Fauré dramaturge et inédit par l’ensemble Musica Nigella

Takenori Nemoto est un musicien complet, corniste, arrangeur, pédagogue, et chef-fondateur de l'ensemble Musica Nigella. Leur nouvel album de musique française, consacré à la musique de scène de Fauré, est riche d'inédits et distille un charme prenant. 

Né au Japon où il entame sa formation musicale, Takenori Nemoto s'installe en France en 1992 où il complète ses études à l'École Normale et au Conservatoire national de Paris, il crée l'ensemble Musica Nigella en 2010, premier ensemble musical professionnel du Pas-de-Calais. Ce Fauré le dramatruge est le cinquième album de la formation, chacun étant consacré à un compositeur français différent, depuis Ravel l'exotique enregistré en 2018.

On retrouve dans ce Fauré les qualités initiales de fruité et de couleur, qui donnent à ce répertoire fin de siècle une saveur délicieuse et prenante. L'ouverture du disque avec la célèbre Pavane de 1887 suivie immédiatement du Prélude et chanson de Shylock par Cyrille Dubois est un pur délice. Ce court morceau d'une minute trente est comme un voyage en tapis volant dans l'azur, et le ténor lui donne une grâce jubilatoire.

Toutes les œuvres réunies ici ont été conçues pour le théâtre, sauf pour la Pavane qui a été portée sur scène en 1917 pour les Ballets Russes. Shylock, une adaptation du Marchand de Venise de Shakespeare est donné dans son instrumentation originale que le chef a retrouvé à la BnF et qui n'avait jamais été enregistrée. Il a retrouvé la musique de scène de la création, et pour cet enregistrement a repris la suite pour grand orchestre réalisée par Fauré en lui donnant l'instrumentation initiale pour flûte, hautbois, deux clarinettes, basson, cor, trompette, harpe, timbales et cordes. Pour Pelléas et Mélisande, composé pour la création anglaise de la pièce de Maurice Maeterlinck, il s'agit de la version initiale orchestrée par Charles Koechlin sous la direction de Fauré, qui était alors pressé par le temps. Le Mélisande's song, d'une mélancolie blanche et suspendue, ne va pas sans évoquer les mélodies de Delius, et bénéficie du timbre de Cécile Achille entre sensualité et distanciation.

Le voile du bonheur est un inédit. D'une durée de 10 minutes, cette partition a été écrite pour la pièce éponyme de Georges Clémenceau, en 1901. La pièce raconte l'histoire d'un sage chinois heureux mais atteint de cécité, qui en recouvrant la vue réalise alors la trahison de sa femme et l'inconduite de son enfant… il choisit de redevenir aveugle. Atypique dans la production de Fauré, elle est subtilement évocatrice d'une Asie fantasmée. Quand l'impressionnisme français rencontre la Chine, en douceur…

Les Masques et Bergamasques, nettement plus tardifs, de 1919 sont en fait un réutilisation de différentes pièces plus anciennes, et furent l'œuvre scénique la plus populaire de Fauré, peut-être en ce qu'elle est plus classique et académique que les autres. L'ensemble Musica Nigella sous la direction de Takenori Nemoto est attentif à donner du corps et de la patine à cette musique qui ainsi glisse et s'insinue en vous, l'instrumentation réduite offrant des couleurs plus franches que sur une plus grande formation. Un bel équilibre sonore, pour un album d'une conception pertinente, qui ajoute un élément de qualité à la discographie de Fauré.