Les sons et les couleurs se répondent à la Fondation Vuitton
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Paris. Fondation Louis Vuitton. 9-II-2023. Claude Debussy (1862-1918) : Prélude n°7, Livre II, La terrasse des audiences au clair de lune ; Olivier Messiaen (1908-1992) : Regard de l’Esprit de joie, extrait des Vingt Regards sur l’Enfant Jésus ; Betsy Jolas (née en 1926) : Signets, hommage à Ravel pour piano ; Music for Joan, pour vibraphone et piano ; Teletalks, pour deux pianos ; Trio « Les heures », pour violon, alto et violoncelle ; George Crumb (1929-2022) : Trio Vox Balaenae, extraits ; Gisèle Barreau (née en 1948) : Blue Rain pour deux pianos et deux partitions. Marie Vermeulin, Jean-Frédéric Neuburger, Lorenzo Soulès, piano ; Saskia Lethiec, violon ; Laurent Camatte, alto ; Christophe Beau, violoncelle ; Christel Rayneau, flûte ; Vassilena Serafimova, Elisa Humanes, percussions.
En lien avec l'exposition « Monet-Mitchell. Dialogue et rétrospective » de la Fondation Vuitton, le concert dans l'auditorium du musée met à l'honneur les deux compositrices Betsy Jolas et Gisèle Barreau, qui ont toutes deux tissé des liens très forts avec l'artiste peintre américaine Joan Mitchell.
Betsy Jolas a connu Joan Mitchell, son aînée d'un an, à Vétheuil, petit village du Val d'Oise où elles habitaient toutes les deux ; Gisèle Barreau, quant à elle, rencontre la peintre à New-York et devient, durant treize ans, son assistante et amie dans ce même village de Vétheuil. On tombe en arrêt durant la visite de l'exposition, juste avant le concert, devant la toile, ou plutôt le quadriptyque (participant des très grands formats de la peintre), Quatuor II for Betsy Jolas de Mitchell. Peint en 1976, en résonance au Quatuor II avec voix (1964) de la compositrice, ce superbe tableau évoque la nature telle que la regarde la plasticienne. Son diptyque Two Pianos est peint suite à la composition de Piano, Piano de Gisèle Barreau, révélant de même la complicité des deux artistes. Rained on, Aires pour Marion, Little Rain ou encore Blue Rain, entendu ce soir, sont autant d'œuvres musicales Gisèle Barreau qui jalonnent son catalogue.
La première partie du concert affiche deux pièces de la compositrice franco-étatsunienne Betsy Jolas ainsi que quelques compositeurs d'élection : Claude Debussy, que la compositrice découvre à son retour des États-Unis en 1946, Olivier Messiaen qui lui confie sa classe de composition en son absence et George Crumb, vu comme le symbole de sa double appartenance à la France et à l'Amérique. Marie Vermeulin est au piano, débutant la soirée dans le mystère et la séduction du timbre avec le Prélude n°7 (Livre II) de Debussy. Avec la grâce et la finesse qu'on lui connaît, elle interprète ensuite Signets, hommage à Ravel (1987) de Betsy Jolas. L'écriture agile et mouvante de cette courte pièce, fêtant les cinquante ans de la mort du maître français, laisse affleurer les citations, tel ce frémissement d'Ondine qui innerve la texture. Familière de la musique de piano de Messiaen, la pianiste a choisi le 10ᵉ des Regards sur l'Enfant Jésus, Regard de l'Esprit de joie, qu'elle joue avec cette prodigieuse énergie qui galvanise notre écoute. Vox Balaenae de George Crumb nous invite à un autre voyage, plus aquatique assurément, pour lequel il demande aux trois interprètes d'arriver masqués ; flûte, violoncelle et piano sont « électrifiés » pour donner à entendre les infimes nuances du jeu instrumental. Il y a toujours une trame narrative chez Crumb, signalée par des sonorités dépaysantes tirées des instruments (voix dans la flûte) ou d'autres accessoires à portée de mains des musiciens comme ces crotales que font résonner à tour de rôle Christel Rayneau et Christophe Beau. Avec leur partenaire pianiste Jean-Philippe Neuburger, ils nous envoûtent ce soir, immergeant l'écoute au cœur de la matière pour laisser opérer la magie du sonore.
