Avec Les Timbres, l’opéra instrumental de Marin Marais
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Marin Marais (1656-1728) : La Gamme ; autres morceaux de symphonie pour le violon, la viole et le clavecin, Paris, 1723. La Gamme en forme de petit opéra ; Sonate à la Maresienne ; Sonnerie de Sainte-Geneviève du Mont de Paris. Les Timbres : Yoko Kawabuko, violon ; Myriam Rignol, viole de gambe ; Julien Wolfs, clavecin. 1 CD Château de Versailles Spectacles. Enregistré du 6 au 9 juin 2020 dans la Salle des Actes du Collège Victor Hugo à Besançon. Livret en français, anglais, allemand. Durée : 59:04
Château de Versailles SpectaclesAprès une superbe intégrale des sonates en trio de Buxtehude, le nouvel enregistrement de l'ensemble Les Timbres nous offre un petit trésor avec ces trois pièces de Marin Marais, La Gamme et autres morceaux de symphonies, d'un charme absolu et d'un attrait incontournable.
D'origine modeste, Marin Marais fut formé à la musique comme enfant de chœur à la maîtrise de Saint-Germain l'Auxerrois, une église dont la proximité du Louvre en fit la paroisse des rois de France. Son éducation musicale alla sans doute au-delà du seul chant, puisque lorsqu'il quitta la maîtrise à l'âge de seize ans, il jouait déjà de la viole et devint l'élève du célèbre et obscur Monsieur de Sainte-Colombe. Devenu remarquable instrumentiste, il fut rapidement engagé par le Surintendant de la Musique du roi, Jean-Baptiste Lully, pour jouer dans l'orchestre de l'opéra. Membre du petit chœur chargé de la basse continue, Lully le laissait parfois « battre la mesure », c'est-à-dire diriger l'orchestre ce dont il lui voua une immense reconnaissance. Il fut amené à se produire à la cour où Louis XIV remarqua rapidement son talent exceptionnel et il devint Officier ordinaire de la Musique de la Chambre du Roi. C'est là qu'il commença à composer d'abord une idylle dramatique sans argument, puis il publia son premier livre de Pièces à une ou deux violes en 1686. Outre ces cinq livres majeurs, son œuvre comprend d'innombrables pièces de musique de chambre dont des Pièces en trio pour les flûtes, violon et dessus de viole, ainsi que quatre opéras, dont le plus célèbre est Alcyione en 1706 avec sa fameuse tempête.
Il s'agit ici d'un recueil tout à fait particulier, quant à l'instrumentation, dans l'œuvre de Marais, pour le violon, la viole et le clavecin, qui reste à part parmi la musique en trio. On y trouve beaucoup plus de musique pour deux « dessus » et basse continue, ainsi que cinq livres pour une ou deux violes et basse continue, qui représentent sans doute le corps le plus important de la littérature pour cet instrument et l'un des documents majeurs de l'histoire de la musique instrumentale française.
Un triptyque mystérieux
Lorsqu'il publie ce recueil en 1723, entre les deux derniers de ses livres pour viole, Marais est un musicien et un compositeur chevronné de 67 ans, qui a peut-être envie de sortir des formes habituelles. Ces trois pièces se présentent chacune d'une traite, sans les pauses coutumières pour les changements de danse.
Dans La Gamme en forme de petit opéra, sans chanteurs, ni dramaturgie portée par une œuvre littéraire, l'action monte, puis redescend les tons de l'octave. Sur plus de neuf cents mesures, la pièce présente des sections très diverses avec des danses, des fugues, des pièces de caractère et des récits instrumentaux. Les personnages sont représentés par les trois instruments.
La Sonate à la Maresienne est l'une des dernières œuvres de Marais avant qu'il ne quitte son poste d'Ordinaire de la musique de la Chambre du Roi et se retire dans sa maison de la rue de l'Oursine où il cultivait son jardin. Sans être un testament, il s'agirait plutôt d'un autoportrait, révélant de nombreux aspects de sa personnalité, ouverte, profonde et pleine d'esprit. Digne successeur de son maître Lully, il a toujours combattu le goût italianisant qui tentait de s'installer en France et gagnait du terrain en ce premier tiers du XVIIIᵉ siècle. Bien qu'il ait interdit à ses élèves de jouer des sonates, il semble s'y résigner en acceptant le titre, non sans humour dans son développement avec ses changements rapides de tempo et de caractères et un clin d'œil à l'écriture ascendante de La Gamme.
La Sonnerie de Sainte-Geneviève du Mont est sans aucun doute la pièce la plus célèbre de ce recueil, connue bien avant le fameux film d'Alain Corneau Tous les matins du monde d'après le beau roman de Pascal Quignard. La répétition obstinée de trois notes des cloches de l'abbaye Sainte-Geneviève du Mont laisse imaginer un onirique paysage sonore urbain d'un quartier fourmillant au rythme du carillon qui le domine. Marais relève brillamment un défi rythmique à partir des trois notes annoncées quatre fois par la viole et le clavecin, avant l'entrée du violon. Puis le violon et la viole chantent avec finesse chacun à leur tour, tantôt ensemble.
Beaucoup ont vu dans ce triptyque, l'œuvre la plus mystérieuse de Marin Marais.
Comme à l'accoutumée, Les Timbres démontrent une maîtrise rayonnante et jubilatoire dans ces pièces au raffinement complexe. Le violon de Yoko Kawabuko se fait sensuel et caressant face à la viole pleine de noblesse et de sensibilité de Myriam Rignol, tandis que le clavecin de Julien Wolfs soutient l'ensemble et relance la dynamique avec une fine inventivité. Presque cinquante ans après Jordi Savall, ils donnent une nouvelle jeunesse à la musique de Marin Marais.
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Marin Marais (1656-1728) : La Gamme ; autres morceaux de symphonie pour le violon, la viole et le clavecin, Paris, 1723. La Gamme en forme de petit opéra ; Sonate à la Maresienne ; Sonnerie de Sainte-Geneviève du Mont de Paris. Les Timbres : Yoko Kawabuko, violon ; Myriam Rignol, viole de gambe ; Julien Wolfs, clavecin. 1 CD Château de Versailles Spectacles. Enregistré du 6 au 9 juin 2020 dans la Salle des Actes du Collège Victor Hugo à Besançon. Livret en français, anglais, allemand. Durée : 59:04
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