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Opéras et orchestres, signes extérieurs de détresse

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Voilà que les effets de la crise sanitaire sur l’économie du spectacle subventionné se font jour. Et très vite, suite à la première des déclarations, les institutions culturelles s’expriment les unes après les autres. Le tabou étant levé par le premier, les autres n’ont plus honte à crier leurs difficultés pécuniaires.

Ainsi l’Opéra de Paris annonce annuler deux concerts en tournée à Londres et Vienne ; puis l’Opéra du Rhin annule une date de représentation du Conte du Tsar Saltane de Rimski-Korsakov et transforme la seconde en version de concert. Dans la foulée l’Opéra de Rouen annonce fermer son établissement pendant six semaines. Représentation, création, musique de chambre passent à la trappe. Enfin, dernier à cette date, Diapason Magazine fait part à ses lecteurs de la décision de l’Opéra de Montpellier de réduire sa programmation qui annonce déjà comme premier effet, l’annulation d’une version scénique de l’oratorio de Schumann Scène de Faust et de son remplacement par un Requiem de Verdi. Un étrange choix que l’on n’espère pas prémonitoire mais que l’Opéra de Montpellier annonce « en raison de contraintes économiques ». Le magazine clôt son article en se posant des questions. Qu’en est-il vraiment de la situation ? Et s’interroge sur les causes possibles. Inflation ? Public ? Tutelles ? Certes l’on pourrait gloser longtemps et se perdre en conjectures car il est certain qu’à chaque cas correspond une situation particulière, un contexte qui lui est propre. Mais regardons plus loin.

Ce qui ne se voit pas… Ou plutôt ce qui ne se dit pas

Ceux qui ont l’œil aiguisé et une bonne connaissance de leur institution culturelle préférée auront peut-être remarqué la disparition de leurs musiciens habituels. En effet les orchestres et notamment ceux de maison d’opéras voient des transformations majeures s’opérer. Les postes vacants font florès… Ainsi avec seulement cinq orchestres se cumulent 56 postes non occupés par des musiciens titulaires permanents : soit une moyenne de plus de onze par orchestre. La situation atteint son paroxysme avec l’Orchestre Philharmonique de Nice dont la page Wikipédia mentionne encore 100 musiciens alors qu’il n’en comprend plus que 77. Mais encore, l’Orchestre National de Montpellier qui peu après ses vingt ans d’existence comprenait 94 musiciens ne fête plus ses quarante ans qu’avec un effectif de 84. Au total, et pour les vingt-huit orchestres permanents français, 98 postes sont à cette heure non pourvus.

La situation est pourtant bien connue[1]. Le spectacle vivant n’a toujours pas trouvé la juste adéquation, coincé entre le marteau et l’enclume ou plus exactement entre les lois de Baumol[2] et Raclot[3] : entre la demande de culture des citoyens en termes de qualité et de quantité et « la maladie des coûts » qui oppose le système progressif (gains de production) et archaïque (gains de production impossibles).

Mais encore, à ces lois, et au delà du Covid, s’ajoutent deux nouvelles « maladies ».

La première est ce qu’est devenu l’effort de démocratisation culturelle. Comme veut le faire savoir Jean Caune[4], « Une histoire de la démocratisation culturelle est achevée, et nous n’en avons pas pris collectivement conscience ». De ce long échec est né un nouveau postulat : la médiation culturelle. Ce type d’action est coûteux en moyens et personnels, des personnels qui viennent accroitre la maladie bureaucratique dénoncée par David Graeber[5] et pèse sur les budgets des opéras et orchestres. Après cinquante années d’échec devra-t-on en attendre encore cinquante autres pour constater celui de la médiation ? Déjà en 2016 la sociologue Gisèle Sapiro en dépeignait les apories.

La seconde maladie est celle qui pourrait se nommer : le syndrome de philharmonie.

C’est-à-dire la tentative de vouloir transposer ce que fait la Philharmonie de Paris dans les maisons d’opéras en région. Or n’est pas philharmonie qui veut et pour imiter une telle programmation protéiforme, allant des arts musicaux classiques aux expositions en tous genres, de la musique baroque aux soirée électro, de la conférence aux arts participatifs, des ciné-concerts aux musiques actuelles, il faut les budgets en conséquence ; ce que n’ont pas les maisons de province aux dotations financières historiquement dimensionnées pour l’opéra et le symphonique.

Quels arbitrages ….

Vous l’aurez compris au fil de ce déroulé, les institutions de concerts ont dû faire des choix. Si l’annulation d’une tournée reste sans conséquence pour le public de l’Opéra de Paris, les choix de fermeture et d’annulation de concerts et spectacles sont un préjudice pour les citoyens. Cependant on peut s’étonner des arbitrages pris. Ainsi à Rouen seuls les spectacles produits avec les musiciens de l’opéra sont annulés, pas ceux que l’opéra accueille. Pour l’Opéra du Rhin et Montpellier nous ne savons pas encore en détail ce que va être « l’allègement de la programmation 2023-2024 » ; mais pour l’heure c’est bien avec leurs propres productions que les coupes sont faites et non encore une fois avec les spectacles invités.

Variable d’ajustement…

Pourtant avant ces annulations des choix ont été faits. Comme la réduction des effectifs des orchestres. Ainsi l’on peut constater une différence entre les effectifs dans les orchestres recensés par l’Association Française des Orchestres et la réalité actuelle de 121 postes. Nice ou Montpellier en sont des exemples. Reste ceux cités supra qui demeurent dans le flou et concernent encore 98 chaises de musiciens laissées vacantes. Soit en quelques années une perte effective de 219 musiciens en CDI.

Étape ultime de ces ajustements la mise en chômage partiel des musiciens avec les six semaines annoncées à Rouen. Au vu de l’effet domino des annonces, on s’interroge sans grands risques sur qui sera le prochain ?

Et le citoyen dans tout ça ?

Après tout, me direz-vous, tout cela n’est que gestion interne ; qui fait quoi, qui joue quoi, le public doit-il en avoir cure ?

Sauf qu’à cette étape, qui sera une possible conclusion ; l’élu, le décideur politique, devra un jour rendre des comptes. Car celui à qui l’on prélève l’impôt pour pourvoir accéder à des services culturels s’attend à ce que les spectacles aient lieu. Si sa participation quand il a acheté une place lui est remboursée, son complément pris dans sa poche au travers des impôts sur le revenu pour la part étatique et locaux pour la part métropole et régionale ne lui est pas rendue.

Prenons le cas du chômage partiel sollicité par les entreprises culturelles auprès des directions du travail (DDETS ex DIRECCTE). L’entreprise dans cette opération reçoit une aide de 36% de la rémunération brute, aide versée par un organisme qui tire ses financements de l’impôt citoyen. Ce qui fait que le contribuable est avec ce procédé prélevé deux fois ; la première pour que des spectacles aient lieu, la seconde pour qu’ils soient annulés….

N’est-ce pas là un étrange paradoxe ?

 

 

[1] Lagrange : Regard sur le spectacle vivant français, le cas de la musique classique : un modèle à bout de souffle, 2017.

[2] La loi de Baumol, d’après William Baumol et William Bowen.

[3] Michel Raclot : Les municipalités et la culture ou les Quat’sous de l’opéra 1966 ; et : Les municipalités, les citoyens, la culture. Messieurs les Maires, vos dépenses culturelles. 1974.

[4] Jean Caune, La démocratisation culturelle, une médiation à bout de souffle, 2006.

[5] David Graeber : Bureaucratie, Actes Sud 2017.


Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de la rédaction.

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