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Les délices de l’enfer et du paradis selon Marie Jaëll et Célia Oneto Bensaid

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Marie Jaëll (1846-1925) : Ce qu’on entend dans l’enfer ; Ce qu’on entend dans le purgatoire ; Ce qu’on entend dans le paradis. Célia Oneto Bensaid, piano. 1 CD Présence Compositrices. Enregistré au Temple Saint-Marcel, à Paris, en mars 2021. Notice en français et anglais. Durée : 60:09

 

L'enregistrement des pièces de – Ce qu'on entend dans l'enfer, Ce qu'on entend dans le purgatoire, Ce qu'on entend dans le paradis – met en valeur la pensée poétique originale d'une compositrice sous-estimée. Une fois encore, choisit fort à propos un répertoire qu'elle interprète avec beaucoup de personnalité.

Depuis quelques années déjà, les musiciens s'intéressent aux compositrices françaises du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle. Cette période de l'Histoire, si remarquable par la variété des styles fut aussi celle d'une lente reconnaissance du talent de nombreuses créatrices. Dans le cas de , c'est avant tout son œuvre pour piano qui fit sa réputation et assura sa reconnaissance tardive. Les pédagogues, eux, connaissaient déjà ses divers ouvrages. Interprète privilégiée de Schumann, Liszt et Beethoven, fut comparée à Clara Schumann. Franz Liszt, Anton Rubinstein et même Johannes Brahms louèrent l'interprète ainsi que la compositrice. Liszt entendit sa Sonate pour piano qui lui était dédiée et il encouragea la jeune femme à poursuivre la composition. Elle suivit l'enseignement de César Franck et de Saint-Saëns qui déclara à propos de son élève : « Madame Marie Jaëll ne veut plus que l'on parle de son talent de pianiste. Elle en est rassasiée et ne vise qu'à la haute composition. Ses premiers essais ont été tumultueux, excessifs, quelque chose comme l'irruption d'un torrent dévastateur ». Une citation que l'on mettra en parallèle avec ces phrases que l'intéressée écrivit en 1877 : « Je suis un mauvais garçon. Je ne suis plus du tout la Marie qui jouait du piano, qui cousait, qui parlait, je suis un être neuf, tout neuf, qui ne fait qu'écrire et plonger en soi-même. »

La tentation est grande de comparer le triptyque consacré à Dante avec celui de Liszt, sa “fantasia quasi sonata”. Ce serait assurément une erreur. Le piano de Jaëll est suffisamment personnel pour que l'on s'abstienne de toute analogie même si l'environnement harmonique de la compositrice appartient, de facto, à l'univers lisztien.

Dès les premières minutes, le jeu de séduit par sa compréhension du temps littéraire qui nourrit cette partition publiée en 1894. Le morcellement des épisodes au sein de chacun des trois mouvements est suffisamment explicite : pas d'ornements superflus, de vélocité décorative, de gestes “inutiles”. Voilà une écriture austère, presque, “minérale”. Manque-t-elle de “folie”, du souffle de la démesure “symphonique” des derniers romantiques ? Ce n'est pas le propos de Jaëll qui n'économise pourtant pas la technique de son piano. Son propos est ailleurs. Dans ces pages, en effet, l'auditeur croise tout autant le souci de l'exploration du timbre et du rythme qu'un regard presque distant de la compositrice vis-à-vis de l'impressionnisme de l'époque. Au fil de la première partie – Ce qu'on entend dans l'enfer – la démarche intellectuelle “beethovénienne” paraît plus certaine. En effet, comment à partir de simples motifs sonores, de thèmes réduits à l'extrême, est-il possible de réaliser un ample développement ? Comment travailler sur d'infimes détails qui modifient une perception de la répétition devenue quasi-hypnotique ? Scriabine, mais dans un univers tout autre se pose, au même moment, la même question.

Ce qu'on entend dans le purgatoire frôle la poésie symboliste. Les paroles affleurent sous une ligne de chant qui évoque les pages ultimes de Liszt. « Par moi, l'on va dans la cité des douleurs… Abandonnez toute espérance, vous qui entrez » écrivit Dante. mesure chaque silence, dose chaque gradation dynamique au titre mallarméen (« Désirs impuissant »). Sur ce plan, la réalisation musicale est bien plus approfondie que celle de la version de Cora Irsen (Querstand). D'expérimentale, la partition semble ainsi s'ouvrir au monde qui l'entoure : elle devient théâtrale avec des pulsations rythmiques qui font songer à quelques pièces de Prokofiev (« Maintenant et jadis »). Prémonitoire. La progression dramatique demeure continue, le Purgatoire devenant, en toute logique, plus inquiétant encore que la certitude de l'enfer…

Ce qu'on entend dans le paradis aurait presque mérité un piano aux couleurs plus veloutées encore, tant le romantisme fauréen – In Paradisum – imprègne cette page conclusive. L'idée même de la béatitude se teinte aussi de formules schumaniennes (« Hymne »), comme si Marie Jaëll n'avait pu se résoudre à choisir entre des atmosphères parallèles. Le romantisme – le finale de la Sonate en si mineur de Liszt – si perceptible dans « Contemplation », page ultime, referme une œuvre attachante et particulièrement bien défendue.

Ce premier album du label “Présence Compositrices” est une indéniable réussite.

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