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Rennes. Festival Autres Mesures.
1-II-2023. Edulab, Hôtel Pasteur : Gwenn et Clara Pacotte, lecture ; Charlotte Leclerc, synthétiseurs analogiques
2-II-2023. Le Tambour, Université de Rennes 2 : Delphine Dora, piano et voix
2-II-2023. Auditorium de l’institut franco-américain : Gwenn et Clara Pacotte, lecture ; Charlotte Leclerc, synthétiseurs analogiques
2-II-2023. Chapelle du CRR : The Tongues ; Ronan Courty, contrebasse ; Ronan Prual contrebasse ; Matthieu Prual, saxophone et clarinette basse ; Alan Regardin, trompette
5-II-2023. La Criée Centre d’art contemporain : Floy Krouchi, FK Bass ; Guitar Counterpoint, Steve Reich and Beyond ; Santiago Quintans, guitare électrique
Autres mesures investit depuis 2015 un nombre toujours plus important de lieux à Rennes et permet d'explorer la création musicale contemporaine dans sa multiplicité. Un public brassé, passionné et curieux, a participé à cette huitième édition du festival.
Rennes, ville estudiantine bouillonnante et foisonnante, écrin d'Autres mesures, suspend son temps et son rythme haletant durant chaque proposition de concert. Nous avons fréquenté pour notre part les programmations du mercredi 1er, du jeudi 2 et du dimanche 5 février, date de clôture d'un festival marqué par un intérêt prononcé pour les musiques minimalistes, hypnotiques et méditatives.
Ce fut l'occasion d'entendre deux épisodes d'un fil rouge qui animait les derniers jours de l'événement : les lectures de Gwenn et Clara Pacotte, accompagnées par les synthétiseurs analogiques de Charlotte Leclerc. Clara Pacotte a participé en 2017 à la fondation de l'EAAPES (Exploration des Alternatives Arrivant de Provenance Extra-Solaire), un groupe de recherche sur la science-fiction queer et féministe, qui s'attache à traduire en écriture inclusive des textes d'autrices, principalement américaines. Le mercredi 1er février, elles lisent à l'Edulab, Hôtel Pasteur, une longue lettre autobiographique d'Alice Sheldon, qui fut longtemps connue sous un pseudonyme masculin, James Tiptree Jr. Le lendemain, à l'auditorium de l'institut franco-américain, c'est un extrait de texte de Pamela Zoline. La mécanique de lecture des Pacotte, mère et fille, entrelacée, sur un ton neutre, presque motorique, s'associe bien avec les boucles analogiques de Charlotte Leclerc, discrètes, en fond sonore, parfois soliste dans les rares pauses aménagées dans des textes denses. Les synthétiseurs amènent une dimension onirique, dans une construction lente et progressive, qui accompagne la découverte des autrices. Leurs sonorités semblent étrangement plus organiques que la lecture, un curieux sentiment qui ajoute à la magie du moment.
Le 2 février est aussi l'occasion d'une improvisation au piano préparé et à la voix de Delphine Dora, en début d'après-midi, au Tambour (Université de Rennes 2). Aérienne, diaphane et atmosphérique, sa musique évolue entre folk, minimalisme et électroacoustique. Le piano est rempli d'objets divers, boîtes de métal, billes, balles de ping-pong, papier d'aluminium, vis… que la musicienne déplace réguièrement, et boucle par moment dans un looper, offrant une texture de fond à ses incantations – un frottement continu d'aluminium accompagne un des morceaux. La musique de Delphine Dora évolue entre harmonies modales et atonalité, sans accroc, dans une sorte de fragilité, à la manière d'une brume suspendue qu'une simple brise pourrait dissiper dans l'instant.
