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À Genève, Parsifal est un clown

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Genève. Grand Théâtre, 25-I-2023. Richard Wagner (1813-1883) Parsifal, festival scénique sacré en trois actes sur un livret du compositeur. Mise en scène : Michael Thalheimer. Décors : Henrik Ahr. Costumes : Michaela Barth. Lumières : Stefan Bolliger. Avec Christopher Maltman, Amfortas ; William Meinert, Titurel, Deuxième Chevalier ; Tarek Nazmi, Gurnemanz ; Martin Gantner, Klingsor ; Daniel Johansson, Parsifal ; Tanja Ariane Baumgartner, Kundry ; Julieth Lozano, Tinike van Ingelgem, Louise Foor, Valeriia Savinskaia, Ena Pongrac, Ramya Roy, les filles-fleurs ; Louis Zaitoun, Premier Chevalier ; Eric Bart, Deuxième Chevalier ; Julieth Lozano, Ena Pongrac, Omar Mancini, José Pazos, les Ecuyers. Chœurs du Grand Théâtre de Genève (Cheffe de chœur : Alan Woodbridge). Orchestre de la Suisse Romande. Direction musicale : Jonathan Nott

Le metteur en scène allemand offre une vision minimaliste et sanguinolente du Parsifal de .


Il fallait s'y attendre. Le spectacle d'opéra qui fait rêver, qui s'attache à l'exercice du beau, qui soulève le spectateur de son siège par sa poésie, ses décors, ses costumes, son chant même, c'est du passé. A l'Opéra de Genève pour le moins. Hormis quelques rares exceptions le Grand Théâtre de Genève est devenu un temple du « regie theater » allemand. Et ce spectacle de Parsifal de en est la triste démonstration. L'esprit de l'œuvre de Parsifal s'inscrit dans une dimension mystique incontestable qui appelle à une élévation spirituelle. Ce n'est malheureusement pas la vision du metteur en scène qui se complait dans l'abaissement d'une œuvre symbolique. A Monsalvat, le roi Amfortas, en charge du Graal, la coupe qui a recueilli le sang du Christ, et de la lance qui perça le flanc de Jésus, souffre d'une blessure qu'il a reçue de Klingsor lorsque celui-ci lui a dérobé la lance sacrée. Amfortas ne guérira que lorsqu'il aura recouvré cette relique. C'est à Parsifal qu'incombe le devoir de ramener la lance sacrée dans la communauté et d'accomplir la rédemption. De quelque coté qu'on regarde Parsifal, le sacré, le divin, le mysticisme en est la substance profonde.

Mais alors, que vient faire cette congrégation de bouchers et d'équarrisseurs vêtus de tuniques et de pantalons blancs tachés de sang dont l'activité principale est de souiller les murs du sang qu'ils ont sur les mains ? D'où sort ce Gurnemanz lui aussi souillé de sang, courbé sur lui-même, s'appuyant en tremblotant sur deux béquilles qui profère ses injonctions en marchant jusqu'à l'exaspération d'un coin à l'autre d'un plateau ? Qui est encore cet Amfortas, dégoulinant de sang lui aussi, qui du haut d'un promontoire harangue ses compagnons tel un syndicaliste ? Bientôt, les murs eux-mêmes sueront de flots de sang qui s'écouleront le long des parois. Une débauche d'hémoglobine à faire pâlir le cinéaste américain Quentin Tarantino ! Et ces filles-fleurs ? Fallait-il qu'elles soient difformes pour être crédibles ? Elles sont d'ailleurs d'insupportables mégères émettant leurs stridences vocales ! Et qu'est cette Kundry écrivant sur les murs en lettres de sang des maximes en allemand non traduites qu'elle efface aussitôt parasitant l'attention du spectateur à l'écoute de la musique ?