Magique également, avec ses lignes enlacées, Music for Joan est le cadeau de Betsy Jolas à son amie peintre. Piano et vibraphone sont étroitement complices et Jean-Philippe Neuburger et Vassilena Serafimova à l'écoute l'un de l'autre pour tirer de leur instrument résonances subtiles et hybridations savantes.
L'envergure sonore est autre dans Teletalks de Betsy Jolas, dont c'est la première exécution française ! Jean-Philippe Neuburger est face à Lorenzo Soulès (lauréat 2021 du Concours International de Piano d'Orléans), les deux pianistes chevronnés tenant une sorte de conversation téléphonique (d'un continent à l'autre) où se multiplient les effets de stéréophonie entre les deux instruments : un théâtre de sons tout en contrastes qui alimente le flux du discours et module le ton et le débit des échanges, avec ces petites distorsions (les cordes jouées parfois dans le piano) signalant les aléas de la connexion. Celle des deux pianistes est idéale, avec cette homogénéité du jeu et cette même énergie qui magnifient leur interprétation.
Commande du Trio à cordes de Paris, le Trio « Les Heures » (1991), donné en seconde partie de programme, est, à l'origine, une commande du Domaine musical fondé par Pierre Boulez. La pièce ne verra le jour que vingt-sept ans plus tard. Elle s'articule en cinq mouvements, dans une alternance de tempi lents ou plus animés, sans véritables contrastes cependant. Le discours se déploie loin des formes traditionnelles du développement. La compositrice vise au contraire une forme ouverte, flâneuse, où les figures musicales sont à saisir dans l'instant de l'écoute : attaques voilées, textures mouvantes, usage de la sourdine de plomb pour obtenir des sonorités filtrées au bord du silence. Il y a de l'imprévu et du mystère dans cette facture singulière où les coutures ont été volontairement effacées. Saskia Lethiec (violon), Laurent Camatte (alto) et Christophe Beau (violoncelle) nous invitent à une écoute active, épousant tous les facettes de cette longue trajectoire éminemment ciselée.
Blue Rain pour deux pianos et percussion est écrit par Gisèle Barreau six ans après la mort de l'artiste. Le set de percussions sur le plateau est impressionnant, confié aux deux percussionnistes Vassilena Serafimova et Elisa Humanes ; Marie Vermeulin et Jean-Philippe Neuburger reviennent sur le plateau pour cette dernière pièce, pédagogique nous dit la compositrice.
Les blocs-accords où fusionnent les sonorités alternent avec les jeux d'échos, le piano-gong mêlé au vibraphone évoquant plus d'une fois les musiques du gamelan ainsi que l'incontournable Sonate pour deux pianos et percussion de Bartók. La pièce séduit par la richesse de ses couleurs et une pensée libre qui semble vagabonder au gré de l'imaginaire de notre compositrice.
Crédit photographique : © Fondation Louis Vuitton / Martin Raphaël Martiq
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Paris. Fondation Louis Vuitton. 9-II-2023. Claude Debussy (1862-1918) : Prélude n°7, Livre II, La terrasse des audiences au clair de lune ; Olivier Messiaen (1908-1992) : Regard de l’Esprit de joie, extrait des Vingt Regards sur l’Enfant Jésus ; Betsy Jolas (née en 1926) : Signets, hommage à Ravel pour piano ; Music for Joan, pour vibraphone et piano ; Teletalks, pour deux pianos ; Trio « Les heures », pour violon, alto et violoncelle ; George Crumb (1929-2022) : Trio Vox Balaenae, extraits ; Gisèle Barreau (née en 1948) : Blue Rain pour deux pianos et deux partitions. Marie Vermeulin, Jean-Frédéric Neuburger, Lorenzo Soulès, piano ; Saskia Lethiec, violon ; Laurent Camatte, alto ; Christophe Beau, violoncelle ; Christel Rayneau, flûte ; Vassilena Serafimova, Elisa Humanes, percussions.