Le quartet nantais No Tongues achève la soirée dans la chapelle du Conservatoire. Est-il possible de qualifier cette musique, reposant sur une instrumentation singulière – deux contrebassistes, un trompettiste, un joueur de saxophones, de clarinette basse et de flûtes – associée à des samples joués en direct par chacun des musiciens ? On se risque à évoquer un free jazz transe/field recording, même si cette étiquette réduit considérablement l'incroyable volupté sonore construite à chaque morceau par le groupe. Pour ce nouveau projet, No Tongues a joué avec les sons du quotidien captés par les différents musiciens, « le son de la bruine sur le velux, un feu de printemps à la Caillère, les carillons du jardin cinéraire du Bono, le bipbip du téléphone paw patrol, un joggeur, un robinet, les abeilles de Patrick, le four avant la pizza, un TGV, des voix d'enfants, une ponceuse à bande, les gouttes polyrythmiques d'un pull qui s'égoutte… » Différentes voix parsèment les morceaux, celles d'enfants, mais aussi de Linda Oláh, Isabel Sörling, Elsa Corre et Loup Uberto. Matthieu Prual, en Monsieur Loyal, prend plaisir à expliquer au public les origines de chaque chant. Ronan Courty produit des rythmiques pulsées à la contrebasse, saccadées et irrésistibles, quand Ronan Prual lui répond par des drones ou de subtils bruitages, et les deux soufflants Matthieu Prual et Alan Regardin oscillent entre textures et phrases mélodiques. L'intégration des sons semble parfaitement naturelle, qu'ils constituent la base des morceaux ou qu'ils interviennent comme des ambiances complémentaires. Chaque musicien est parfaitement à sa place pour chaque son produit. Du grand art !
Le dimanche 5 février , à la Criée Centre d'art contemporain, Floy Krouchi présente son solo de FK Basse, une basse électrique fretless équipée d'une quarantaine de contrôleurs et d'un microprocesseur interne, couplée à un ordinateur. Sa parfaite connaissance des ragas, étudiés en Inde pendant plusieurs années auprès d'un maître de rudra veena, lui permet de réaliser un long morceau méditatif dont la construction et la gestion des énergies sont d'une grande maîtrise. Entourée d'un important dispositif technologique, Floy Krouchi oscille entre des séquences bruitistes, jouant sur une matière sonore maîtrisée sur des contrôleurs externes, et des passages de basse pure, pratiquement sans effets. C'est d'ailleurs dans ces moments que ses sonorités se révèlent les plus émouvantes, lorsque le son de l'instrument est le moins transformé.
À sa suite, Santiago Quintans s'empare avec précision et dextérité des œuvres de Steve Reich. Qu'il joue avec une bande sur laquelle il a soigneusement enregistré plus d'une dizaine de pistes de guitare, pour Electric conterpoint, ou qu'il active ses pédales de loop sur Electric Guitar Phase, le musicien maîtrise parfaitement son sujet avec un son pur et envoûtant et achève le festival dans une écoute concentrée et extatique. Cette année, l'événement était associé entre autres à Waterproof, aux Jardins d'Hiver, aux Tombées de la nuit et au CRR de Rennes. Autres mesures offre un regard sensible et pertinent sur la musique d'aujourd'hui.
Crédits photographiques : Charlotte Leclerc, Gwen et Clara Pacotte © Guillaume Kosmicki ; No Tongues © Melaine Dalibert ; Floy Krouchi © Guillaume Kosmicki
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Rennes. Festival Autres Mesures.
1-II-2023. Edulab, Hôtel Pasteur : Gwenn et Clara Pacotte, lecture ; Charlotte Leclerc, synthétiseurs analogiques
2-II-2023. Le Tambour, Université de Rennes 2 : Delphine Dora, piano et voix
2-II-2023. Auditorium de l’institut franco-américain : Gwenn et Clara Pacotte, lecture ; Charlotte Leclerc, synthétiseurs analogiques
2-II-2023. Chapelle du CRR : The Tongues ; Ronan Courty, contrebasse ; Ronan Prual contrebasse ; Matthieu Prual, saxophone et clarinette basse ; Alan Regardin, trompette
5-II-2023. La Criée Centre d’art contemporain : Floy Krouchi, FK Bass ; Guitar Counterpoint, Steve Reich and Beyond ; Santiago Quintans, guitare électrique