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Intolleranza à Bâle : le dispositif idéal

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Bâle. Theater Basel. 11-II-2023. Luigi Nono (1924-1990) : Intolleranza, action scénique, sur une idée d’Angelo Maria Ripellino. Textes de Henri Alleg, Bertold Brecht, Paul Eluard, Vladimir Maïakovski, Julius Fucik, Jean-Paul Sartre. Mise en scène : Benedikt von Peter. Deécor : Katrin Wittig. Costumes : Geraldine Arnold. Lumière : Susanne Reinhardt. Chorégraphie : Carla vom Hoff. Vidéo : Bert Sander. Avec : Peter Tantsits, ténor (un Immigré) ; Inna Fedorii, soprano (ne Femme) ; Jamin Etezadzadeh, mezzo-soprano (sa Compagne) ; Kyu Choi, baryton (un Algérien) ; Artyom Wasnetsov, basse (un Torturé) ; Haewon Jeong, soprano (une Voix). Choeur (chef de choeur : Michael Clark) et Sinfonieorchester Basel, direction musicale : Stefan Klingele

adapte pour Bâle la lecture qu'il avait faite à Hanovre en 2011 du premier opéra de , dans une configuration mêlant l'individuel et le collectif. Un geste radical, puissant, forcément nécessaire.

Dans le hall du Theater Basel, des postes de radio années 60 diffusent la bande-son, dirigée par Bruno Maderna d'Intolleranza 1960, créé à Venise en avril 1961, soit, très prémonitoirement, quelques mois avant la noyade dans la Seine de manifestants algériens. Intolleranza est un condensé des soubresauts horrifiques du XXᵉ siècle dont le compositeur, né en 1924 et mort en 1990, fut le témoin. Impuissant au plan politique, nonobstant son appartenance au Parti Communiste italien, Nono mit son style musical (hérité en droite ligne de son beau-père, Arnold Schoenberg) au service de la cause humaine. Intolleranza, très représentatif du style opératique d'une époque qui déroula le tapis rouge à Stockhausen, Penderecki, Xenakis et Henze, fut le premier geste de cette « bonne action » que Nono qualifia d'« action scénique » plutôt qu'opéra, art alors plutôt réservé à une certaine élite. En suivant le destin d'un immigré désireux de retrouver le sol qui l'a vu naître, Intolleranza, bien que bref (1H40), est un monstrueux précipité : y défilent les guerres d'Espagne, d'Indochine, d'Algérie, Hiroshima. Le XXᵉ siècle comme champ de ruines. Intolleranza comme chant d'espoir.

Le livret, sur une idée du professeur-poète-écrivain Angelo Maria Ripellino, emprunte à Sartre, Eluard, Alleg, Maïakovski, Brecht, pour plonger l'auditeur dans l'enfer minier, la rage d'une manifestation, l'horreur de la torture, celle des camps de concentration, avant de conclure son œuvre au noir par une noyade désespérante. , bien décidé à confronter l'individualisme de notre temps au collectif de naguère, immerge le spectateur dans l'action scénique. Auparavant, il aura fait procéder au délestage des manteaux et même (vrai de vrai !) fait remplacer les talons aiguilles des spectatrices par des pantoufles. Toutes et tous (le spectacle affiche complet avec sa demi-jauge de parterre) sont d'abord conviés, pour le Prologue, à l'orchestre, dont les fauteuils, recouverts de toile, ont des allures de linceuls. Sur le rideau de fer baissé est projeté, chanté par le chœur en off, le texte d'Angelo Maria Ripellino : Vivant est celui qui reste éveillé.