Et Parsifal ? Dans l'idée de , ce personnage serait un anti-héros. Le «fou-candide» de Wagner s'affiche ici comme un benêt, un idiot du village. Pour bien montrer qu'il n'est pas l'homme du mythe de Perceval, on l'attife d'un legging de coton blanc et d'un « marcel », comme un lutteur, activité chère aux campagnes de Suisse allemande. Lorsqu'enfin, au terme de quatre heure de musique et de chant, Parsifal revient auprès de la communauté, fatigué, s'appuyant sur la lance sacrée retrouvée, il lève lentement la tête et l'on découvre : un clown ! Quelle récompense, quelle promotion ! C'en est fait de la rédemption. Le mythe est détruit. D'ailleurs, selon les critères scéniques de Michael Thalheimer, il n'a jamais existé. CQFD, en dépit des gesticulations scéniques qui s'apparentent plus à des cours d'initiations à l'expression corporelle qu'à une véritable direction d'acteurs, des décors tournant souvent sans raison, des litres de sang déversés, tout cela ne tient pas la route. Le début égale la fin. Misère, où est ta victoire ?

Cette œuvre aride demande la présence de quelques grosses pointures du chant wagnérien, sans lesquelles il devient difficile d'élever le discours, de transporter l'auditeur vers les hauteurs mystiques de cette musique.


Ici, à l'exception du rôle féminin, tous les protagonistes, jusqu'aux derniers des écuyers font des prises de rôle ! De tous, seule la basse Tareq Nazmi (Gurnemanz) semble pleinement concernée. Avec sa très belle voix, bien conduite, solide, il fait figure du personnage idoine du rôle. Des autres protagonistes, aucun ne démérite et chacun se donne beaucoup de peine pour remplir ses obligations. On note toutefois que le baryton (Amfortas) force sa voix et fait montre de quelques flottements de vibrato dans le registre grave alors que (Klingsor), lui aussi baryton, jouit d'une voix beaucoup trop claire et trop «gentille» pour crédibiliser le Mal qu'il incarne. On pensera de même de la mezzo-soprano (Kundry) qui, bien que possédant le rôle depuis bientôt cinq ans, nous est apparue sans la hargne, l'ironie, la folie voir la provocation amoureuse que son personnage requiert. Quant au rôle-titre, le ténor suédois (Parsifal), peut-être parce qu'on lui impose un rôle scénique d'anti-héros, ne convainc pas restant dans un chant sans soleil.

Dans la fosse, l' fait merveille. Le chef ne ménage pas ses efforts pour donner vie à ce Parsifal à travers une direction dynamique offrant quelques sublimes moments musicaux, en particulier lors du prélude du premier acte, comme dans le final où la douceur des cordes étreint. Parfaitement préparés, le et la Maîtrise du Conservatoire populaire de Genève nous rappellent avec bonheur qu'ils ont conscience du travail bien fait. Et tant pis si, au moment des saluts, son chef n'a pas droit au devant de la scène !

, qui ne manquait jamais de prétention, avait indiqué qu'il ne fallait pas applaudir à la fin du premier acte de Parsifal car la solennité de la communion imposait un silence respectueux. Cette tradition perdurait lors des précédentes productions auxquelles votre serviteur assista. Ici, cette cérémonie est si galvaudée qu'il aurait été malvenu d'imposer pareille obligation.

Crédit photographique : GTG © Carole Parodi

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Genève. Grand Théâtre, 25-I-2023. Richard Wagner (1813-1883) Parsifal, festival scénique sacré en trois actes sur un livret du compositeur. Mise en scène : Michael Thalheimer. Décors : Henrik Ahr. Costumes : Michaela Barth. Lumières : Stefan Bolliger. Avec Christopher Maltman, Amfortas ; William Meinert, Titurel, Deuxième Chevalier ; Tarek Nazmi, Gurnemanz ; Martin Gantner, Klingsor ; Daniel Johansson, Parsifal ; Tanja Ariane Baumgartner, Kundry ; Julieth Lozano, Tinike van Ingelgem, Louise Foor, Valeriia Savinskaia, Ena Pongrac, Ramya Roy, les filles-fleurs ; Louis Zaitoun, Premier Chevalier ; Eric Bart, Deuxième Chevalier ; Julieth Lozano, Ena Pongrac, Omar Mancini, José Pazos, les Ecuyers. Chœurs du Grand Théâtre de Genève (Cheffe de chœur : Alan Woodbridge). Orchestre de la Suisse Romande. Direction musicale : Jonathan Nott

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