Sébastien Mahieuxe, pour le développement de la Ferme de Villefavard
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Sébastien Mahieuxe est l'heureux directeur de la ferme de Villefavard depuis le début de l'année 2022 qui se clôt pour lui et son équipe par l'obtention du label Centre Culturel de Rencontre. En marge d'un spectacle en cour de montage de l'académie de l'opéra de Bordeaux, nous avons pu rencontrer un directeur passionné à la tête d'une institution ouverte et accueillante.
ResMusica : Villefavard a 20 ans. Pouvez-vous nous dire ce qu'était la ferme avant votre arrivée ?
Sébastien Mahieuxe : C'est un riche héritage, un lieu très beau et aménagé avec une salle magnifique à l'acoustique exceptionnelle, des hébergements, une réputation. Bref, un socle très solide tourné vers la création, l'enregistrement de disques, les concerts. Un lieu de rencontre d'artistes qui viennent ici travailler en vase clos.
Tout l'enjeu est aujourd'hui de l'enraciner dans le territoire, de valoriser ce patrimoine car le village a une histoire originale et très intéressante. C'est un village qui a eu des conflits avec l'évêché et qui est devenu protestant au milieu du XIXᵉ siècle en une nuit à la faveur d'un prêtre charismatique. Une sorte de village de marginaux pas du tout dans les clous. Un pasteur suisse (Edouard Maury) est venu par la suite avec son épouse, une riche héritière. Il est devenu photographe et sa femme tenait un journal. Ils étaient très liés aux milieux intellectuels parisiens. Ils vont venir pour quelques jours de vacances puis quelques semaines. Ils vont s'investir dans la vie du village et créer une ferme modèle qui avait pour but d'améliorer les conditions de vie des paysans. Une ferme très organisée, pré-industrielle. Les deux filles seront-elles mêmes des intellectuelles. L'une d'elle sera écrivaine et épousera le chef d'orchestre Charles Munch. L'autre sera une brillante violoniste et fera des concerts à Villefavard. Les arrières petits-enfants, Gilles Ebersolt et Jérôme Kaltenbach, vont sauver le lieu et créer la résidence d'artiste que l'on connaît aujourd'hui. Des masters class sont organisées, des concerts. Saviez-vous que Michel Corboz a enregistré la Messe en Si ici, à Villefavard ?
RM : Quel est votre parcours ?
SM : J'ai une formation littéraire et j'ai très jeune travaillé le chant avant de rentrer au sein du chœur d'adulte de la maîtrise de Notre-Dame de Paris. J'ai donc un parcours de chanteur lyrique et j'ai formé un ensemble de musique baroque spécialisé dans la musique française du XVIIᵉ siècle. J'ai toujours aimé organiser des concerts, faire des recherches. J'ai le goût du public, du partage.
Je suis originaire du Pas-de-Calais où j'avais monté une association pour sauver l'orgue de mon village. Avec des copains, on organisait des concerts pour valoriser ce patrimoine. J'ai donc créé le festival « Contrepoints 62 » dont je suis devenu directeur artistique. C'est un festival itinérant à l'automne pour valoriser ce patrimoine des orgues par la musique et ces lieux qui les abritaient.
J'ai également occupé des fonctions au château d'Hardelot, en tant que directeur artistique, où j'ai créé le Midsummer Festival. On a construit un théâtre Elisabéthain tout en bois. Le seul et unique en son genre. J'ai donc occupé des fonctions d'animation et de développement de territoire par la culture.
Et puis, j'avais des racines limousine et je venais en vacances dans les monts de Blond que j'ai fait découvrir à plein d'amis. Avec le COVID, j'ai voulu changer de vie dans un autre territoire. Je me questionnais beaucoup sur mes valeurs, sur les enjeux écologiques et sociaux. C'est alors que je suis tombé sur une annonce pour trouver un directeur pour la ferme de Villefavard avec pour objectif d'écrire un projet et décrocher le label de Centre Culturel de Rencontre. C'était pour moi !
RM : Vous venez d'obtenir le label de Centre Culturel de Rencontre. Qu'est-ce que ce label et que va-t-il changer pour Villefavard ?
SM : C'est un label de l'État. Ce sont des lieux de patrimoine, protégés au titre des monuments historiques, mais qui ont changé d'objet. Ferme, église, abbaye transformés en lieu de création, de résidence et de partage avec une exigence de rayonnement européen. On est à la fois le premier site dont la vocation originelle était agricole, et le vingtième centre culturel français à obtenir le label. Le label Centre culturel de rencontre, c'est aussi un réseau, des lieux qui s'entraident, qui peuvent avoir des projets communs. On n'est pas seuls. On est dans une famille. C'est extrêmement précieux car on partage des expériences. L'État apporte un soutien important, particulièrement dans les territoires ruraux qui ne sont pas forcément très riches. Les collectivités territoriales (Région, Département, communauté de commune) nous apportent également un concours essentiel. Le label va aussi permettre à notre petite équipe de s'agrandir pour permettre le développement du projet.