Puis le rideau de fer, lesté d'une rubalyse, se lève lentement sur un plateau désolé, éclairé à la torche électrique : chœur et solistes sont déjà tous là, entre chaises et escabeaux, n'attendant plus que le public pour siffler le départ de ce qui va s'apparenter en plus d'un endroit à une manifestation lyrique, au fil d'un cortège de dix scènes se succédant sans entracte. Le rideau de fer s'est refermé sur ce creuset contre-nature mixant spectateurs et chanteurs, les uns frôlant les autres sans crier gare à plus d'une reprise. Plus immersif encore que le récent et finalement plus contemplatif Einstein on the beach, Intolleranza confine son public dans l'espace anxiogène d'une scène vide prête à tous les débordements (même les perches des cintres, conviées au mouvement social, semblent s'adonner à une sorte de marée métallique), avec l'ambition manifeste de lui faire subir (ou à tout le moins ressentir) le sort physique de ses protagonistes. Au final, après avoir été convié à se déplacer d'une chaise à un coussin, à passer par toutes les stations (assis, debout, couché), le spectateur forcément acteur sera convoyé, maintenu avec ses congénères par un solide cordage, vers l'extérieur du plateau pour un exil forcé au retour dans la salle afin d'y lire un Epilogue confié à la plume de Bertold Brecht : A ceux qui ne sont pas encore nés. Auparavant chacun aura pu assister à l'impressionnante catastrophe finale : le fond de scène implose pour libérer des trombes d'eau (pile là où votre serviteur se trouvait en début de soirée !) sur ce qui s'apparente progressivement à une noyade collective.

Ce dispositif idéal pour une œuvre dont le militantisme vibrant (clusters et cris, chant aux confins des tessitures) l'emporte forcément sur la pure séduction musicale (on se souvient qu'à Lyon, en 1982, Jorge Lavelli avait fait déambuler Al gran sole carico d'amore, la seconde action scénique de Nono, dans une usine) s'applique aussi aux protagonistes musicaux : considérant l'écriture verticale du compositeur, le Sinfonieorchester Basel, calibré par , pour partie invisible dans les cintres, est tapi sous le plateau, discernable çà et là par-delà un caillebotis métallique. Les clusters font leur plein effet comme rarement. Le son, souvent tellurique, jouant aux montagnes russes entre fortisssimo et pianissimi, participe lui aussi de cette expérience en tous points sensorielle. Les instrumentistes bâlois seront conviés aux saluts, et ce ne sera que justice, tant leur implication virtuose est partie grandement prenante d'une soirée de première qui fait également un triomphe au choeur, aussi fabuleux de présence musicale que de discrétion scénique dans sa capacité à infiltrer un public qui, jusqu'au bout, doutera de qui est qui.

Triomphe aussi pour les solistes : Jasmin Etezadzadeh, impressionnante épouse délaissée par son mari envoûté par ses racines, rayonnante, même si invisible (et même sporadiquement dédoublée ici par le soprano céleste d'Haevon Jeong) en seconde compagne du héros, l'Algérien percutant de , la basse tonnante sous la torture du géant . Plus sollicité que ces rôles finalement épisodiques, l'Immigré de (décidément abonné aux tessitures meurtrières d'Escaich ou de Strauss) fait preuve de sa pleine adhésion à un parcours musical aussi accidenté (aigus forçant à la voix de tête) que celui de son personnage. On n'oubliera pas de sitôt le visage du jeune chanteur, ni sa posture christique finale (chevelure ruisselante sur une barbe de jais, bras ouverts face public), semblant gronder : Maudite soit la guerre !

Crédits photographiques : © Ingo Höhn

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Bâle. Theater Basel. 11-II-2023. Luigi Nono (1924-1990) : Intolleranza, action scénique, sur une idée d’Angelo Maria Ripellino. Textes de Henri Alleg, Bertold Brecht, Paul Eluard, Vladimir Maïakovski, Julius Fucik, Jean-Paul Sartre. Mise en scène : Benedikt von Peter. Deécor : Katrin Wittig. Costumes : Geraldine Arnold. Lumière : Susanne Reinhardt. Chorégraphie : Carla vom Hoff. Vidéo : Bert Sander. Avec : Peter Tantsits, ténor (un Immigré) ; Inna Fedorii, soprano (ne Femme) ; Jamin Etezadzadeh, mezzo-soprano (sa Compagne) ; Kyu Choi, baryton (un Algérien) ; Artyom Wasnetsov, basse (un Torturé) ; Haewon Jeong, soprano (une Voix). Choeur (chef de choeur : Michael Clark) et Sinfonieorchester Basel, direction musicale : Stefan Klingele

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