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La Voix (si) humaine de Véronique Gens à la Philharmonie de Paris

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Paris. Philharmonie de Paris. Salle Pierre Boulez. 27-I-2023. Francis Poulenc (1899-1963) : Sinfonietta ; La Voix Humaine, monodrame en un acte pour soprano et orchestre d’après Jean Cocteau. Véronique Gens, soprano. Orchestre National de Lille; direction: Alexandre Bloch

Inscrite dans un court cycle consacré au Groupe des Six, la musique de est en ce début d'année mise à l'honneur à la Philharmonie de Paris à l'occasion des 60 ans de sa mort, avec notamment La Voix humaine, sous les traits de la soprano , accompagnée par l'.

C'est en 1958, longtemps après l'aventure du Groupe des Six orchestrée par Jean Cocteau, que compose son monodrame La Voix humaine, drame en un acte dont le livret est la pièce de théâtre éponyme de Jean Cocteau, écrite en 1929. Une dizaine d'années auparavant, le compositeur achève ce qui devient au bout du compte son unique symphonie. Au départ une ébauche de quatuor, qui finit dans l'égout du Trocadéro ! Mais quelques thèmes « jolis », rescapés lui donnent l'idée d'une pièce orchestrale et, une commande de la BBC arrivant à point nommé, c'est la Sinfonietta qui voit le jour. Le compositeur se laissant aller à sa débordante créativité, il en résulte trois mouvements, puis un quatrième, en tout près de trente minutes de musique… au final une symphonie ! C'est cette Sinfonietta (elle gardera ce titre) que l' dirigé par donne en première partie de concert. 

Cette œuvre composée après-guerre – qu'on la classe ou non parmi les symphonies, l'ambiguïté demeurant – possède une séduction et une fraicheur, une légèreté de ton et une luminosité très attractives. Cela d'autant plus lorsqu' s'en empare. Sous la direction de son directeur musical, l'orchestre, agrémenté d'une harpe joliment présente, communique le plaisir de cette musique, dans une liberté de bon aloi : cela chante sans entrave, d'un pupitre à l'autre, d'un solo à l'autre, de façon naturelle et aérienne, les instruments conversant entre eux de la plus belle manière. Le geste expressif, dansant presque, le chef abandonne sa baguette pour dessiner des phrasés généreux, ourler avec raffinement le legato. Si le deuxième mouvement n'est pas ici aussi molto vivace qu'il le réclame, on apprécie son rythme cependant enjoué et son ton badin. Les phrases des violons se glissent avec la plus grande douceur dans le tissu orchestral de l'aimable et caressant Andante cantabile, où le cor et la clarinette se distinguent par leur profondeur et leur velouté. Enfin place à l'esprit de jeu dans le Finale vif, intempestif, enlevé, son hautbois lumineux et ses touches d'humour subtilement soulignées.

C'est une tout autre conversation que l'on écoute en seconde partie. L'esprit n'est plus à la légèreté : la cruelle banalité, la « monstruosité » dira Poulenc de La Voix humaine, sont ici montrées avec une acuité, un sens dramatique bouleversants. incarne cette femme en proie à cette souffrance extrême causée par la rupture décidée par son amant : il ne lui reste plus que le fil du téléphone, cette « arme effrayante » (Cocteau), pour maintenir un lien illusoire, pour tenter d'échapper au vide vertigineux de l'absence. La chanteuse, excellente comédienne, cisèle chaque mot, toujours compréhensible, chaque bribe de phrase, suivant au plus près la prosodie du texte, pénétrant dans ses méandres la psychologie de son personnage, mettant sous nos yeux sa détresse à nu, sa fragilité. L'on ne peut s'empêcher d'être troublé devant tant de charge émotionnelle, mais aussi devant la dignité qu'elle parvient à donner à cette femme humiliée, en dépit du terrible effondrement psychique et affectif qu'elle vit. Du parlando – parfois un mince filet de voix exprimant l'épuisement – aux accès lyriques, déploie une palette de nuances, de couleurs vocales, de soupirs, d'intonations, d'émotions avec une justesse de ton qui laisse pantois. la suit avec la plus grande attention, l'orchestre illustrant, ponctuant, explicitant les situations successives, les paroles prononcées dont on entend seulement le monologue féminin (renforçant le sentiment de solitude), entre les sonneries retentissantes du téléphone jouées au xylophone. 

L'assistance salue longuement la performance, reconnaissant une fois de plus en Véronique Gens une de nos plus brillantes et attachantes interprètes du répertoire français. Pour prolonger le plaisir et l'émotion, on peut retrouver ces interprètes et ce même programme au disque (label Alpha 2021). 

Crédit photographique © ResMusica/Jany Campello

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Paris. Philharmonie de Paris. Salle Pierre Boulez. 27-I-2023. Francis Poulenc (1899-1963) : Sinfonietta ; La Voix Humaine, monodrame en un acte pour soprano et orchestre d’après Jean Cocteau. Véronique Gens, soprano. Orchestre National de Lille; direction: Alexandre Bloch

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