Avec l'héritage que représentait ce lieu, il fallait se poser la question : qu'est-ce qu'une ferme modèle implantée au cœur du Limousin et aujourd'hui devenue un lieu artistique ? Le Limousin a des paysages préservés avec des bocages, des forêts, des landes et de nombreux cours d'eau. L'agriculture n'y a jamais été intensive. C'est en quelque sorte un territoire qui devient en avance parce qu'il était en retard. Ces territoires ruraux sont aujourd'hui des territoires en crise mais ce sont aussi des territoires d'avenir et les artistes peuvent contribuer aux mutations qui sont à l'œuvre. Je pense que l'on doit y réhabiliter la notion de l'imaginaire.
L'ambition de Villefavard est d'être un lieu de fabrication artistique exigeant tout en renforçant les liens entre les artistes et les habitants. Le label Centre culturel de rencontre, c'est aussi l'animation et la valorisation du patrimoine. Le projet est de valoriser non seulement le patrimoine original que représente la ferme modèle de Villefavard mais aussi le patrimoine vernaculaire de ce coin du Limousin : les fermes traditionnelles, les moulins, les murets en pierres sèches et les paysages façonnés par l'homme avec ses bocages, ses landes et ses bois.
Le lien entre patrimoine et création artistique est assez évident. Villefavard est d'abord une grange avant d'être un lieu de spectacle. Ce lieu a toujours été un lieu de vie, un lieu ancré dans la réalité d'un territoire. Cet ancrage permet de faciliter les liens humains qui se créent dans ce lieu particulier. Aussi, l'hospitalité est une notion fondamentale pour nous.
RM : La période du COVID est la source de grands bouleversements pour l'univers de la culture. On demande aux établissements culturels de redoubler d'imagination et ce genre d'endroits « laboratoires » semble à la pointe ?
SM : Le numérique fait que l'on a un autre rapport avec le spectacle vivant. Il faut donc faire du spectacle une expérience encore plus humaine.
Aux beaux jours, on peut venir des journées entières à Villefavard. On propose des balades ou randonnées avant les spectacles, des visites patrimoniales, des rencontres avec les artistes, et bien-sûr les dîners sous les lampions de la guinguette ! Il n'y a rien de compliqué et coûteux dans ce modèle. Il faut simplement savoir recevoir le public, être très humain pour apporter ce que le numérique n'apporte pas.
A Villefavard, on peut aussi prendre des risques avec des spectacles « work in progress » comme le spectacle autour de Didon et Enée de Purcell avec l'Académie de l'Opéra de Bordeaux. Le public sait qu'il vient pour partager une étape de création avec les artistes : cela crée d'emblée une relation spéciale.
RM : La billetterie est-elle malgré tout importante pour ce genre de modèle ? Comment se prépare la programmation et quels sont les enjeux pour vous ?
SM : La programmation va s'amplifier et se structurer avec le développement du projet. Ainsi, l'année est divisée en temps forts au fil des saisons. Le printemps est dédié à la musique de chambre avec « Chambre de printemps ». L'été, le festival du Haut Limousin, festif et joyeux, anime la ferme et son territoire. L'automne, La Grande veillée reprend la tradition des veillées limousines autour du feu : du théâtre, des contes, de la musique se déroulent dans une atmosphère poétique. Des temps de débats et de conférences sur les questions sociétales sont aussi organisées lors des rencontres de Villefavard.
Toute l'année les Impromptus des résidents sont l'occasion de partager les créations à l'œuvre avec le public.
RM : Vous découvrez de jeunes talents mais vous attirez aussi des têtes d'affiches qui vous restent fidèles ? Comment faîtes-vous ?
SM : Cette fidélité n'est pas nouvelle. Ce qui plaît à Villefavard, c'est peut-être l'hospitalité et la façon dont on accueille les artistes et le lien que l'on propose avec le public. Une manière détendue d'aborder la musique et la création. Et puis quand même, quelle acoustique que celle de la grange ! Par-dessus tout, je crois qu'ici le risque est permis sans peur de la critique. Les artistes peuvent se lancer dans des expériences sans crainte mais toujours avec exigence. C'est un atout majeur.