas Bouvet trouve une densité nouvelle à l'Athénée Théâtre Louis-Jouvet.
Il y eut une version viennoise – la première – une version italienne, une version parisienne, une version berliozienne… Avec l'ensemble Miroirs Étendus, il y a désormais la version modernisée de l'opéra de Gluck. Après sa toute première adaptation lyrique, la Damnation de Faust de Berlioz en 2017, c'est à Orphée et Eurydice qu'Othman Louati, artiste associé de la compagnie fondée par Emmanuel Quinchez, a prêté son talent de compositeur-arrangeur, proposant une refonte de l'ouvrage mariant création et musique originale. À la relecture sonore s'ajoute celle visuelle et scénique imaginée par Thomas Bouvet et Arnaud Godest (lumières).
L'orchestre et le chœur dirigés par Fiona Monbet réduits à l'extrême, à l'essentiel, comptent tout à l'unité. Aux huit instruments acoustiques sélectionnés et sonorisés (abandonnée au profit de la clarinette, on n'entendra pas la flûte dans le célèbre Ballet des ombres heureuses), un synthétiseur et une guitare électrique ont été ajoutés. Pas de harpe non plus, mais une guitare sèche. Seulement quatre chanteurs pour le chœur, dont les voix légèrement amplifiées par des micros font corps avec les sons électroniques. Amélie Raison, qui interprète le personnage de l'Amour, est également choriste aux côtés de Mathilde Rossignol, Olivier Gourdy et Ratia Tsanta. Une configuration chambriste, intimiste, idéalement cousue pour l'espace, l'écrin qu'est l'Athénée, et déjà « rodée » sur d'autres scènes (Rouen, Compiègne, Tourcoing) dans le cadre d'une coproduction.
La partition réinventée par Othman Louati, chantée en français, part de la musique originale, mais condensée. L'ouverture a été réécrite dans le respect de l'harmonie initiale, avec des sonorités caractérisées, sombres et mystérieuses, grinçantes et âpres aussi, pour accompagner l'émergence du noir des cinq silhouettes qui chantent le premier air « Ah dans ces bois tranquilles et sombres ». Le compositeur installe une atmosphère sonore en parfait accord avec l'ambiance scénique, usant à bon escient de l'individualisation des timbres, mais aussi du fondu des sonorités amplifiées distordues par l'électronique, pour figurer les espaces et leurs mystères, les tensions dramatiques, les états psychologiques. Les accompagnements des récitatifs sont réinventés, faisant l'objet d'un travail sur le son renforçant l'expressivité. Le parti général repose sur les contrastes entre musique acoustique, utilisée pour le monde des vivants, les personnages de chair, et musique électronique lorsque l'on passe dans le monde des morts, des ombres. L'opposition entre les sonorités caverneuses, pesantes, sombres, lors de la descente aux enfer, et celles douces et voilées exprimant la sérénité du jardin des Champs-Élysées où résident les ombres heureuses et Eurydice, n'en est que plus saisissante.
Thomas Bouvet et Arnaud Godest ont imaginé une mise en scène à partir de cette musique, en osmose avec elle. Composée d'éléments choisis, sobre et poétique, elle repose sur une esthétique des ténèbres finement travaillée. Le décor montre les limbes : espace indéterminé, mystérieux, délimité par moments par des parois luisantes, comme suintantes, une haute porte sans fin, ou plutôt un passage, et au sol un parterre de fleurs. Le noir opaque est éclairé par une déclinaison subtile de lumières : lueurs blanches et furtives tels de silencieux éclairs, lueurs rougeoyantes diffuses traversant des fumées dans les enfers, lumières dorées et doucement chaudes avant les retrouvailles d'Orphée et Eurydice, pluie diaphane faisant penser à des cendres… Une autre trouvaille troublante est le personnage de l'Amour, qui n'apparait pas sur scène, mais en projection au-dessus d'Orphée : une haute silhouette surnaturelle, en robe longue, la chevelure blonde cachant son visage, dont les bras tout aussi étirés dessinent de lents et doux mouvements.
Les voix ont été elles aussi choisies avec soin et discernement. Le chœur est parfait d'équilibre, de précision et d'une grande justesse expressive. La diction de tous les chanteurs est impeccable, rendant le surtitrage superflu. Amélie Raison prête sa voix éthérée, douce et d'une limpide luminosité dans les aigus, à Amour qu'elle chante cachée derrière un rideau. Son expression souplement nuancée est à l'image de l'immatérialité de son personnage. Son « Eurydice, respire ! » est d'une saveur irrésistible. Dans la tradition berliozienne, le rôle d'Orphée a été confié à une mezzo-soprano (et non pas un ténor ou un haute-contre). C'est Floriane Hasler qui l'incarne, de sa voix au timbre rond, chaleureux et homogène, aux beaux graves profonds. Elle y investit une charge émotionnelle constante, et son air « J'ai perdu mon Eurydice » est magnifique d'expressivité et de legato. Eurydice est elle aussi superbement interprétée par la soprano Mariamielle Lamagat, dont le timbre étincelant, la voix ferme et à l'ardent vibrato servent les émotions exacerbées du personnage, réactif et révolté face à la distance que son époux lui impose. Ces deux voix très incarnées s'accordent et se complètent à merveille dans les duos, rendant le couple très crédible et émouvant.
Très applaudi, un spectacle lyrique aussi original et inspiré que respectueux de l'œuvre de Gluck, avec, pour les prochaines dates, Claire Péron dans le rôle d'Orphée.
Crédits photographiques © Martin Noda, et Clémence Demesme
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Paris. Athénée Théâtre Louis Jouvet. 10-II-2023. D’après la tragédie lyrique de Christoph Willibald Gluck (1714-1787), dans une adaptation libre d’Othman Louati : Orphée et Eurydice. Mise en scène : Thomas Bouvet. Direction artistique : Romain Louveau. Lumières : Arnaud Godest. Costumes : Aude Desigaux. Sonorisation : Anaïs Georgel. Vidéo : Borris Carré. Silhouette vidéo : Marie-Mathis Aubert. Avec : Floriane Hasler, Orphée ; Mariamielle Lamagat, Eurydice ; Amélie Raison, Amour ; Olivier Gourdy, Ratia Tsanta, Amélie Raison, et Mathilde Rossignol, chœur. Ensemble Miroirs Étendus, direction : Fiona Monbert